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Saint-Etienne : à la rencontre de l’Homo Spatius, designer de l’espace

Grumman Moon Suit, 1960, concept pour l'exploration lunaire (Photo Oscar Fritz Goro/The LIFE Picture Collection © Meredith Corporation)

La recherche spatiale nourrit notre imaginaire autant que notre quotidien. Derrière l’épopée humaine se cache une multitude de projets et de créations d’artistes, ingénieurs, architectes, auteurs et makers. Plus qu’une semaine pour visiter « Homo Spatius, designers de l’espace » à la Cité du design (St Etienne), une exposition qui explore ces croisements fructueux, sous la direction de Michel Faup, sous-directeur Anticipation et émergence du CNES.

On le sait, l’espace est territoire de création. Généralement envisagé sous l’angle exclusif de la recherche et de l’innovation, le domaine spatial est aussi une source d’inspiration pour les artistes (au cinéma, en littérature, en art contemporain ou dans les pratiques artistiques numériques), les makers (voir l’initiative Fédération – Open Space Makers) et les designers. Des allers et retours – théoriques, épistémologiques, philosophiques ou scientifiques – infinis qui irriguent tout autant l’imaginaire artistique que celui de la recherche. L’engouement public également, avec ses projets à diverses portées médiatiques – des plus populaires (la perspective de voyages privés dans l’espace, les vols spatiaux pour millionnaires, « l’hôtel dans l’espace » designé par Philippe Starck pour Axiom Space…) au plus spécialisés (la création d’évènements comme Space Up, ou d’associations comme Fédération Open Space Makers, le projet Ad Astra, pour un lanceur orbital open source, les liens entre projets spatiaux et protection de l’environnement terrestre, etc.) – illustre également l’importance actuelle de l’idée de transition vers un nouvel âge spatial et la pertinence d’une exposition comme Homo Spatius, designers de l’espace, qui se propose justement d’aborder ces domaines en les mettant en perspective avec les enjeux du design.

Vue de l’exposition « Homo Spatius ». Photo : Maxence Grugier

De l’homo sapiens à « l’homo spatius »

En partant de l’histoire des rêves et des connaissances de l’humanité à propos de tout ce qui concerne l’espace et les étoiles, l’exposition Homo Spatius fait se croiser deux épopées qui se nourrissent l’une l’autre. « Les traces de roues des rovers sur la Lune et sur Mars renvoient aux traces de pas des hommes dans les grottes magdaléniennes, et nous rappellent que, rêve d’ailleurs, curiosité ou ambition territoriale, les êtres humains n’ont cessé de se déployer sur des biotopes toujours plus variés et de développer à cette fin des connaissances et des outils » rappelle le cartel d’introduction. Pour cela il faut oser, inventer, expérimenter, copier, procéder par essai-erreur, répéter. C’est ce que fait l’humanité depuis la nuit des temps. De l’apprentissage du voyage autonome sous la mer, nous tirons des leçons pour passer au voyage spatial : au scaphandre primitif de Benoît Rouquayrol et Auguste Denayrouze, jusqu’à celui de Roberto Galeazzi, succède la combinaison spatiale dite de « Grumman » en 1962, puis aux versions surtechnologiques contemporaines.

« Appareil plongeur Rouquayrol-Denayrouze » (1864) et scaphandre pieds lourds de Roberto Galeazzi (1942).

Après l’observation à l’œil nu, nous inventons le « voyage céleste en vaisseau de verre », splendide métaphore des premiers télescopes. Aujourd’hui ce sont nos satellites qui observent pour nous, tandis que nos robots se déplacent à notre place en milieux hostiles. Reste la question de l’humain. « Où dormiraient les cosmonautes ? Où et comment allaient-ils manger ? Où les toilettes devaient-elles être placées ? », des questions que se pose immédiatement la pionnière du design spatial russe, Galina Balashova. Architecte et designer associée au programme soviétique dès le début des années 1960, elle a contribué à l’agencement intérieur du vaisseau Soyouz, des stations spatiales Salyut et Mir.

Design pour la Station MIR par Galina Balashova. DR.

Le spatial, acteur méconnu de l’innovation

Le domaine de la recherche spatiale apporte beaucoup, et pas seulement dans le champ des sciences dures ou de l’industrie. A l’échelle de notre vie sur terre, les projets développés autour des techniques spatiales sont couramment utilisés au service du quotidien, et ce depuis les années 60. Pour Michel Faup, commissaire de l’exposition aux côtés d’Alexis Bertrand (scénographe) Homo Spatius est justement « l’occasion de découvrir la variété des objets spatiaux, lanceurs, satellites, sondes, rovers, stations, ballons, scaphandres, et de les confronter aux objets du design ». Tout au long de l’histoire de la conquête spatiale, la volonté commune de différents acteurs, publics, industriels, issus de la recherche ou de l’enseignement, anime un foisonnement créatif au sein duquel se croisent des astronomes, des scientifiques, des inventeurs, des architectes, des anthropologues et des designers. L’exposition explore et expose les résultats de la rencontre de ces univers qui accouche de projets aussi divers que variés dans les domaines de la décoration intérieure, de l’architecture, de l’urbanisme, du design de services mais aussi du développement durable, des technologies du quotidien et de l’art. A ce titre, la recherche de nouveaux matériaux (textiles ou plastiques) est un des héritages de la recherche spatiale qui fait suite au développement de créations adaptées à de nouveaux environnements. Même si les objets spatiaux se doivent de répondre avant tout à des défis techniques, leur apparition dans les années 60/70 agit comme un révélateur auprès des designers. Au contact de ces inventions produites sous la contrainte, ceux-ci se libèrent au contraire en créant une rupture de la relation à la forme. Le design de cette époque privilégie les formes molles, très colorés, à la fois symbole de la libération de la pesanteur et illustration du rêve de modernité d’alors.

