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Precious Kitchen : de l’art de transformer les déchets en matériaux biodégradables

La cartographie des entreprises partenaires. © Capture d'écran

Une pincée de coquilles de moules, un soupçon d’huitres et une louche d’algues… Voilà, vous avez des legos ! Avec Precious Kitchen, Rebecca Fezard, Catherine Lenoble et Élodie Michaud mettent à disposition des recettes de matériaux biodégradables et fournissent une alternative aux déchets non-recyclables locaux.

Dans leur petite cuisine portative – quelques plaques et un point d’eau autonome -, Catherine Lenoble, Élodie Michaud et Rebecca Fezard font des miracles. Comme transformer des coquilles d’huitres, de moules et des algues en briques. C’est biodégradables et facile : sous leur impulsion, même les enfants s’y sont mis – version legos.

Élodie Michaud et Rebecca Fezard sont désigneuses matière, fondatrice de l’agence de design Hors-Studio. Catherine Lenoble est instigatrice de projets au sein de La Fabrique d’Usages Numériques, à Tours. C’est là que les trois femmes se sont rencontrées et ont décidé que leurs visions collaient et qu’il fallait en faire quelque chose. Ce sera Precious Kitchen, dont le lancement se fera à l’automne 2021.

Rebecca Fezard, Catherine Lenoble et Elodie Michaud, les trois cofondatrices de Precious Kitchen. © DR

Precious Kitchen est « avant tout une plateforme open source avec une cartographie des entreprises partenaires du projet, dont les chutes et déchets disponibles ne peuvent pas être dirigés vers des filières et secteurs de revalorisation, déroule Rebecca Fezard. Le collectif Precious Kitchen et les usagers viennent partager des recettes pour transformer ces matières premières en nouveau matériaux. » Voilà pour la présence en ligne. A cela s’ajoute la partie physique : une chutothèque, soit une bibliothèque de chutes pour récupérer et mettre à disposition cette matière première, et des ateliers à destination des écoles d’art et de design ou élémentaires.

La recette pour un terrazo d’acétate, ajoutée par un lycée. © Capture d’écran

Pour rendre désirables ces objets arrachées à leur destin de déchets, les trois fondatrices les mettent en lumière dés leurs arrivées sous la coupe de Precious Kitchen. Par la photo : elles travaillent avec la set designeuse Ella Perdereau pour mettre la chute en valeur. Par le récit aussi : Catherine Lenoble recueille les histoires des entreprises locales qui ont fourni les chutes pour raconter les matériaux et les savoir-faire qui les ont façonnés.

Les habitués des milieux makers auront reconnu le clin d’oeil à Precious Plastic, projet iconique du mouvement qui propose de construire une machine à recycler du plastique grâce à des plans open-source. Une communauté s’est formée et on trouve désormais une place de marché pour trouver tout type de plastiques à recycler et acheter et vendre les objets issus de ces productions locales et DiY. Les trois femmes se sont également inspirées de Materiom, une plateforme qui met à disposition des recettes et données open-source sur les matériaux issus de ressources naturelles et biodégradables, comme les déchets agricoles. « Materiom propose des recettes à partir d’ingrédients que l’on ne peut pas forcément sourcer localement. On a voulu se tourner vers notre territoire pour cartographier les chutes et déchets et mettre à disposition des recettes pour développer la pratique du design matière », retrace Catherine Lenoble.

Design matière

Si les trois femmes travaillent à la valorisation des déchets, elle ne s’inscrivent pas dans l’upcycling. « Ça existe déjà et il y a déjà beaucoup de ressources », justifie Catherine Lenoble sans écarter complètement la pratique qui reste « une bonne porte d’entrée ». Le travail de Precious Kitchen repose sur une transformation des matières par les liants, via un procédé de cuisine non dangereux. Ainsi par exemple de leurs briques faites de coquilles de moules, huîtres et saint-jacques et liant naturel à base d’algues. En collaboration avec les fablab de Tours et le 8 Fablab à Crest, les deux designeuses ont mis au point une pâte de ce mélange, compatible avec une imprimante 3D céramique.

Leur travail se concentre sur les liants, pour contrer la colle, ce « fléau des filières du recyclage ». Un travail par définition expérimental. Contrairement aux produits de la pétrochimie, « ces liants biodégradables ne peuvent pas répondre à des contraintes mécaniques de l’architecture et du design », explique Rebecca Fezard. Avec leurs studio de design, Élodie Michaud et Rebecca Fezard travaillent donc dans des environnements de vitrine ou de scénographie. « On est dans des délais où on sait que notre matériaux n’aura pas besoin de durer trop longtemps. En même temps, il est totalement biodégradable donc n’aura pas d’impact environnemental. »

Chutes et micro-production

Pour mener à bien ces recherches de nouveaux matériaux, Precious Kitchen bénéficie d’un luxuriant vivier de chutes : du bois sous toutes ses formes – poudre, baguettes, emportes-pièces, etc. -, du plexiglas, du néoprène, de l’acétate de cellulose, utilisé pour fabriquer des lunettes, des billets de banque broyés, du cuir, des cheveux venus du coiffeur voisin, du papier, du textile, des chutes de cerfs-volants… « On se focalise sur les gisements stables, explique Élodie Michaud. Ces entreprises ont une récurrence dans les chutes et déchets, ils ont le même aspects et type de coupe. Ce qui nous intéresse est qu’avec cette nouvelle filière, potentiellement, il peut y avoir une micro-production. » Les déchets alimentaires ne peuvent pas être récupérés, mais ils sont répertoriés pour qui voudraient entrer directement en contact avec les entreprises.

Sur le site, une sélection esthétique des matériaux disponibles. © Capture d’écran

Les entreprises locales y trouvent leur compte. De manière très pragmatique, cela améliore leur score RSE tout en réduisant les dépenses liées à l’enlèvement des déchets. Precious Kitchen touche également la conscience environnementale des patrons d’entreprise, fait savoir Élodie Michaud. « Ils sont déçus de mettre autant de matière première à la poubelle, mais lorsqu’il n’y a pas de filière de revalorisation, ils n’ont pas le choix. » L’occasion de faire de la pédagogie sur le sujet. Afin d’organiser ses stocks, Precious Kitchen invite les patrons à faire l’inventaire de leurs chutes et déchets. « C’est quelque chose qu’ils ne quantifiaient pas. »

Le sans déchet encore loin

Pour être plus efficace dans l’utilisation des matières, des solutions se dessinent mais elles restent encore hors d’atteinte pour beaucoup. La fabrication de lunettes par exemple produit 80 % de chutes. Un lunetier partenaire de Precious Kitchen a bien essayé d’imprimer en 3D la matière dormante, raconte Rebecca Fezard, mais avant d’obtenir un résultat probant, il lui faudrait mettre beaucoup de moyens en recherche et développement. « Ça serait possible mais ça coute cher pour une petite entreprise, c’est très chronophage et ça implique de changer toute la chaine de production et le savoir-faire. On en est encore loin. » L’activité de Precious Kitchen a vocation palliative, mais elle est aussi urgente. « Aujourd’hui, cette matière est dormante. Essayons de nous en occuper plutôt que ça aille à l’enfouissement », tranche Élodie Michaud. 

Precious Kitchen est en phase test. 60 m² pendant un an pour mettre en route les ateliers, la logistique, comprendre quelles chutes sont les plus utilisées. Comme son grand cousin Precious Plastic, elle a aussi vocation a essaimer : on attend déjà une initiative prochaine à Angers, en relation étroite avec les fablab locaux et les structures existantes. A peine sur la table, la mayonnaise du biodégradable prend déjà.

Le site Precious Kitchen