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Ateliers Jeanne Barret à Marseille : le collectif Circulaire bouscule les codes de la production artistique

Photo: ©JeanneBarret

Installés dans le quartier de Bougainville dans le 15ème arrondissement de Marseille depuis 2019, les Ateliers Jeanne Barret, initiés par le collectif Circulaire, ont pour vocation d’être un lieu d’expérimentation, d’exposition et de production artistique. Rencontre avec Luce Moreau, Constance Juliette Meffre, Aurélie Berthaut et Gwenaelle Le Gal, membres du collectif Circulaire. 

Avril 2021. Les rayons du soleil transpercent la fine nappe nuageuse du ciel marseillais. Dans le quartier de Bougainville, quelques groupes de jeunes gens profitent des températures clémentes, accoudés sur les marches du métro. À quelques mètres de la station, sur le boulevard Sévigné, en face du parking de bus de la RTM, se dressent enfin les Ateliers Jeanne Barret. Occupé depuis 2019 par treize artistes et une dizaine de structures constituées en collectif, cet espace de 1500 m2 a pour vocation d’être un terrain d’expérimentation artistique, d’exposition, de production à la croisée des différentes pratiques, le tout en lien avec les habitants du quartier. « Jeanne Barret, ce n’est pas un collectif, mais un espace où réside un certain nombre d’artistes et de structures. Ce qui fait commun ici, c’est l’outil, le besoin d’un espace de travail, une envie de sortir d’une pratique individuelle ou encore l’envie d’aller vers une conception, une organisation collective », introduit Aurélie Berthaut, directrice de l’association Art-cade, gestionnaire de la Galerie des Bains Douches à Marseille.

Photo: © JeanneBarret

Jeanne Barret : une réponse au plan d’urbanisation d’Euroméditerranée 

En 2018, l’association Art-cade est contactée dans le cadre du projet Archist — initiative faisant le lien au sein de la galerie des Bains Douches entre architecture, art et paysage  —, par l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée. L’organisation décide alors de répondre à un appel à manifestation d’intérêt lancé par l’aménageur, « Move » (Massalia Open Village Experience). Derrière ce dispositif, la possibilité d’occuper un espace temporairement par la mise en place d’un projet innovant, tout en participant à l’activation d’un territoire charnière, celui de Bougainville, à l’intersection entre le centre-ville et les quartiers nord de Marseille. Avec eux, d’autres acteurs de l’économie sociale et solidaire sont sélectionnés tels que la Réserve des Arts Marseille ou encore les Alchimistes pour créer ensemble une nouvelle dynamique territoriale.

Pour ce faire, Aurélie Berthaut, alors à la tête de la Galerie des Bains-Douches, décide de réunir plusieurs acteurs du monde de la culture pour définir les grandes lignes de ce qui deviendra progressivement Les Ateliers Jeanne Barret. « J’ai réuni un certain nombre d’artistes et de structures avec qui je collaborais qui étaient mus par l’envie de déplacer leur pratique, de sortir de leur zone de confort ou qui avait besoin d’un espace de travail », introduit la directrice de la Galerie marseillaise avant de poursuivre : « Jeanne Barret, c’est 22 artistes et acteurs de la culture. Plasticiens, paysagistes, architectes, producteurs de cinéma, producteurs dans le spectacle vivant. Ils font tous partie de l’association Circulaire qui est au coeur de l’initiative Jeanne Barret. »‘

Photo: © JeanneBarret

Une gouvernance horizontale 

Pour mener à bien ce projet, le groupe s’est constitué en association, Circulaire, et mène aujourd’hui une gouvernance horizontale où une partie des membres actifs forme un collège solidaire au centre des décisions importantes. « En 2019, on a créé Circulaire, c’est une association loi 1901 qui n’est pas gérée par un Bureau, mais par un Collège Solidaire. À la base, on était quasiment tous dedans et pendant qu’on faisait des aller-retours avec les architectes sur l’organisation spatiale, on réfléchissait à notre fonctionnement », appuie Aurélie Berthaut. « On a finalement été contactés par une structure qui s’appelle France Active dans le cadre d’un DLA et on a été accompagnés par une super juriste. Grâce à elle, nous avons mis en place en 2020 un Collège Solidaire que nous avons élu de manière holacratique c’est-à-dire sans candidat. On a décidé que six d’entre nous en feraient partie. » Pour le reste des tâches, le collectif fonctionne par axe de réflexion porté par différents pôles. « On fonctionne avec une feuille de route sur l’année avec des axes sur lesquels il faut avancer tels que l’aménagement du lieu, le suivi administratif et les relations partenaires, la communication externe et les formations qui sont en lien avec la programmation, la communication interne, la régie du lieu, la question de la programmation et les relations avec le territoire. »

