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Congrès Mondial de la Nature : avec « Vivant » l’art questionne l’écologie

Victor Remère, Prototype de ruche numérique, 2021. Photo : © Victor Remère

Dans le cadre du Congrès Mondial de la Nature qui s’est tenu cette année pour la première fois en France, à Marseille au parc Chanot du 3 au 11 septembre, l’association COAL — organisme favorisant les liens entre art et écologie —, a présenté son exposition « Vivant ». Cette manifestation, mettant en lumière les travaux des 12 lauréats du Prix Coal 2020, porte un regard éclairé sur une nouvelle génération d’artistes s’emparant avec pugnacité des questions environnementales. Rencontre avec Lauranne Germond, commissaire d’expositions et directrice de l’association.

Vendredi 10 septembre. Une pluie fine commence à s’abattre sur la cité phocéenne. Malgré tout, les visiteurs venus assister aux conférences, expositions et autres rencontres programmées durant le Congrès Mondial de la Nature sont en nombre à l’accueil public. Cette année, parmi les stands présents sur le site, on retrouve celui de l’association COAL, et son exposition « Vivant » présentant les productions des artistes finalistes du Prix Coal 2020. Dans l’espace consacré, l’installation du duo anglo-argentin Lucy + Jorge Orta, Life Guard Amazonia représentant un individu portant une civière remplie de fleurs, de plantes et d’insectes en tissus trône au milieu des différentes productions artistiques. Plus loin, la fabrique feutrée du jeune artiste rennais Louis Guillaume, Structures du vivant, réalisée à partir de graines de Stipa tenuissima attire notre attention sur la préciosité des matériaux naturels et plus globalement sur la vulnérabilité de notre environnement.

Lucy+Jorge Orta, Life Guard Amazonia, 2016-2017. Photo : © Studio Orta

« Louis Guillaume s’intéresse à une approche beaucoup plus artisanale. Il est dans la matière et dans ce que la nature produit de potentiel et de ressources. Il travaille au grès des saisons. Il va chercher dans les savoirs traditionnels, et il cherche des alternatives à des processus industriels. Ce qui est intéressant, c’est qu’il invente aussi des méthodes, il invente un savoir-faire des matériaux.  Ici, son installation est le résultat de plusieurs années de récoltes de la matière. C’est un travail de longue haleine avec une envie de découvrir tous les potentiels de la nature, » introduit Lauranne Germond. Sur un autre pan de mur, les tableaux aux teintes médiévistes et les sculptures de l’artiste Anthony Duchêne, fruits de différentes collaborations avec des paysans-vignerons, plongent le regardeur au tréfonds des sols, au cœur des paysages et du monde minéral. 

Hypercomf, Decaocto, 2019. Photo : © Hypercomf

COAL, pionnier sur les questions d’art et d’écologie

Un commissariat et une approche muséographique qui en disent long sur les valeurs portées par l’association COAL depuis ses débuts. Créée en 2008 par Lauranne Germond, Loïc Fel et Clément Willemin, cette organisation a pour ambition de faire le pont entre l’art et l’écologie en mobilisant et en confrontant les acteurs de ces deux mondes. « Quand on a créé COAL, on est partis du constat initial que la transition écologique est beaucoup une affaire de représentations et d’approches culturelles de la nature et que finalement, il y a aussi un travail à mener au niveau des imaginaires, des représentations, des façons de faire, de produire. Car nos représentations culturelles induisent des schémas de société, » explique la directrice avant de poursuivre : « L’idée est de travailler avec des artistes pour créer de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires et accompagner l’émergence de nouvelles cultures de la nature et de l’écologie. »

Pour les membres de l’organisation, la création du Prix Coal dès le début du projet s’est révélée être le moyen idéal pour répertorier les artistes et pour sensibiliser les institutions artistiques longtemps restées muettes et rigides face à ces problématiques. « Quand on a créé l’association, il n’y avait pas tant d’artistes qui s’intéressaient pleinement à ces questions, et c’était totalement invisible dans le monde de l’art. Du coup, le Prix nous a permis de mobiliser et d’identifier des acteurs intéressés par cette approche et cette accroche disciplinaire. L’idée était de les accompagner et contribuer à lancer une scène sur ces sujets, » souligne la commissaire.

Maria Lucia Cruz Correia, Natural Contract Lab. Photo : © Mark Pozlep.

Un pont entre art et science

Aujourd’hui, l’intérêt des nouvelles générations d’artistes pour les questions environnementales n’est plus à prouver comme en témoigne le travail de terrain de Paul Ducombe mené au Canada depuis 2015 avec des chercheurs, des scientifiques, des philosophes et d’autres artistes sur le Cratère d’impact de la Manicouagan. Mesurant 100 km de diamètre, ce cratère formé suite à l’impact d’une météorite il y a 214 millions d’années, est l’un des mieux conservés sur la planète. Ici, l’artiste questionne d’un  point de vue esthétique et scientifique la reconquête des formes du vivant – animal et végétal, dans cet espace. « Lorsque l’on s’intéresse au Cosmos, il est moins question de la fragilité du vivant que de son absurdité. L’histoire de l’univers est celle d’une série de catastrophes démesurées, et certaines cicatrices à la surface de la Terre nous rappellent que nous sommes de passage dans ce récit fait de trajectoires célestes, de matière en fusion et de particules, » peut-on lire dans son entretien livré suite à l’obtention du Prix Coal.

