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Vulca et la mobilité des makers : rencontre avec Alexandre Rousselet

Alexandre Rousselet et le van Vulca. © Vulca

Dans le cadre des efforts de MakersXchange (MAX) pour définir l’état de l’art des programmes de mobilité pour les makers, Makery et UPTEC Porto mènent une série d’entretiens approfondis pour mieux comprendre les besoins des makers en perspective d’un futur programme pilote porté par MAX. Nouvel entretien avec Alexandre Rousselet de la communauté européenne de makers Vulca.

Correspondance,

MAX (Makers’ eXchange) est un projet pilote, cofinancé par l’Union européenne, qui vise à définir et à tester des politiques et des actions soutenant la mobilité et les échanges d’expériences entre les Industries Culturelles et Créatives (ICC), les creative hubs, les makerspaces, les fablabs et les systèmes d’apprentissage formel et non-formel, de développement de compétences de manière intersectorielle, et ayant pour objectif d’intégrer les programmes de mobilité des makers pour le développement des compétences et l’inclusion dans les programmes traditionnels de soutien, les politiques et les écosystèmes des ICC à travers l’Europe.

Alexandre Rousselet est le co-fondateur et infatigable animateur de la communauté européenne de makers Vulca. Impossible d’aborder la mobilité des makers en Europe sans discuter avec lui.

Makery : Pouvez-vous vous présenter ? Avez-vous travaillé en tant qu’indépendant et/ou êtes-vous impliqué dans des organisations culturelles/makers ?

Alexandre Rousselet : Entre 2015 et aujourd’hui, j’ai visité plus de 350 makerspaces, fablabs et hackerspaces dans 36 pays sur l’ensemble du continent européen, et j’ai eu la chance d’avoir été hébergé quelques jours chez la majorité d’entre eux. J’ai aujourd’hui 29 ans, et je suis diplômé d’un bachelor en relations internationales obtenu en Irlande en 2013. Cette expérience m’a ouvert les yeux sur deux choses : le monde, grâce à mon expérience universitaire multilingue et culturelle ; la communauté maker/hacker que j’ai découverte en Irlande, et en pleine expansion en Europe. Le résultat a été qu’avec des amis Erasmus, nous avons créé l’association VULCA – European Program qui avait (et a toujours) pour objet d’inspirer et de sensibiliser au développement de la mobilité et de résidences européennes à destination de ce mouvement maker/hacker, dans les lieux qui le composent (makerspaces, hackerspaces, fablabs, biohack labs, open workshops). C’est ainsi que nous avons mis en place différentes actions.

Tout d’abord le Vulca Tour, pour identifier les communautés en allant directement à leur rencontre. Vous pouvez trouver un bref aperçu de notre road map à la rencontre du mouvement maker et hacker. Nombreux sont ceux déjà reconnus par la Commission Européenne, grâce au travail du Joint Research Center (Paulo Rosa et son équipe), dans le rapport « Overview of the Maker Movement in the European Union ». Il en reste encore beaucoup à découvrir.

Vue de l’intérieur du van Vulca. © Vulca

On porte aussi les Vulca Seminars, pour faire se rencontrer, discuter et partager les communautés rencontrées sur la route, autour de la question de makers en résidence. Après chaque édition, le partage d’expérience de chacun, mais aussi la rencontre des réseaux à facilié la naissance de nouvelles résidences de makers, que nous avons commencé à lister et à documenter dans Vulca Experimenta.

Vulca Experimenta est là pour expérimenter avec ceux qui le souhaitent la mobilité en condition réelle et dans tous ses aspects. C’est ainsi qu’aujourd’hui notre association a contribué à des expériences comme par exemple : des relations France / Serbie, Todor Cvetanovic de Garage Lab (Serbie), qui a pu séjourner en résidence pour 5 semaines au FunLab de Tours (France) ; Amérique Latine – Europe, où Fernando Daguanno, maker d’Amérique latine, a fait des ateliers dans 10 fablabs du Portugal et d’Espagne. Des résidences que nous avons accompagné dès le début ; France – Italie où le Fablab de Vérone a accueilli Julien Bonnaud, maker français du Bocal à Chemillé pour 3 mois de résidence ; ou encore en Grèce, Slovénie ou Portugal dans cette liste.

Enfin, la méthodologie « Experimenta », nous permet d’accompagner des futurs makerspaces à intégrer la “résidence de makers” au cœur de leur stratégie de développement. Vous pouvez en apprendre davantage par exemple sur les projets à Casa Branca ou à Manzat.

Au Fablab Verona. © Vulca

Où situez-vous votre pratique de « maker » ?

