Makery

« Et pourtant il dévie » : Discussion sur la vie extraterrestre et « `Oumuamua » avec Avi Loeb

La version aplatie, en forme de crêpe, de Oumuamua. Crédit : Mark Garlick

Dans son livre « Le Premier Signe d’une vie intelligente extraterrestre », Avi Loeb, ancien directeur du département d’astronomie de l’Université de Harvard, confirme que le mystérieux premier objet interstellaire détecté, `Oumuamua, pourrait être un signe de vie extraterrestre. Chronique.

Depuis des décennies, la communauté SETI tente de réunir des fonds pour financer plus d’observations par téléscope, dans l’espoir d’un nouveau « Signal Wow », un signal radio reçu pour la première fois en 1977 qui tient son nom d’un « Wow » griffonné en marge du journal d’observation. De nombreux lecteurs se souviendront d’avoir installé le logiciel SETI@home sur leur ordinateur, pour contribuer à la recherche de signaux provenant d’une civilisation extraterrestre a priori intelligente. Aujourd’hui, dans un développement spectaculaire, un pilier très respecté de la communauté astronomique, le professeur Avi Loeb, ancien président (2011-2020) du département d’astronomie de l’Université de Harvard, directeur fondateur de la Harvard’s Black Hole Initiative et directeur de l’Institute for Theory and Computation au Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, vient de publier un livre bien promu, Le Premier Signe d’une vie intelligente extraterrestre (Seuil, 2021), qui affirme que la seule explication possible au mystérieux premier objet interstellaire observé, « `Oumuamua » (nom hawaïen du télescope qui l’a découvert), détecté en 2017, est qu’il s’agit d’un artefact extraterrestre. Ce serait selon lui, une sorte de « voile à lumière », ou un morceau de déchet spatial extraterrestre, qui aurait dévié anormalement de sa trajectoire vers notre Soleil, sans émettre de gaz, comme une comète ou un astéroïde. L’objet a été illustré de manière inexacte en 2017 sous forme d’un long rocher, mais en fait nous n’en n’avons pas d’images réelles.

La première forme proposée pour `Oumuamua était une roche oblongue en forme de cigare. L’estimation de la longueur de l’objet va de dizaines à des centaines de mètres, jusqu’à la taille d’un terrain de football. Credit: ESO/M. Kornmesser

Makery a eu une brève conversation avec Avi Loeb sur les bouleversements qui pourraient se produire si des preuves de l’existence de civilisations extraterrestres étaient trouvées. Nous lui avons demandé s’il pouvait y avoir un équivalent moderne des premiers programmes SETI@home auxquels la communauté maker pourrait participer, pour aider à détecter les artefacts interstellaires qui passeraient par là. « Oui, dans l’étude du ciel LSST (Large Synoptic Survey display), mise en place à l’observatoire Vera Rubin (actuellement en construction au Chili), et qui devrait être mise en ligne en 2022, le public pourrait rechercher dans les données des objets inhabituels se déplaçant plus rapidement que prévu. La limite extrême concernera des objets proches de la vitesse de la lumière. »

En d’autres termes, Loeb propose une recherche scientifique citoyenne open-source dans les données streamées du nouveau télescope, contrairement à SETI@home, qui était une approche crowd-source pour fournir de la capacité de calcul aux radiotélescopes.