« Les innovations produites sous la contrainte pour de l’industrie spatiale libèrent les designers qui inventent de nouvelles formes »

Du design pop au design scientifique

A contrario, les créations des designers de l’âge d’or de la conquête spatiale (le fameux Space Age), vont influencer sans vraiment s’en rendre compte, les ingénieurs de leur temps. Le design spatial, nourri de contraintes et de challenges opérationnels, s’empare lui aussi de l’imaginaire collectif. C’est ainsi que la Spherical Kitchen que Luigi Colani réalise pour la société Poggenpohl entre 1968 et 1970 s’envisage comme un écho à l’environnement futuriste inventé par le cinéaste Stanley Kubrick pour son chef-d’œuvre 2001, l’Odyssée de l’espace, qui lui-même influencera le design de l’intérieur des modules créés par la NASA. L’agence spatiale américaine n’est d’ailleurs pas en reste quand il s’agit de laisser place à l’imagination. Dans les années 70, des scientifiques du centre Ames de l’agence ont mené trois études différentes sur la manière dont l’humanité pourrait créer des colonies spatiales. Parmi les projets proposés, nous découvrons dans l’exposition la peinture de la station toroïdale de Donald Davis (1976), une structure qui devait tourner autour de la terre et être composée de matériaux extraits de la Lune et des astéroïdes environnants.

La structure dite « tore de Stanford » était envisagée idéalement de un ou deux tores de 1,8 km de diamètre tournant une fois par minute en utilisant la force centrifuge (l’inertie) pour fournir une gravité équivalente (0,9 à 1 g) à celle de la Terre au niveau de l’anneau extérieur. Sa taille lui permettrait d’héberger jusqu’à au moins 10 000 résidents permanents. Crédit : NASA Ames Research Center

Pour autant, même si cet espace infini de l’horizon spatial est une source d’inspiration pour tous, le caractère exceptionnel et la complexité scientifique des phénomènes aérospatiaux – la science qui entoure la technologie spatiale : mécanique de vol, aérodynamique, matériaux composites, télémétrie, etc. – reste des domaines de spécialistes. Un état de fait qui semble actuellement remis en question par l’intervention de la société civile et les incitations des pouvoirs publics.

Le design, symbole d’une recherche spatiale collaborative et ouverte

Au relatif désintérêt du début des années 2000 pour tout ce qui concernait la conquête de l’espace, succèdent l’enthousiasme et même l’espoir (pour certains) d’une installation durable de l’homme en orbite, sur la Lune ou sur Mars, ainsi que celui du voyage du spatial généralisé (des désirs certainement liés aux actuels enjeux climatiques). Puisqu’il ne fait aujourd’hui aucun doute, comme le montre la récente actualité, que nous sommes entrés dans l’ère du « New Space », de « l’Espace 4.0 » ou de « l’Open Space » (en France), c’est logiquement que le public s’empare de ce domaine qui ne concernait initialement que les scientifiques. Les recherches en design open source (auxquelles participent activement Michel Faup) s’avèreront certainement fructueuses si l’on y associe le monde des fablabs, des makerspaces et des hackerspaces. A ce titre, l’initiative Open Space Makers apparue en 2017 et soutenue par le CNES, est un bon exemple de synergie visant à rapprocher le monde des fablabs et de l’open source de la recherche spatiale. Le CNES lui-même, met des outils au service des usagers sur son site dédié à l’open hardware spatial. Du côté du développement durable, les liens entre projets spatiaux et protection de l’environnement terrestre illustrent la façon dont les techniques spatiales peuvent être utilisées au service de l’environnement. Pour finir, on trouve aux croisements de l’architecture, la technologie, la culture et l’environnement, le réseau scientifique « ARCHES », qui a pour objet de générer à terme des connaissances et des innovations de rupture en se confrontant aux conditions extrêmes (comme l’espace et le système solaire, les océans et les univers sous-marins).

« Une vie sur Mars » : Imaginé par le designer Anthony Vacter « Une vie sur Mars » s’inscrit dans un contexte prospectif où les humains colonisent la planète rouge, après avoir quitté la terre et ses désastres écologiques. Vacter imagine un concept de villes souterraines semblables à des fourmilières répondant aux trois besoins vitaux : manger, boire, dormir. Un système aquaponique permet de cultiver sa nourriture en autonomie et de produire de l’oxygène. Photo : Maxence Grugier

On le voit, la question du spatial dépasse largement le domaine purement spécialisé. L’exposition Homo Spatius est une manière supplémentaire de se rappeler qu’au-delà du spatial et de la technologie, l’histoire de l’humanité dans son environnement n’est pas uniquement concernée par sa seule activité terrestre, mais qu’en matière d’invention, de création, de dispositifs d’ingénierie collaborative et d’imaginaire, l’espace et l’univers tout entier forment un berceau qui ne cesse de nous inspirer.

Homo Spatius, designers de l’espace, à la Cité du design de Saint-Etienne jusqu’au 30 janvier.