Je suis un « maker de lien ». Certes, le mouvement maker ne m’a pas attendu pour créer des connexions, c’est sur la mise en relation que je suis le plus à l’aise. Depuis la création de Vulca, j’ai mis en relation à distance des centaines de personnes; et permis à tout autant de se rencontrer physiquement.

Avec Vulca, nous n’avons pas inventé la « mobilité des makers » ou les « makers en résidence ». C’était déjà existant et très présent sur le continent depuis longtemps ! Nous l’avons juste mis en lumière, et nous aidons à notre mesure ceux qui souhaitent vivre une telle expérience. Recevoir ou envoyer un maker est toujours une expérience formidable !

Maker Faire Vienne, Autriche. © Vulca
FabLab Kamp-Lintfort, Allemagne. © Vulca

Comment définissez-vous ce que l’on appelle la « culture maker » ?

La « maker culture », qui peut également être appelée culture « Do-It-Yourself » parle du mouvement de partage des compétences très informelles, hautement en réseau distribué. Derrière de multiples définitions du mouvement makers (DIY, tinkers, …), ce sont des concepts de pratiques qui se situent en dehors des domaines directement professionnels. Compte-tenu des multiples définitions du “maker” et de ce que la fabrication pourrait accomplir, nous définissons provisoirement les makers comme des individus créant des artefacts. Le plus souvent sous la forme de solutions matérielles et logicielles pratiques visant des problèmes et défis du monde réel. Ils répondent ainsi à un besoin quotidien, ne serait-ce que du point de vue particulier d’un maker individuel, d’une manière pratique et ingénieuse avec un souci de pertinence.

Je peux aussi vous partager en conclusion, une vidéo qui présente et résume notre vision du mouvement makers, que nous avons réalisée l’an passé sur la route.

Avez-vous déjà participé à des programmes de mobilité dans le passé ? Pouvez-vous nous parler de votre/vos expérience(s) ?

En effet, j’ai déjà participé à deux programmes de mobilité. D’abord en 2012, avec Erasmus pour mes études. En tant qu’étudiant français, je suis parti un an en Irlande (Institut of Technology Sligo) pour mon bachelor. Ce fut la meilleure expérience de ma vie. Une immersion d’un an dans un nouveau pays, qui fut aussi ma première approche avec le mouvement maker/hacker. La facilité d’accès à ce programme est très importante. Il fallait simplement avoir un niveau scolaire correct, se porter candidat et passer le TOEC. Ensuite l’administration de notre université s’est occupée de tout, le suivi de dossier et le cofinancement. Je n’avais plus qu’à partir et me concentrer sur mes études.

Ensuite en 2017, j’ai participé à Youth Exchange. C’est un sous-programme européen (dans le cadre du programme global Erasmus+). Les échanges permettent à des groupes de jeunes de différents pays de se rencontrer, de vivre ensemble et de travailler sur des projets communs pendant quelques jours. Ces échanges se déroulent en dehors du cadre scolaire. C’est un échange dans lequel nous sommes invités à participer à différentes activités : ateliers, exercices, débats, rencontres avec des locaux, etc. Pour ma part, je suis allé en Grèce à Komotini. En fin de session un « Youthpass » (une sorte de validation des compétences) nous était par ailleurs remis. Il permet de prouver l’existence de l’échange et les expériences d’apprentissage des participants. Le mouvement maker est à ce propos de plus en plus actif sur une approche similaire : les open-badge (voir le travail de nos amis du Dôme à Caen). Il serait judicieux de s’appuyer sur leur travail !

Pour conclure, Erasmus a plus de sens pour moi car l’expérience est plus longue, mais aussi le but est clairement défini dès le départ. J’ai gardé de bons amis grâce à Erasmus, avec lesquels je travaille professionnellement aujourd’hui, contrairement au Youth Exchange, qui était beaucoup plus court, avec un résultat moins tangible.

Erasmus 2013 – Sligo – Irlande.

Quels étaient vos contextes préférés lorsque vous avez participé à des programmes de mobilité en Europe ou à l’étranger ? Ateliers ? Symposiums ? Formations ? Résidences ?

Peu importe. Vraiment ! Il faut garder tout ça, et adapter en fonction de la nature de la résidence ! J’insiste sur une chose très importante : dans le cadre du mouvement maker, il est important que le matchmaking s’opère sur la base de projets. En effet, la cohésion entre le résident et la communauté locale sera toujours plus forte si les deux parties ont un fil rouge, un objectif commun à réaliser ensemble et qui plus est, sera complémentaire à sa bonne réalisation. Ainsi, je pense que plus la venue du maker sera basée sur un projet local, plus la résidence sera qualitative.