Photo: ©JeanneBarret

Une programmation créée par les artistes pour les artistes

Pour ce qui est de la programmation, elle est pensée en concertation avec l’ensemble des artistes du site. Ici, l’idée est avant tout de valoriser le travail des résidents de Jeanne Barret tout en créant un appel d’air en invitant des artistes et des collectifs extérieurs. « Jeanne Barret c’est avant tout un lieu de travail, de fabrique et d’expérimentation. Il ne s’agit pas de faire comme d’autres lieux d’exposition, car il y a déjà un gros tissu artistique sur le plan marseillais. Dans cet espace, nous voulons que les choses soient plus mouvantes. Et après ça s’écrit un peu au fil de l’eau en fonction des envies des artistes et des propositions extérieures », ajoute-t-elle.

Du 22 au 26 juin 2021 aura lieu le premier événement d’envergure aux Ateliers Jeanne Barret, Métaboles. Une manifestation portée par Luce Moreau, artiste résidente et membre active de Circulaire, co-directrice avec Paul Destieu de l’association M2F Créations Lab Gamerz à Aix-en-Provence et d’Otto-Prod à Marseille et Constance Juliette Meffre, directrice, productrice et commissaire d’exposition à D.D.A Contemporary Art, également membre de Circulaire. À travers une pluralité de propositions plastiques, vidéos et performatives, Métaboles propose de questionner les liens et les interactions entre les espèces dans un monde en constante renégociation.

« À la fin du mois de juin est programmé Métaboles, un événement qui regroupe des artistes de Jeanne Barret et de l’extérieur et qui questionne les relations inter-espèces et plus particulièrement le positionnement de l’humanité par rapport aux autres formes de vie. Ce sera le premier événement d’ampleur ici et on sera un peu tous mobilisés pour faire la médiation, le lien avec le quartier, l’accueil du public, faire le bar. Il y aura des installations qui seront présentées, des performances, des vidéos et différentes rencontres avec des artistes seront organisées », explique Luce Moreau. « C’est hyper intéressant d’adapter une telle programmation à un espace comme Jeanne Barret qui est assez colossal. C’est la première fois qu’il y a un aussi grand événement ici. Et même en terme d’infrastructures, il y a un vrai travail technique, de travail in situ. C’est un challenge en soi », ajoute Constance Juliette Meffre.

L’artiste Luce Moreau et la productrice Constance Meffre, ici dans le cadre de la collaboration avec le Hervé Mugnier (MIND) pour concevoir une imprimante 3D à cire d’abeille – projet qui sera exposé lors de Métaboles © Diffusing Digital Art
Confronting Vegetal Otherness: Skotopoiesis » par Špela Petrič sera également présenté à Métaboles @ Kapelica Gallery
Maxime Berthou et Mark Požlep présenteront leur aventure sur le Mississippi « Southwind Project ». © Southwind Project

S’inscrire sur le territoire 

Autre ambition des Ateliers Jeanne Barret, celle de s’inscrire sur son territoire en créant du lien avec les habitants du quartier. Pour ce faire, les artistes du site ont décidé de mettre en place des ateliers jardinage, à destination des enfants et des jeunes du territoire. « Au départ, on a commencé en faisant des ateliers avec les gamins du quartier en extérieur parce qu’on ne pouvait pas accueillir du public à l’intérieur. On avait deux thématiques qui étaient celles de l’espace et du paysage en prenant des cartes et des photos par exemple. On essayait de leur faire comprendre ce qui nous entoure, notre quotidien, comment on l’interprète », déclame Gwénaelle Le Gal, paysagiste et chargée de projet et des actions locales chez Jeanne Barret. « Et puis progressivement, on a mis en place des ateliers de jardinage avec les enfants et les parents mettent aussi la main à la patte. On essaye de faire comprendre aux enfants comment on arrive à jardiner en ville en leur montrant par exemple comment fabriquer de la terre. On travaille avec les Alchimistes sur ce projet, qui nous rapporte des déchets pour réaliser la matière. » Une inscription sur le territoire et une mise en lien avec les riverains qui a finalement pour vocation d’aller vers une pérennisation de cet espace hors du commun bougeant les lignes de la production et des normes de monstration artistiques.

Ateliers Jeanne Barret, 5 boulevard de Sévigné, 13015 Marseille
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Métaboles, du 22 au 26 juin 2021, Marseille.