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Just One Giant Lab et l’iGEM en route vers un avenir durable

Illustration du projet « Coli Kaze », inspirée de l’art tribal Warli. © iGEM IISER Tirupati, 2020

Cette année, le concours de biologie synthétique iGEM 2020 rejoint la plateforme de science ouverte et collaborative JOGL pour aborder les objectifs de développement durable de l’ONU sur une feuille de route mondiale à l’horizon 2030.

« L’iGEM m’a énormément inspiré, ainsi que JOGL » avoue Thomas Landrain, co-fondateur du premier laboratoire de science citoyenne La Paillasse à Paris en 2011, et plus récemment de la plateforme de science ouverte et collaborative Just One Giant Lab (JOGL). Plus précisément, l’iGEM a inspiré le biologiste de formation à quitter le monde universitaire pour s’intéresser au biohacking, en portant le mouvement DIYbio en Europe il y a une dizaine d’années.

La relation intime qu’entretient Thomas avec la Fondation iGEM (International Genetically Engineered Machine) date de 2007, lorsqu’il a co-initié la première équipe française pour participer au concours annuel iGEM de biologie synthétique organisé par le MIT. Son équipe a participé une deuxième fois en 2012, et au cours de ces dernières années, il travaille avec la fondation sur le développement de programmes pour l’iGEM Europe, dont le fameux Giant Jamboree qui aura lieu pour la première fois à Paris en 2021.

« Le concours permet à des milliers de personnes dans le monde entier de résoudre des problèmes locaux par le biais de la biologie synthétique pour trouver des solutions sûres et responsables » écrit la Fondation iGEM. Inauguré avec seulement 5 équipes en compétition en 2004, en 2019 le concours iGEM compte 353 équipes, des lycéens jusqu’aux étudiants de troisième cycle, issus de multiples disciplines dans 40 pays différents.

Le Registry of Standard Biological Parts communautaire de l’iGEM propose plus de 20 000 pièces d’ADN open source (« BioBricks ») que les concurrents peuvent assembler en de nouveaux systèmes d’édition génétique. Entretemps, la fondation continue à faciliter l’intégration des individus et la diffusion des recherches issus de sa communauté de plus de 40 000 membres.

Pour Thomas, l’iGEM est le pionnier d’un mouvement de science ouverte, accessible, inclusive et interdisciplinaire, voire révolutionnaire. Aujourd’hui, JOGL et l’iGEM partagent les mêmes valeurs et une vision commune pour créer un espace dédié à la collaboration ouverte, le partage des ressources et des connaissances et la documentation publique, afin de développer des projets scientifiques, de manière responsable et éthique, pour un avenir durable. Où les solutions open source et des réseaux distribués de makers, de biohackers et de bénévoles risquent bien de devenir la norme dans ce nouvel ère du Covid-19.

En parallèle avec l’Initiative Open Covid19 de JOGL, son programme iGEM 2020 soutient des projets qui relèvent directement les défis posés par les 17 objectifs de développement durable (Sustainable Development Goals, ou SDG) établis par l’ONU en 2015 : une feuille de route pratique vers l’horizon 2030. Accompagnés de 169 cibles concrets et 232 indicateurs mesurables, les 17 objectifs sont tous liés à l’agriculture, l’alimentation et l’eau.

« On a tellement de problèmes à résoudre, constate Thomas, et le nombre de personnes qui peuvent jouer un rôle, qui peuvent participer à la résolution de ces problèmes, que ce soit au niveau local ou mondial, ne suffit pas. »

Marc Santolini, co-fondateur de JOGL et chercheur spécialiste en analyse de données, est passionné par la puissance des chiffres et la conception d’algorithmes pour quantifier les performances et qualifier les équipes pour une collaboration optimisée. Depuis deux ans, il constitue une base de données à plusieurs niveaux sur les équipes iGEM et leurs projets—documentation sur le wiki, historique des notebooks, qui a écrit quoi à quel moment, prix, finalistes, performance, taille des équipes et collaborations—afin d’étudier précisément quels critères amènent une équipe à gagner et, en cas d’échec, quels critères amènent une équipe à s’améliorer.

