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Initiative OpenCovid19 : le test de diagnostic sous la loupe de la recherche ouverte et collaborative

Une partie de la communauté JOGL durant l'une des réunions hebdomadaires. © Thomas Landrain

Une alliance inter-communautaire peut-elle résoudre l’équation du manque de tests ? A travers le laboratoire distribué en ligne Just One Giant Lab (JOGL), chercheurs, ingénieurs, biohackers, designers, start-ups, animateurs de communautés collaboratives et membres d’institutions publiques joignent leurs forces pour relever le challenge et s’appuient sur une technique expérimentée et prometteuse : la LAMP.

Depuis mars dernier, la communauté de scientifiques a un outil de poids pour mobiliser et mettre en commun leurs efforts pour contenir le virus et ses effets : Just One Giant Lab (JOGL), un laboratoire de recherche et innovation ouvert et collaboratif, co-fondé par Thomas Landrain, déjà aux manettes de La Paillasse, et Marc Santolini et Léo Blondel. Après un lancement en juin 2019 avec pour angle d’attaque les objectifs de développement durable définis par les Nations Unies, la crise sanitaire accélère la mise en œuvre de la plateforme et de sa communauté.

Le 1 mars 2020, les co-fondateurs et une partie de la communauté JOGL lancent l’Initiative OpenCovid19, un programme pour « développer des outils open-source et bas-coût » pour combattre la pandémie. Une approche globale qui réunit des scientifiques institutionnels et de start-ups, des amateurs de science ouverte, des professionnels de la santé et d’organismes de santé publique, des étudiants du monde entier, des designers et gestionnaires de projets et même des membres d’institutions gouvernementales. En tout, plus de 4000 participants suivent le développement des projets à travers la plateforme en ligne de JOGL, les chaines Slack, les réunions Zoom.

Pour faciliter la mise en œuvre des initiatives, l’équipe du JOGL a mis en place un système de mini-bourses et financent en partie, de 500 à 3000 euros environ, les projets les plus prometteurs, grâce au soutien du Fonds AXA pour la recherche. Une méthode « agile », explique Thomas Landrain, qui permet à des projets jeunes d’être financés rapidement en éliminant le risque inhérent à l’allocation de sommes importantes. Si le projet est en bonne voie, l’équipe peut demander de nouveaux financements pour avancer. « Sans le soutien du Fonds AXA pour la recherche tout cela ne serait pas possible », précise Thomas Landrain.

Parmi les projets, du matériel DIY comme des pousses seringues ou des bioréacteurs, des solutions éducatives ou des applis de santé quantifiée. Surtout, de nombreux projets s’intéressent au diagnostique et comment le rendre moins cher, plus efficace et plus accessible.

Gouvernements, scientifiques et communauté DIY sont dans un bateau

Alors qu’un déconfinement progressif s’engage, certains gouvernements, notamment en France, aux États-Unis et au Royaume-Uni, semblent toujours faire face à une pénurie de tests de dépistage et sont donc contraints d’en prioriser l’accès. Les communautés de la science ouverte peuvent-elles réussir là où les gouvernements des premières puissances mondiales échouent ?

« Nous sommes à un moment de l’histoire où toutes les ressources doivent être mobilisées et où il n’y aura jamais trop de cerveaux pour chercher de nouvelles approches pour développer et fournir des tests », répond Ellen Jorgensen, qui a posé les premières pierres du mouvement de biologie participative avec la fondation du tout premier laboratoire communautaire de biotechnologie, Genspace, à New York, puis de l’organisation Biotech Without Borders.

« Nous n’avons pas les mêmes ressources que le gouvernement. Fournir des tests en masse n’est pas de notre ressort. La meilleure approche est un partenariat entre la communauté DIY, la communauté traditionnelle des scientifiques et le gouvernement. C’est exactement ce que représente JOGL : une manière pour ces différentes communautés de se mettre en lien, partager les informations et additionner leurs forces respectives. »

LAMP : une technique éprouvée mais délaissée

Principale technique explorée par les chercheurs, la LAMP, ou l’amplification isotherme médiée par les boucles. Un nom barbare qui cache en fait une solution bien plus simple que celle actuellement utilisée pour détecter le SARS-CoV-2, la PCR (réaction de polymérisation en chaîne). La LAMP permet d’amplifier la séquence cible à température constante et repérer la présence d’un pathogène dans un échantillon. La PCR s’effectue par une technique de transition de températures – une méthode qui demande un équipement laboratoire cher.

