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Avec le festival Métaboles, les Ateliers Jeanne Barret opèrent une plongée au coeur du vivant

Felix Blume présente l'installation "Essaim". © Luce Moreau

Du 22 au 26 juin 2021, s’est tenu aux Ateliers Jeanne Barret à Marseille le Festival Métaboles. Portées par les commissaires productrices et artistes Luce Moreau et Constance Juliette Meffre en partenariat avec leurs associations respectives – Otto-Prod, 1979, DDA Contemporary Art et M2F Créations Lab Gamerz -, cette manifestation fleuve, explore avec flegme les liens entre humain et non-humain dans un monde physique en pleine déstructuration. Retour sur une curation plurielle et ambitieuse.

 
Mardi 22 juin. 17h30. Les premiers visiteurs traversent l’allée centrale des Ateliers Jeanne Barret. Après un an et demi de manifestations artistiques et d’expositions mises sous scellées, professionnels du monde de la culture et voisins semblent heureux de se retrouver pour jouir d’une expérience artistique inédite. A l’accueil, un groupe de bénévoles nous invite à adhérer à l’association Circulaire, ainsi qu’à changer notre monnaie pour prendre possession des Barres le temps d’une semaine.

Une immersion progressive

A l’intérieur de l’espace d’exposition, l’installation Essaim de l’artiste Félix Blume, surplombe l’assemblée. Près de deux cents haut-parleurs retranscrivant un par un le son de deux cents abeilles viennent chatouiller les oreilles des visiteurs immergés dans l’œuvre. Un peu plus loin, perchée sur une poutre, se tient la sculpture de l’artiste, commissaire et co-coordinatrice de la manifestation Luce Moreau, Brèches mécaniques. Une œuvre explorant les mécanismes de structuration complexe d’une ruche d’abeilles, le tout dans une projection dystopique du réel. Un monde où les hyménoptères auraient quasiment tous disparu et où l’être humain aurait mis en place cette alternative pour pallier le manque.

Vue de l’exposition. Au premier plan, l’installation « Essaim » de Felix Blume. © Luce Moreau

Sur l’un des pans de mur, la projection de la performance Skotopoiesis de l’artiste slovène Špela Petrič, pose une réflexion sur les relations entre l’être humain et le végétal, cette fois-ci à travers la pousse de cresson entravée par la présence d’un corps devant la source lumineuse. A l’extérieur, le corpus de textes choisis par la maison d’édition Wild Project en corrélation avec la manifestation, invite le regardeur vers d’autres pistes réflexives. Plus tard dans la soirée, la déambulation sonore d’Alexandre Chanoine donne un point de jonction à cet ensemble hétéroclite. L’expérience métabolique peut pleinement commencer.

Luce Moreau présentait « Brèches mécaniques », où une imprimante 3D a été élaborée afin de construire mécaniquement en cire d’abeilles un nid modélisé au plus proche de sa forme sauvage. © F.Kolandjian

“Métaboles”, une réflexion collective

Pour le projet “Métaboles”, tout commence en 2019. Animée depuis plusieurs années par la question du vivant et les relations inter espèces, Luce Moreau se lance dans la rédaction d’un projet d’exposition autour de ce thème. En parallèle, Constance Juliette Meffre, de retour de la Biennale d’Istanbul, propose à la programmation des Ateliers Jeanne Barret un événement sous forme de symposium autour de l’Anthropocène. Après plusieurs discussions autour du thème et sur la production artistique, les deux commissaires décident de se plonger ensemble dans l’écriture du projet. “On a créé des temps de réflexion en commun et de rédaction du projet. On n’avait pas forcément les mêmes rôles et on a décidé d’organiser cet événement pendant le Congrès de la Nature mais cela n’a pas été possible avec les restrictions sanitaires” lance Luce Moreau.

Qu’à cela ne tienne. Les deux commissaires ne perdent pas espoir et continuent d’affiner leur programmation, faisant le pont entre les disciplines – vidéos, son, sculptures, performances, création d’installations in situ -, et entre les profils d’artistes, résidents des ateliers Jeanne Barret et invités.

“On a travaillé sur ce projet avec une passion sans limite. On a bossé presque deux ans dessus. Pendant la période de confinement, on réfléchissait à la manière dont on pouvait rester constructif. On a donc décidé de se concentrer sur la production d’œuvres notamment avec celle de Félix Blume créé in situ. On a pu monter la vidéo de Lena Hiriartborde “Sous réserve de”. On a pris le temps qui nous était donné pour faire, pour produire.” poursuit Constance Juliette Meffre.

Un long travail de production qui n’aurait pas pu être possible sans le soutien éclairé de structures amies telles que M2F Créations Lab Gamerz – association que Luce Moreau co-coordonne avec Paul Destieu aujourd’hui -, et 1979 portée par Sylvain Huguet. “On s’est demandé comment concrétiser tout ça car il fallait des cerveaux, de l’argent, des forces vives, réfléchir aux contraintes techniques. Plein de petites choses qui nécessitent la présence de plusieurs personnes.” complète Luce Moreau.

L’équipe organisatrice de Métaboles : de gauche à droite, Sylvain Huguet, Constance-Juliette Meffre, Paul Destieu, Luce Moreau. © F. Kolandjian

Penser les liens inter-espèces à l’heure de l’effondrement

Mais “Métaboles”, c’est avant tout une plongée au cœur du vivant, une manifestation venant nous questionner de front à notre relation à l’environnement dans une période où les conséquences du changement climatique se font plus que sentir. Ici, chaque œuvre, chaque proposition esthétique et créative semble s’articuler, trouve sa place et son importance dans ce tissu commun.