Fablab Roskilde – Danemark. © Vulca

Après, ce que je préfère, c’est l’immersion totale. L’idée de ne plus avoir ses repères et ainsi étendre sa zone de confort. Une nouvelle langue, culture, les us et coutumes. De nouvelles personnes, un nouveau réseau. Une complémentarité de points de vue et de visions du monde impossible à retrouver en temps normal à notre niveau local avec nos proches. Sans parler de la diversité des compétences qui se rassemblent sur le projet à mener en commun.

Je tiens à souligner un détail qui a son importance. ”Partir seul, même si c’est dur ». Éviter au maximum de partir en groupe. En Erasmus, les étudiants avaient tendance à rester entre nationalités. Durant mon expérience “YouthExchange”, les nationalités communes restaient plus facilement ensemble sur les ateliers ou les repas, par exemple. Mon expérience m’a appris que l’impact est plus puissant pour les deux parties, lorsque la mobilité se fait individuellement plutôt qu’en nombre.

Qu’est-ce qui vous a manqué pour mieux développer votre pratique créative ? Voyez-vous des lacunes dans les programmes de mobilité en ce qui concerne les pratiques et la culture des makers ?

La principale lacune c’est que le mouvement maker n’entre pas dans les cases bien définies des programmes existants. Faisons un bref tour d’horizon de quelques programmes : Erasmus c’est pour l’Education, Creative Europe c’est pour la Culture, H2020 est orienté innovation. Ai-je besoin d’en citer d’autres pour comprendre que la transdisciplinarité de la communauté des makers se situe partout et nulle part à la fois ? Vous avez compris !

Repair Café en collaboration avec Squaregolab le fablab de Perpignan – France (Association Repair Café Toulouges). © Vulca

Dans ce mouvement maker, vous pouvez apprendre et réaliser des projets d’un niveau très pointu sans avoir un diplôme d’une grande école. Dans cette communauté, il n’y a pas de limites scolaires (diplôme universitaire formel) ou d’âge à l’accès au savoir. En étant simplement autodidacte, avec un panel de projets déjà réalisés dans votre makerspace que vous pouvez partager et présenter au lieu d’accueil, alors pour moi, vous pouvez prétendre à des résidences dans le programme. Si vous pouvez montrer ce que vous savez faire plutôt que les diplômes obtenus ou la qualité d’un CV passé, alors ce devrait être suffisant, même un argument. C’est le cœur du mouvement maker, cela ne devrait pas être un frein !

Il me paraît essentiel, dans un futur programme destiné aux makers, d’insister sur l’importance d’avoir un programme le plus inclusif possible et ne pas concentrer uniquement l’effort auprès des makers diplômés ou des fablabs institutionnels, ou encore ceux basés dans les grandes villes et métropoles (pour ne donner que quelques exemples). Au contraire, c’est le moment de créer un programme très inclusif dans une Europe qui doit se construire un peu plus chaque jour pour et par l’ensemble des citoyens qui composent le continent. De s’appuyer sur l’ensemble du maillage existant. (Map A, Map B, Map C, Map D, Map E, …).

Le mouvement maker est présent sur l’ensemble du territoire et en plein développement sous de multiples formes (institutionnelles, privés, associatives, universitaires, etc.), et c’est dans ce sens qu’il faut l’encourager à se répandre. La mobilité des makers sera un vecteur essentiel de la construction européenne, au même titre qu’Erasmus, et pour appuyer mon regard je reprendrai le travail de recherche de Paulo Rosa et son équipe dans leur rapport 2018. La situation géographique des makerspaces est bien présente sur l’ensemble du territoire, des capitales d’abord, aux zones les plus rurales à présent.

Localisation géographique des makerspaces dans l’UE28 superposée à la densité de population dans les régions NUTS 2 de l’UE28.

Encore faut-il connaître le mouvement maker dans son ensemble. C’est-à-dire les acteurs en capacité d’accueillir et envoyer, comment trouver le bon projet, comment trouver les makers prêts à se déplacer. Comment faire pour être supporté financièrement ou administrativement, pour une telle expérience ! C’est un vrai parcours du combattant. Toutefois certains réussissent déjà très bien, et nous les mettons en valeur du mieux possible avec la méthodologie Experimenta, afin qu’un jour les concernés s’emparent de ces éléments pour en tirer les bonnes conclusions.

Que serait pour vous un programme de mobilité de rêve pour les makers ? Donneriez-vous la priorité à l’aide aux déplacements, aux rencontres, à l’accès technique ou à la création de réseaux ?

De nombreux types de programmes de mobilité existent déjà en Europe. A mon avis, il n’y a pas « un » programme de mobilité unique, clé en main pour ce mouvement maker, toutefois, voici quelques remarques qui permettent de définir un certain contour.