Une technique éprouvée, explique Ellen Jorgensen, mais peu adoptée par la communauté scientifique à cause d’une « barrière d’entrée plus difficile », en raison notamment de logiciels propriétaires à l’interface aride, de réactions moins « intuitives » que pour la PCR et surtout plus sensibles. « La réaction d’amplification est tellement efficace que si vous ouvrez les tubes, cela peut contaminer vos réactions futures et vous donner des faux-positifs. Une fois que votre laboratoire est contaminé, cela peut prendre un mois pour s’en débarrasser. »

LAMP est aussi moins versatile que PCR, agissant comme un simple révélateur de présence, là où PCR peut quantifier une charge virale. « C’est un résultat « oui » ou « non », détaille la biologiste moléculaire. Mais pour le Covid-19 c’est parfait. C’est un diagnostique rapide, simple, qui peut être déployé rapidement dans des situations très diverses. »

#nebLAMPtest : Un test dans mon thermos

Le siège des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), en Géorgie, États-Unis, l’agence fédérale américaine de protection de santé publique investie au sein du projet #nebLAMPtest. © CC BY-SA 2.5

L’un des avantages essentiels de LAMP est que la technique ne requiert aucune machine, explique Sarah Ware, biologiste engagée dans le projet #nebLAMPtest au sein de JOGL et fondatrice de deux laboratoires à Chicago, dont BioBlaze, premier et seul laboratoire citoyen de l’état de l’Illinois. Il faudra seulement des pipettes et un endroit à température constante – cela peut-être un bain d’eau voire même un thermos pour garder votre café au chaud. Le coût matériel d’un tel test serait autour de 3 dollars (2,77 euros), fait savoir Sarah Ware.

L’équipe de ce projet est l’incarnation de ce partenariat entre les différentes communautés : les représentants du DIY, à travers BioBlaze, le secteur privé, via Ellen Jorgensen et sa start-up Aanika Biosciences, et le gouvernement, avec la présence de Chris Monaco, microbiologiste au sein des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), agence fédérale américaine de protection de santé publique.

Les scientifiques s’appuient sur les résultats publiés par le New England Biolabs (NEB), laboratoire qui fabrique des réactifs. Un rapport prometteur qui démontre que la technique peut être utilisée en conjonction avec un test Ph qui permet la visualisation des résultats à l’oeil nu en 30 minutes. Si le liquide reste rose, le test est négatif et le porteur sain. S’il vire au jaune, le virus a été détecté.

L’équipe s’attèle à reproduire les résultats de ces tests à travers les labos partenaires. Les scientifiques sont en bonne voie et doivent désormais obtenir les autorisations nécessaires pour faire des tests sur des patients – pour l’instant, l’équipe travaille à partir d’une souche du virus.

#CovidAlert : des OGM au SARS-CoV-2 et au-delà…

Avant de se lancer dans le challenge OpenCovid19, Ali Baktas développait une solution pour détecter les OGM dans les cultures de maïs. © CC BY-SA 3.0

Du côté d’Oakland, on lorgne aussi sur la méthode LAMP ; et on pousse la logique un peu plus loin. Ali Baktas est biologiste moléculaire et s’intéresse à mettre les techniques de sa spécialité au service du plus grand nombre et décentraliser le processus (un objectif partagé par l’ensemble de la communauté de biohacking). « Pendant mes études et ensuite, je me suis intéressé au domaine de l’agriculture, raconte-t-il. Je développais un moyen pour que des fermiers du sud du Mexique puissent détecter les contaminations d’OGM. » C’est avec le même éthos qu’il s’engouffre dans le challenge lancé par JOGL : rendre les tests moléculaires accessibles à tous, dans un environnement à température ambiante, en suivant des instructions sans compétences préalables particulières.

La technique est déjà au point, fait-il savoir. « Il n’y a pas beaucoup d’invention, nous combinons ce qui existe déjà », dit-il notamment en référence à la LAMP, corps central de son projet. Mais là encore, il est question d’autorisations, de certifications, de preuve de concept.

Leur solution sera-t-elle prête à temps pour répondre à la pandémie actuelle de Covid-19 ? « Nous travaillons très dur. Ce ne sera pas prêt la semaine prochaine mais nous espérons une version bêta d’ici deux mois », dit-il, la seconde vague attendue en ligne de mire. « Le SARS-CoV-2 est probablement la première d’autres pandémies à venir. Il y a aussi beaucoup de maladies qui affectent les populations et pour lesquelles on a besoin de méthodes de diagnostique simples et bon marché, comme le dengue par exemple. Tout le monde parle de SARS-CoV-2, il y a des financements et beaucoup d’excitation à participer à ce type de projets, mais nous le voyons comme un point de départ, pas une fin en soi. »

#CoronaDetective : Le test lyophilisé

Le processus du kit OGM Detective, utilisé comme base du projet #CoronaDetective. © Capture d’écran/GMO Detective

Un peu de test en poudre ? Pour son #CoronaDetective, l’équipe prévoit également un test en kit, non dépendant d’une chaine du froid grâce à des réactifs lyophilisés – plus facile, donc, à envoyer aux laboratoires partenaires. Là encore basé sur la technique LAMP, le projet se construit en partenariat avec le projet #nebLAMPtest.