Ces objets pourraient être des « reliques » d’autres civilisations, ou des « balises » interstellaires, selon le LSR (Référentiel au Repos Local – une moyenne de tous les mouvements des étoiles de la Voie Lactée par rapport à notre Soleil), qui montre que notre système solaire se déplace 10 fois plus vite que l’objet en question. Nous avons demandé à Avi Loeb si les implications de la découverte d’autres civilisations allaient changer l’histoire sociale et politique du monde. Pourrait-il donner un exemple de ce qui pourrait se produire ? « Les implications ont été résumées dans les commentaires que j’ai écrits, par exemple : « Comment notre civilisation peut-elle mûrir ? De la même façon que les enfants : en quittant la maison, en se promenant dans le quartier, en rencontrant les autres et en comparant leurs notes avec eux. En d’autres termes, nous pouvons estimer les perspectives de nos réalisations technologiques actuelles en nous engageant dans la recherche d’une intelligence extraterrestre. Comme notre propre développement technologique s’accélère de manière exponentielle avec un temps de « e-folding » de quelques années, il est difficile d’imaginer à quoi ressemblerait une technologie beaucoup plus avancée, élaborée par une civilisation ayant vécu sur une échelle de temps cosmique – des milliards de e-folding ». Loeb ajoute : « Trouver la vie sur une autre planète aurait un impact profond sur la psychologie humaine, aussi bien que sur la philosophie et la religion, et pas seulement sur la science et l’astronomie. D’une manière générale, il n’est pas exagéré de supposer que cette découverte aurait également un impact sur le comportement des gens et leurs interactions ici sur Terre, car nous pourrions avoir le sentiment de faire partie d’une seule et même équipe, l’humanité, et cesser de nous concentrer sur des questions triviales comme les frontières géographiques. » Loeb souligne que des milliards de dollars ont été dépensés pour la Seconde Guerre mondiale, et spécule sur ce qui en aurait résulté si la dépense avait été plutôt consacrée au SETI.

Le livre de Loeb critique les effets de la science-fiction sur le public. L’auteur affirme que beaucoup de préjugés dans le monde de la science envers la recherche d’une civilisation extraterrestre viennent des tropes créés par la science-fiction. Mais inclue-t-il dans sa critique la SF intelligente, comme celle de Iain M. Banks dans sa série La Culture, ou celle de Liu Cixin dans Le problème à trois corps – une approche très intelligente des messages SETI et de leurs dangers ? Loeb est d’accord : « En effet, certaines histoires de science-fiction, comme celles que vous mentionnez, sont très utiles pour élargir notre imagination et montrer les frontières de la science et de la technologie. » Il est intéressant de noter que le dernier livre de Liu Cixin, Boule de foudre, dépeint le piratage de SETI@home par des militaires chinois.

« Et pourtant il dévie »

En citant le récit historique des religieux refusant de regarder dans le télescope de Galilée, Loeb établit un parallèle avec le déni du changement climatique et de la pandémie. Nous lui avons demandé s’il considérait que c’était le cas. « Oui, les preuves sont la clé pour réviser nos notions de la réalité. La science est un dialogue avec la nature, pas un monologue, comme je l’ai expliqué dans mon livre. » (Loeb est critique à l’égard des domaines de la physique théorique qui ne peuvent être prouvés, et qui captent les ressources de la recherche, comme la supersymétrie et la théorie des multivers, qu’il considère comme une recherche de « bac à sable ».) « La pression sociale ne façonne pas seulement les spéculations populaires dans le domaine de la théorie, mais limite également l’exploration empirique de notions beaucoup moins spéculatives avec des instruments dont nous disposons facilement. Par exemple, la recherche des signatures technologiques des civilisations sur les exoplanètes – sous forme de pollution industrielle, de lumière ou de chaleur artificielle, de cellules photovoltaïques, d’artefacts structurels ou de satellites artificiels – aurait pu être menée avec beaucoup plus de rigueur si le courant dominant n’avait pas été réticent à poursuivre cette tâche. Les préjugés et la pression des pairs qui en découlent font écho au refus de certains philosophes de regarder à travers le télescope de Galilée. »

Le livre de Loeb fait de nombreuses références à la réfutation politique de Galilée lorsqu’il a été forcé de se rétracter sous la menace de la torture après avoir montré que la Terre tournait autour du Soleil, contrairement à l’orthodoxie de Ptolémée. « Et pourtant, elle tourne », disait-il en croisant les doigts derrière son dos. Dans sa description du comportement anormal de `Oumuamua, Loeb s’identifie évidemment à Galilée en déclarant « Et pourtant il dévie ».