Une fois que le système expérimental de recommandation pour les équipes iGEM est lancé sur JOGL, dit Marc, « On pourra voir vraiment ce qu’il se passe lorsqu’on introduit des recommandations à leurs projets. On est à l’intersection entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée sur ces communautés. »

Combattre la résistance antimicrobienne

Omkar Mohapatra est le chef de l’équipe iGEM IISER Tirupati 2020, constituée de 13 étudiants en biologie, chimie, physique et mathématiques à l’Indian Institute of Science Education and Research Tirupati. Leur projet “Coli Kaze” tente de réduire la résistance antimicrobienne (qui a déjà donné lieu à une infection bactérienne répandue chez les humains) en créant une bactérie qui puisse dégrader les sulfamides dans l’excrément de poulet comme preuve de concept pour limiter la pollution des antibiotiques dans l’environnement et produire de l’engrais non-toxique.

« Les bactéries produisent des protéines qui dégradent les antibiotiques et meurent, car leur lysat cellulaire sert à dégrader les sulfamides dans les excréments, résume Omkar. Les bactéries meurent suite à l’ajout d’un inducteur, ce qui limite la dissémination des OGM dans l’environnement. Puis on dégrade aussi leur ADN, pour qu’aucune autre bactérie puisse s’approprier leur ADN et devenir à son tour résistante. Tous ces modules de biosécurité sont intégrés dans notre projet à différents niveaux. »

L’équipe iGEM IISER Tirupati a pris connaissance de JOGL pendant le lancement de l’iGEM 2020 et était une des premières équipes à s’inscrire sur la plateforme le 14 juin. Un autre membre de JOGL, situé en Inde, a aussitôt répondu à leur appel à l’aide pour développer un wiki du projet.

Mais le grand problème de cette année, comme pour la plupart des équipes, reste l’accès à un laboratoire de biologie. De ce fait, Coli Kaze sera un projet à deux phases, option introduite par l’iGEM en 2020, qui permet la réalisation du projet sur deux ans. Dans la première phase, le projet est évalué en termes de conception théorique et expérimentale ; dans la deuxième phase, les équipes tentent de confirmer leurs expériences au labo.

Toujours aussi enthousiaste, y compris à la possibilité de gagner leur deuxième médaille d’or, l’équipe de Tirupati ne perd jamais la vue d’ensemble : « Notre projet vise essentiellement à retarder le processus de résistance antimicrobienne, précise Omkar. La résistance antimicrobienne est inévitable, on ne peut pas l’arrêter. Les bactéries continueront à évoluer. Mais notre recherche peut sûrement aider à la ralentir. Cela donnera plus de temps aux chercheurs pour développer de nouvelles idées, de nouveaux antibiotiques, de nouveaux mécanismes pour tuer les bactéries. »

Pendant ce temps, JOGL et l’iGEM s’occupent à inspirer le plus de personnes possible à collaborer pour s’attaquer aux SDG, même si cela implique de relayer le travail sur plusieurs équipes et plusieurs générations.

Pour Marc Buckley, représentant des SDG auprès de l’ONU, la feuille de route de collaboration internationale pour 2030 n’est rien de moins qu’une réinitialisation mondiale : « Il n’y a plus de questionnement. Nous avons besoin de votre aide, de votre travail, pour assurer cette réinitialisation, parce que c’est l’avenir vers lequel nous allons » dit-il sur un panel qui s’adresse aux concurrents de l’IGEM 2020.

« Nous sommes en période de métamorphose. Nous sommes le papillon enfermé dans le cocon, au stade gluant. Et il n’y a pas moyen de revenir au stade de la chenille. Nous devons passer de ce stade gluant au stade papillon, car il n’y a pas d’entre-deux. Donc nous allons de l’avant. »

En savoir plus sur JOGL, iGEM 2020 et le projet Coli Kaze