“Métaboles, c’est pour symboliser les relations, la rupture des relations métaboliques de l’humain et de son environnement proche. Le cycle de la vie est rompu alors que toutes les autres espèces parviennent à le maintenir. On a tricoté notre projet curatorial à partir de ce constat partagé.” poursuit la co-commissaire de l’événement.

Prenons par exemple le travail de Julie Rousse et sa réflexion autour du fleuve du Rhône dans son installation sonore Une voix parcourt le Rhône. Ici, l’artiste nous immerge au cœur de ce flux aqueux, tantôt doux, tantôt destructeur et invasif, qui contient en son sein une histoire du vivant en constante renégociation. “En fait, en se penchant sur la vie d’un fleuve, on tombe sur la richesse d’un biotope hyper complexe, car on part d’un glacier et on arrive à la Méditerranée. Même sur un plan historique, c’est un fleuve qui est traversé par beaucoup de choses. Et en même temps, quand on parle de fleuve, on fait directement référence à la fonte des glaces et au réchauffement climatique.” nous explique l’artiste sonore.

« Une voix parcourt le Rhône » de Julie Rousse. © Luce Moreau

En écho, le travail de l’artiste slovène Robertina Šebjanič et sa performance sonore Aquatocene Subaquatic Quest for serenity confronte le spectateur à la vitalité des sous-marins et à l’impact de la pollution sonore provoquée par l’activité humaine dans ce milieu.

Quant à l’artiste sonore Thomas Tilly, il a porté son attention sur la reproduction des grenouilles pour sa pièce Codex Amphibia (Phonotaxis). Une espèce qu’il a suivi, observée, enregistrée avec l’aide du chercheur Antoine Fouquet, pour mettre en lumière le caractère explosif et unique de ce phénomène. ”En nous posant la question de la phonotaxie entre espèces dans les reproductions explosives en Amazonie, c’est à dire l’existence où l’absence de relations interspécifiques, dans le son, nous nous engageons forcément à interroger la perception que nous, humains, avons d’un milieu. Le changement abrupt de dynamique induit par le phénomène est aussi le nôtre, et nous nous retrouvons physiquement et mentalement inclus dans un processus qui nous échappe. Nous sommes dérangés, attirés, fascinés, mais n’avons en aucun cas de réelle compréhension ou maîtrise de l’instant, de ses enjeux, des stratégies qu’il déploie. Écouter, observer, enregistrer, filmer, sans pouvoir dépasser le stade de l’interprétation.” livre Thomas Tilly en note d’intention de sa pièce dans le communiqué de presse de Métaboles.

Discussion suite au concert « Codex Amphibia (Phonotaxis) » de Thomas Tilly. © Luce Moreau
« Aquatocene » par Robertina Šebjanič. © Luce Moreau
Špela Petrič explique en conférence sa performance durationnelle « Confronting Vegetal Otherness: skotopoiesis », ou elle génère par son ombre une étiolation de la pousse du cresson. © Luce Moreau

La vidéo comme miroir du vivant

Dans cette manifestation, le médium vidéo tient aussi une place prépondérante. Avec sa vidéo Sous réserve de, Lena Hiriartborde présente ici sa captation de fourmis, réalisée au cœur la jungle. Des fourmis virevoltant et s’emparant des confettis que l’artiste leur fournissait sur son chemin.Un pas de deux poétique entre être humain et insectes rendant compte du vocabulaire créatif de cette jeune plasticienne pleine de promesse. “Mon travail porte sur la conscience de l’environnement et cet espace qui nous entoure et surtout de la perception que l’on s’en fait. Pour Métaboles j’ai présenté une vidéo qui a été faite dans la jungle avec des fourmis. J’ai déposé des confettis de couleurs le long de leurs sillons. L’ensemble forme une sorte de farandole.” argumente Lena. Autres projections lors de “Métabole s”, celle du film de Maxime Berthou Paparuda (2011), de Meraki du duo Voogt en avant-première, celle de Fountain (2014-2015) des artistes The Wa & Olabo, The Fish de l’artiste Jonathas de Andrade (2016) ou encore de Curupira, Bêtes des Bois (2019) de Félix Blume.

Les Voogt (Madely Schott et Phabrice Petitdemange) présentait pour la première fois leur film « Meraki » où ils ont investi pendant trois mois un camping abandonné attenant à une plage jonchée de vestiges plastiques. © F.Kolandjian
Zar Electrik. © F. Kolandjian
Postcoïtum. © F. Kolandjian
Ambiance nocturne à Jeanne Barret. © Luce Moreau

Une programmation en dialogue avec le quartier

Métaboles, c’est aussi une manifestation pensée en dialogue avec les habitants du quartier de Bougainville. Tout au long du temps d’exposition, des séances dédiées au public scolaire ont été mises en place et certains artistes programmés tels que Léna Hiriartborde réaliseront pendant l’été des ateliers avec les enfants du quartier. Une belle manière de faire, une fois de plus, corps avec son environnement.

Aussi, le choix des groupes de musique tels que Zar Electrik ou le Sirocco a été pensé pour satisfaire le plus grand nombre.

“Pour les concerts, on avait à cœur que cela puisse toucher les riverains vivant dans le quartier – avec par exemple des groupes ayant des influences électriques mais aussi des sonorités plus maghrébines, orientales. Postcoïtum ce sont des artistes de Jeanne Barret mais c’est aussi des personnes qui collaborent avec M2F Creations Lab Gamerz.” conclut Constance Juliette Meffre.

A travers ce commissariat, cette tension entre art et science, Métaboles nous confronte à la réalité de ce Monde, un monde riche, pluriel qui par sa force laisse espérer que l’être humain fasse son possible pour le sauver.

Le site web des Ateliers Jeanne Barret

Retrouvez notre précédent article sur les Ateliers Jeanne Barret.