Trajectoire de `Oumuamua par date, vue de la Terre. La taille relative de chaque cercle donne une idée de la distance de `Oumuamua le long de sa trajectoire apparente. Sont également indiqués le mouvement du Soleil selon le Référentiel au Repos Local (en violet, « Solar apex »), Vénus (en vert), Mars (en rouge), Uranus (en turquoise) et la direction opposée au mouvement du Soleil (en violet, « Solar antapex »). La trajectoire d’`Oumuamua s’est déplacée selon le Référentiel au Repos Local au sud du plan écliptique (marqué par la fine ligne jaune) du système solaire entre le 2 septembre et le 22 octobre 2017.
Trajectoire de `Oumuamua à travers la région intérieure du système solaire, datée hebdomadairement. Les positions des planètes sont fixées au moment où `Oumuamua se rapproche le plus du Soleil (périhélie), le 9 septembre 2017.

« Le futur sera interdisciplinaire »

Loeb est également le président du conseil consultatif de Breakthrough Starshot, un projet radical pour atteindre une autre étoile dans 20 ans, au moyen de minuscules « voiles à lumière » propulsées par un puissant laser, financé par le milliardaire russe de la tech Yuri Milner. La communauté des jeunes ingénieurs, des scientifiques et des artistes aurait-elle un rôle à jouer en participant à Breakthrough Starshot, peut-être sur le modèle du projet Lightsail 2 de la Planetary Society ? « Oui, certainement. L’expertise en ingénierie est évidemment utile : En principe, nos vaisseaux spatiaux seraient relativement bon marché, la plupart des investissements étant consacrés à l’infrastructure (laser et systèmes de lancement). Une fois en place, ces engins spatiaux ne coûteraient qu’environ 100 dollars (environ 88 euros) chacun, et l’idée serait donc d’en lancer plusieurs (peut-être un par jour). Nous pourrions éventuellement les diriger vers différentes cibles, certains visitant d’autres planètes et systèmes au fur et à mesure de leur voyage vers leur destination finale. Et, étant donné la vitesse à laquelle ces vaisseaux spatiaux – qui auront la taille d’un téléphone portable – voyageront, ils seraient capables d’atteindre un certain nombre de cibles intéressantes au sein du système solaire dans des délais relativement courts. » La section « Challenges » de Breakthrough Starshot encourage les citoyens scientifiques et ingénieurs à enrichir la base de connaissances.

Cela rappelle étrangement le projet Aerocene Explorer de Tomás Saraceno. Loeb ajoute que les sciences humaines peuvent également contribuer : « Les philosophes, les sociologues, les psychologues et les artistes devraient participer au développement futur de la technologie, afin qu’elle corresponde mieux aux besoins et aux valeurs humaines. Comme les canaris dans une mine, les humanistes ont la boussole morale pour nous avertir des dangers imminents pour notre société future. Ils possèdent également la capacité d’imaginer les réalités auxquelles nous devrions aspirer avant que les scientifiques ne les développent. Il ne fait aucun doute que l’avenir sera interdisciplinaire et que les humanistes devraient jouer un rôle majeur pour le façonner. »

Il y a eu un prolongement intéressant à cette histoire, qui s’est déroulé pendant que je lisais Le Premier Signe d’une vie intelligente extraterrestre. Non seulement les critiques de l’astronomie orthodoxe attaquaient la thèse de Loeb, mais aussi la communauté SETI. Dans un Questions-Réponses incendiaire après le Golden Webinar on Astrophysics du 12 février dernier, la directrice de l’Institut SETI, la Dr Jill Tarter, qui a inspiré l’héroïne incarnée par Jodie Foster dans le film Premier Contact, s’est opposée à Loeb sur sa décision de rendre publique l’affirmation selon laquelle « `Oumuamua était très probablement un artefact extraterrestre » : « Avi, je suis un peu énervée quand tu jettes aux orties toute la culture scientifique. Parce que certains d’entre nous réfléchissent depuis très longtemps à des anomalies – et construisent des instruments pour les trouver. Et je pense que lorsque nous disons que « si nous devions annoncer une telle nouvelle, nous aurions besoin de preuves extraordinaires », c’est pour nous différencier de la pseudo-science, avec ses OVNI, et toutes sortes d’affirmations sur des choses que les gens auraient détecté. »