Tout comme lui, d’autres artistes investissent le terrain des sciences pour asseoir leur connaissance et leur sensibilité aux questions environnementales. C’est le cas de Victor Remère, qui s’intéresse dans son projet Les indemnes de l’art à la biodiversité sur des zones de réservoirs naturels inattendus tels que les bases militaires. « Aujourd’hui, il y a beaucoup d’artistes qui travaillent sur ces sujets et avec le niveau de connaissance au vu de la complexité de ces thématiques. Il y a une véritable expertise, mais aussi il y a de plus en plus de penseurs qui ont émergé ces dernières années dans le domaine des humanités environnementales. On a des philosophes, des penseurs, des écrivains et ils viennent aussi alimenter le travail des artistes et donc les projets sont plus riches qu’ils ne pouvaient l’être il y a dix ans, » appuie Lauranne Germond.

Victor Remère, Prototype de ruche numérique, 2021. Photo : © Victor Remère

Pour l’artiste slovène Špela Petrič, c’est l’investissement de nouvelles technologies dans une perspective artistique qui lui permet de réfléchir à des solutions sur un plan environnemental. Pour son installation Institute for Inconspicuous Languages: Reading Lips, l’artiste travaille avec des chercheurs sur le comportement des plantes et les interactions possibles, dans un futur proche, avec de nouvelles technologies. « Avec Spela Petric, on est sur une approche qui est encore totalement différente. Sa pratique repose sur toutes les technologies les plus pointues, elle utilise les hautes technologies pour renouer finalement avec le vivant. Il y a par moment quelque chose de comique dans son approche. Dans cette exposition, les approches sont complémentaires et regardent de manière très différente les questions écologiques, » poursuit la commissaire d’exposition.

Špela Petrič, Institute for Inconspicuous Languages Reading Lips, 2018. Photo : © Miha Fras.

Des regards et des positionnements multiples

L’approche socio-historique d’Eléonore Saintagnan est aussi une manière d’aborder les problématiques environnementales dans une perspective artistique. Son projet Les Moineaux de Trégain, présenté dans le cadre de l’exposition, est la restitution d’un cycle d’ateliers mené avec des scolaires sur un fait historique — une vaste chasse aux moineaux menée par Mao Zedong dans l’ensemble de la Chine —, qui a eu pour conséquences la mort de dix millions d’oiseaux à travers le pays et la destruction l’année suivante de la quasi-totalité des récoltes par manque de régulation des oiseaux.

Éléonore Saintagnan, Les Moineaux de Trégain, 2020. Prise de vue par Benoît Mauras. © Éléonore Saintagnan.3 jpg

Pour d’autres artistes, comme la Mexicaine Minerva Cuevas, c’est la posture de l’activiste qui ressort dans son travail. Avec son oeuvre, NG datant de 2013, elle s’empare de la couverture d’un National Géographic pour nous questionner à travers la technique du photomontage sur la résilience animale face au poids de la domination humaine. « Minerva Cuevas est sur la question de la contestation, de la mise en évidence des causes politiques et économiques de l’effondrement de la biodiversité, elle est dans une approche très politique, très militante, » souligne Lauranne Germond.

Minerva Cuevas, NG, 2013. Photo : © Minerva Cuevas

Pour d’autres comme Maria Lucia Cruz Correia et son projet Natural Contract Lab mené avec une équipe pluridisciplinaire, l’artiste met son regard d’artiste sensible au profit de son activiste. Ici, accompagnée du groupe, elle rend hommage à un fleuve asséché par le biais d’une marche et d’un manifeste comme pour le réparer. Par ailleurs, au-delà d’une réflexion sensible, c’est un travail juridique que l’artiste mène de front pour attribuer à des entités naturelles une personnalité juridique pour être préservée et protégée. Chez Lia Giraud, c’est l’expérimentation des techniques photographiques et filmiques qui lui permettent de mettre en avant son engagement pour les questions politiques. Avec son film Photosynthèse, l’artiste cherche à nous alerter sur la pollution des déchets et des micro-plastiques dans la mer Méditerranée, véritable menace pour son écosystème.

Lia Giraud, Photosynthèse, 2021. Photo : © Lia Giraud

Quant au duo grec Hypercomf, c’est l’impact du technologique sur la psychologie humaine qu’ils interrogent par le prisme du médium vidéo et par l’usage d’une esthétique kitch. Tous ces regards d’artistes, éclatés présentés dans cette exposition, portent une vision spécifique des nouveaux enjeux environnementaux qui traversent nos sociétés. L’engagement qui habite ces créateurs est révélateur d’une plus grande sensibilisation face à ces questions et est de fait, porteur d’espoir. 

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Anthony Duchêne, J’enherbe le monde #2 Légumineuse, 2019. Photo : © Jean-Christophe Lett.