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Open-santé, communs opérants… Entretien avec Hugues Aubin

Fresque murale Covid-19, Dje Aye.

Comment transformer la coopération internationale et pluridisciplinaire qui s’est mise en place en réponse à la crise sanitaire du Covid-19 ? Échanges avec Hugues Aubin, administrateur du Réseau français des fablabs et fondateur du Climate Change Lab.  

Ce n’est pas fini. La crise sanitaire du coronavirus a été un catalyseur et les makers ont trouvé leur ancrage dans une communauté élargie. Par leur agilité, leur solidarité et leur rapidité d’exécution et de réponse, ils ont prouvé que les fablabs, leurs outils et leurs processus, avaient un impact direct sur leur territoire d’implantation. Les makers ne sont plus des bricoleurs du dimanche amateurs d’imprimante 3D mais un réseau de personnes aux compétences complémentaires capables de mobiliser rapidement de la main d’œuvre et de collaborer avec des organismes institutionnels ou privés. Les entreprises et les collectivités territoriales, qui déjà posaient un œil intéressé sur la galaxie fablab, sont plus intéressées que jamais. Et maintenant ? 

Entre réseau de santé ouverte, communs opérants et traque de la perte en ligne, Hugues Aubin, ancien vice-président du Réseau français des fablabs (RFF), co-fondateur du projet Makers Nord Sud, du humanlab de My Human Kit et président du Climate Change Lab, nous propose 7 points pour aller plus loin. 

Hugues Aubin, acteur polyvalent des réseaux de maker. © Hugues Aubin

1/ Conserver des réseaux de veille mobilisables rapidement 

Les makers aiment la coopération. En temps de crise, et alors que bien des passerelles traditionnelles étaient bloquées, ce mode d’organisation a payé. Forte des réseaux d’échanges informels, la communauté a organisé une conversation internationale via différentes plateformes.

Just One Giant Lab (JOGL) bien sur, projet d’open science porté par Thomas Landrain que Makery a longuement couvert, mais aussi par exemple la chaîne Discord mise en place par Monsieur Bidouille, la communauté de Héliox, Makers contre le Covid et sa cinquantaine de sous-groupes ou Visière solidaire qui continue de se mobiliser pour des actions comme le Téléthon. 

Alors que les makers français sont sortis de la phase de réponse d’urgence, « il reste une coalition d’acteurs internationale mobilisée très importante ». Les membres du réseau international et pluridisciplinaire #Openhealth, issus de l’initiative Openmedicalsupplies notamment, se regroupent chaque mois autour de la question de la santé ouverte. Lors de leur dernière rencontre, les indiens de Makers Asylum ont ainsi appelé la communauté à l’urgence et au soutien de leur projet M19. « Ça a secoué tout le monde et ça a rappelé l’importance d’un réseau mobilisé. Il faut des acteurs en veille qui puissent être invoqués et mis immédiatement en posture de contribution ou activés comme dans un réseau de sécurité civile », préconise Hugues Aubin. Il faut aussi garder les liens tissés avec le monde soignant, « ce lien d’expertise et de témoignages des personnes qui ont l’expérience de la réalité du terrain. »

2/ Mettre en place les communs opérants 

Si ces réseaux sont porteurs de grandes promesses, encore faut-il s’assurer que les idées devenues solutions passent du cloud au terrain. «JOGL a un potentiel énorme, c’est une magnifique plateforme d’open-science, illustre Hugues Aubin. Mais combien de ces projets existent sur le terrain ? ». Aubin regrette qu’il n’y ait pas de mesure de la corrélation entre l’augmentation des résultats de recherches déposés en open-science et l’effectivité de leur utilisation terrain. 

Il faut maintenant se concentrer sur la mise en place de « communs opérants », un commun qui est « dans sa conception et son incarnation, son impact, quelque chose qui ne reste pas à l’état de bien commun numérique mais qui est légalement incarné, re-fabriqué et réparable».  

Concrètement, cela suppose l’implication de nouveaux acteurs pour combiner et re-programmer des ressources en vue de fabrications à de nouvelles échelles. Exemple emblématique de projet ouvert pour une fabrication de niveau industriel : MakAir, un projet de respirateur artificiel open source, conçu par le collectif Maker for Life, en collaboration avec le CHU et l’université de Nantes et avec le CEA et soutenu par des industriels internationaux tels que Seb, HP ou Renault ainsi que des collectivités territoriales. 

Hugues Aubin prend aussi l’exemple d’Yves Rocher, qui pendant la crise a massivement fabriqué des gels hydro-alcoolique à partir de la formule de gel de l’OMS ; ou Petit Bateau et ses masques en tissus fabriqués à partir des modèles préconisés par l’organisme éditeur de normes Afnor. « Ces entreprises ont fabriqué des objets dont la formule était sur Internet, à disposition dans le bien commun de l’humanité. » Ou encore cette initiative « d’usine partagée » en Normandie, par laquelle les ressources machines du public et du privé ont été mises dans un catalogue virtuel pour pouvoir fabriquer des objets de crise en 2020.