Loeb a répondu en disant qu’au contraire, il estimait que des institutions comme le SETI devraient être financé mille fois plus, mais que le public avait le droit de connaître la pensée scientifique qui sous-tend l’analyse des données, plutôt que de « révéler » au moment opportun, lorsque toutes les preuves auront été réunies. On peut comprendre la frustration des chercheurs du SETI, qui ont travaillé malgré les préjugés du courant dominant pendant des décennies, quand un ancien gardien de l’astronomie orthodoxe devient un défenseur du SETI du jour au lendemain. Loeb admet lui-même dans le livre que lorsqu’il dit aux étudiants et aux post-doctorants que « des aperçus fugaces ont tendance à stimuler le domaine », ils ont tendance à réagir : « C’est facile à dire pour vous, président du département d’astronomie de Harvard ».

La réponse de Loeb à Tarter a provoqué une tempête sur Twitter, et il s’est ensuite excusé auprès d’elle. Mais à mon avis, dans son livre, soigneusement raisonné et accessible, Loeb démontre que la science ne devrait pas toujours être entre les mains de ceux qui tentent de sanctionner et de contrôler les informations sur les processus de la recherche.

Agents non-humains

Il y a une forte opposition de la part de nombreux scientifiques à l’opinion tranchée de Loeb. Selon eux, Loeb fait appel au tribunal de l’opinion publique et aux scientifiques « amateurs », et il existe d’autres explications au comportement anormal de l’objet interstellaire. Mais ironiquement, le second objet interstellaire observé, 2I/Borisov, un objet qu’on peut comparer à `Oumuamua – a été découvert par un astronome « amateur » de Crimée, Gennadiy Borisov.

La controverse autour du livre de Loeb rappelle une autre prise de bec – sur la programmation de messages du SETI ou « METI » en 2015, lorsque plusieurs membres du conseil d’administration du SETI ont démissionné en raison de la tolérance de l’Institut envers le programme de l’astronome russe Alexander Zaitsev. Je me souviens avoir assisté au premier Symposium IAA Search for Life Signatures à Paris, lorsque ce différend était en cours, et avoir rencontré pour la première fois Špela Petrič et Miha Turšič, dans le cadre du projet Voyager/ Non-human agents, une tentative ambitieuse de « mettre à jour » Voyager 2 alors que la sonde était encore à portée, avec un algorithme d’intelligence artificielle qui s’appuierait « sur les informations transportées dans son processus, permettant une collecte de données ouverte basée sur des mathématiques universelles. Le message est remplacé par une entité exprimant son propre agencement. » (Petrič).

Dans la conclusion de Le Premier Signe d’une vie intelligente extraterrestre, Loeb préconise aussi de délivrer un message, une indication de notre niveau de connaissance sur les origines de l’univers : « Une rencontre avec une autre civilisation peut être humiliante… Une telle civilisation connaîtra sans doute les réponses à un grand nombre de questions que nous n’avons pas comprises et que nous n’avons peut-être pas posées. Mais pour que nous puissions acquérir une certaine crédibilité intellectuelle, il serait bon de commencer la conversation en offrant notre propre sagesse scientifique sur la façon dont l’univers est né. »

Avi Loeb, Le Premier Signe d’une vie intelligente extraterrestre, Seuil, 2021, 272 pages, €19.