Il me semble le minimum d’assurer le remboursement du déplacement, le coût du logement, et un budget journalier en nourriture pour les dépenses du maker en résidence. Aussi, je pense qu’un budget devrait être alloué à l’accès technique et matériel nécessaire à la bonne réalisation du projet.

Les résidences devraient être basées sur des projets définis par le lieu d’accueil : 1) Définir un besoin ; 2) Lancer un appel à maker/hacker ; 3) Sélectionner le/la candidat.e qui convient (maker/hacker) ; 4) Obtenir validation et financement du programme dédié afin d’assumer les coûts liés à cette résidence.

Habibi.Works – Ioannina – Grèce. © Vulca

Sur le même principe, je pense qu’il faudrait aussi laisser la possibilité aux makers de lancer un appel et de rejoindre des lieux qui sont équipés de technologies spécifiques.
Nous avons eu l’exemple d’un maker bulgare qui souhaite prototyper un projet en impression métal. Un fablab en Allemagne et un en France possèdent des imprimantes 3D métal et pouvaient ainsi mettre à dispositions leur parc machine + formation + communauté pour ce maker en recherche d’évolution. Je sais aussi que des fablabs ayant la chance d’avoir plusieurs fabmanagers sont demandeurs pour échanger des membres de leurs staffs respectifs.

Je pense que plus la collaboration est longue, plus elle sera riche et plus elle devra être encouragée et soutenue financièrement par le programme. Par exemple, si la résidence dure moins de 3 mois, alors les frais seront remboursés. Si la résidence dure plus de 3 mois, alors une rémunération (ou complément financier) s’opère auprès des deux parties (maker et lieu d’accueil).

Je pense que le compte rendu de l’expérience devra se baser sur un projet documenté, ce qui débloquera par exemple un budget complémentaire, car le travail va contribuer au commun. L’open source étant un socle d’inspiration et de documentation majeur dans le mouvement maker ! Il est donc primordial de soutenir le développement de projets open source au travers de ce programme pour que le mouvement maker dans son ensemble puisse se nourrir de chaque échange !

Ainsi, comme notre expérience le montre, les besoins sont variés, il n’y a donc pas « un » programme de mobilité de rêve.

Un maker retraité vivant à Newport, Royaume-Uni. © Vulca

Qu’est-ce que la mobilité en temps de pandémie mondiale ? Faut-il encore investir dans ce domaine ? Et, compte tenu de nos restrictions de voyage, comment pouvons-nous continuer à nous développer et à renforcer les réseaux, si nous ne pouvons pas nous rencontrer ? Et pourquoi est-ce important (ou pas) ?

Dans une pandémie mondiale, les résidences de plusieurs mois, voire une année, auront plus de sens afin de limiter les déplacements réguliers entre les pays. Pourquoi pas inclure un confinement de quelques jours dans le logement d’accueil du maker. Un temps que le maker pourra utiliser pour préparer ses missions, son programme de résidence, prendre des cours à distance de la langue nationale, se mettre à jour de l’actualité locale, faire son administration, etc. La mise en quarantaine pourra se réduire dès que les tests de dépistage du virus seront effectués, permettant ainsi au résident d’intégrer pleinement son atelier. Le suivi des règles sanitaires sera aussi nécessaire. La première et deuxième vague nous ayant tous déjà beaucoup sensibilisés aux bonnes pratiques à mettre en place.

Mountains Makers, Manzat, France. © Vulca

La mobilité est essentielle, surtout dans une Europe qui se cherche (Brexit, montée des extrémismes, blocage des processus d’adhésions des pays candidats, etc).La mobilité permet de tisser des liens entre des citoyens qui ne se connaissent pas. Pour faire simple, rappelons que nous avons à faire à 500 millions de citoyens de l’UE / 700 millions d’Europe. C’est aussi  plus de 27 pays, et une multitude de langues et cultures différentes sur un même continent, qui en plus ne possèdent pas le même alphabet. Il paraît difficile de faire union dans ce contexte et c’est pourtant tout le projet du vieux continent !

Erasmus est la réalisation de l’UE la plus appréciée par ses citoyens ! Ne cherchez pas plus loin. La génération Erasmus est celle qui soutiendra toujours la construction européenne ! Alors MAkersXechange … nous comptons sur vos recommandations pour montrer l’importance d’un programme de mobilité à destination du mouvement maker en Europe.

© Vulca

En savoir plus sur Vulca.

MakersXchange est un projet pilote cofinancé par l’Union européenne. Le projet MAX est mis en œuvre par le European Creative Hubs Network, Fab Lab Barcelona, UPTEC et Makery.