« Nous ne sommes pas trois bidouilleurs dans un coin. Il y a énormément de pistes et de prises de conscience. »

La série de MakAir au CEA. © Johanne Auclair

3/ Simplifier et adapter les processus de certification

Cela a été un casse-tête pendant la réponse à la crise sanitaire : comment obtenir les homologations nécessaires à du matériel médical très régulé ? « C’est une question qui a pris du relief pendant la pandémie mais en réalité le contrôle qualité des modèles distribués est un marronnier ». 

S’il existe aujourd’hui un corpus pour apposer des licences à du matériel libre ou open hardware, il y a beaucoup de progrès à faire dans l’interopérabilité des validations (nationale et régionale en France ou entre pays à l’international) lorsque les objets sont fabriqués sur la base des mêmes plans ou sont reconnus par des entités homologues. 

Ainsi par exemple, en 2020, l’obtention du feu vert pour l’utilisation d’un objet dans un CHU sur le territoire d’une Agence Régionale de Santé ne permettait pas l’utilisation du même objet dans une autre région en France. «Il faut arriver à un niveau minimal de reconnaissance de la certification par des pairs, pas nécessairement de niveau légal mais sur des pièces de réparation qui peuvent être critiques », préconise-t-il.  

4/ Se confronter au terrain

C’est l’un des enjeux majeurs de cette collaboration internationale : mettre en action un réseau de bonne volonté, c’est bien, encore faut-il qu’il ait un impact concret sur le terrain. Or, sur ce point, le bât blesse, selon Hugues Aubin. « Il y a plus de contributions en ligne mais pas assez de matériel disponible pour qu’il y ait une véritable appropriation et démocratisation. Il manque quelque chose pour qu’il y ait une progression de cause à effet. »

Un défi que tente de relever le collectif Makers Nord Sud.  Lancé en mars 2020 le projet de coopération en santé ouverte est lancé au moins jusqu’à 2023 avec pour objectif de créer des chaînes pour relier des besoins de santé à des réponses non exclusives. Avec le soutien du Réseau des Fablabs Français, et de nombreux partenaires, les fablabs africains s’équipent et se mettent en réseau pour appliquer leur savoir-faire à la santé des populations autour d’eux. 

Respirateur artificiel créé par ENCI, Ecoteclab, M.Akakpo ; TIDD – Togo. © reffao.org

5/ Penser Fab City, ou plutôt « territoire reprogrammable »

La crise sanitaire et la mise en péril des réseaux de distribution internationaux a rappelé de manière brutale l’importance du local. Pour Hugues Aubin, c’est également un point essentiel pour s’assurer qu’une idée peut résister à la réalité du terrain. 

Pour faire une prothèse en métal open-source, illustre-t-il, il faut savoir travailler le métal. « Il faut donc identifier les endroits où il y a des compétences qui permettent de recomposer des ressources plutôt que de tout raser et former des gens à faire ce que d’autres savent déjà ». Dans notre cas, par exemple, un réparateur de vélo. Pour ce dernier, il s’agira d’une opportunité de diversification ; pour les makers, il s’agit de tisser un réseau de fabrication dans un rayon de 100km. C’est ce que Hugues Aubin appelle le « surcyclage local », un upcycling des compétences pour créer un « territoire reprogrammable », énonce-t-il. « Lorsqu’on ferme une usine, on peut reprogrammer les anciens robots pour qu’ils fassent autre chose que peindre des voitures. Si on le fait par design, cela change tout. Il faut qu’on envisage que les personnes, les machines et les espaces sont capables de fabriquer autre chose en apprenant. »  

6/ Documenter les processus

Autre point essentiel pour s’assurer la mise en œuvre effective des solutions : documenter les processus notamment humains autant que les procédés techniques afin d’éviter ce que Hugues Aubin appelle « la perte en ligne ». Ainsi par exemple des hackathons qui ont donné lieu aux prototypes My Human Kit. « A l’issue de ces hackathons, il y un savoir faire stupéfiant pour conduire un groupe à se sentir capable de refaire la même chose, de continuer sur d’autres problèmes. Comment faire pour refaire ce format ? On documente rarement le public, la jauge, le déroulé, les sources pédagogiques supports…, regrette-t-il. La socialisation des objets et la transmission entre groupes est cruciale. »

Comment reproduire les processus humains d’un hackathon réussi ? Ici, le Hackathon du Music Tech Fest, à Berlin. © Elsa Ferreira

7/ Penser les prochains défis  

La communauté internationale qui s’est mise en place en réponse à la crise sanitaire le savait : si le coronavirus a été un baptême du feu, les processus et méthodes qui se mettent en place n’ont pas vocation à être éphémères. 

D’autant que les prochains défis sont déjà identifiés et urgents, à commencer par le changement climatique. Dans cet enjeu, le rôle d’Internet est essentiel, rappelle Hugues Aubin, à condition qu’il soit neutre et commun et non pas fermé et spécifique à chaque pays. « On pense le changement climatique à un niveau environnemental mais il est aussi géopolitique. Un des premiers choix est une forme de planète qui est en compétition ou en coopération. En découlera le partage ou non de solutions potentiellement vitales.»