La technique exploitée s’appuie sur GMO Detective, un détecteur qui permet révéler la présence d’OGM dans notre nourriture, mis au point par Guy Aidelberg au sein du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI), à Paris.

La méthode se veut accessible à tous. « On peut l’utiliser dans les labos, les labos ouverts mais aussi des établissements comme des écoles, pour savoir par exemple si des surfaces contiennent le virus », explique Rachel Aronoff, présidente de l’association de bio-hacking suisse Hackuarium. Concrètement, détaille-t-elle, le kit se présente sous la forme de huit tubes qui contiennent les composés, dont un tube de contrôle négatif qui permet de repérer les faux positifs obtenus notamment par contamination de l’environnement. Pour faire le test, il suffit d’ajouter les liquides, soit un tampon fourni et l’échantillon à tester, et mettre les tubes dans de l’eau chaude. Les résultats sont lisibles dans la demie-heure grâce à la fluorescence. A travers ses ateliers, l’équipe du GMO Detective a créé un tutoriel pour fabriquer un détecteur de fluorescence DIY, utilisable aussi pour le #CoronaDetective.

L’équipe a des partenaires entre autres au Chili et au Cameroun, sur le pont pour tester le kit.

#CellFreeSensors : La biologie programmable

Un conglomérat de bactéries E. coli magnifié 10 000 fois. © Domaine Public

Pour ce projet, pas de LAMP mais du NASBA (amplification basée sur une séquence d’acide nucléique), un système d’amplification isotherme similaire à LAMP qui produit des amplicons de ARN (acide ribonucléique, chimiquement proche de l’ADN) pour détecter un élément pathogène.

L’équipe développe un système cell-free (sans cellule), une technique qui peut-être assimilée à des liquides programmables ou, comme l’explique Vesta Korniakova, étudiante en microbiologie appliquée et membre de la communauté biohacker à Montréal, un « circuit génétique codé ».

L’affaire est complexe mais a pour avantage de permettre les essais in vitro, « sous verre », en opposition à in vivo, « au sein du vivant », méthode plus complexe puisque pratiquée sur des organismes vivants susceptibles d’évoluer, explique Vesta Korniakova. « N’importe qui avec un accès à une culture de bactéries et quelques matériaux de base pourra suivre un protocole pour obtenir la machinerie cell-free nécessaire à l’expression du circuit génétique » – et donc, le cas échéant, la visualisation du génome viral.

Il suffira donc d’une culture d’E. coli, facile à effectuer, et des amorces et des séquences d’ADN, « facilement partageables », explique l’étudiante. « Comme l’ADN est une molécule très stable, une goutte d’ADN purifié peut être envoyée par la poste sur une feuille de papier. Plus typiquement, l’ADN déshydraté est conservé dans des tubes ou à l’intérieure des plasmides (molécules d’ADN, Ndlr) qui sont conservés à l’intérieure des bactéries vivantes. » Le tout, ainsi que certains enzymes nécessaires à la réaction mais plus difficile d’accès, peut être lyophilisé et distribué « en masse ».

L’équipe est répartie sur trois continents, avec des membres au Canada, au Chili et en Espagne.

#DIYBiovsCovid19 : Le hardware bio

Le PocketPCR, alimenté par secteur USB. © Urs Gaudens / GaudiLabs

Qui peut le plus peut le moins. Au rayon des projets hardware, on rencontre le PocketPCR, développé par Urs Gaudens au sein de son laboratoire de recherche indépendant GaudiLabs. Instrument essentiel dans les diagnostiques du Covid-19 tels qu’ils sont menés actuellement, la PCR permet de dupliquer une séquence d’ADN ou d’ARN (acide nucléique) afin de mesurer une charge virale en faisant passer les tubes par plusieurs cycles de températures. C’est aussi un outil iconique de la communauté de la biologie open-source, retrace Urs Gaudens, puisqu’il y a eu des projets précurseurs pour reproduire en DIY cette machine qui peut coûter plusieurs milliers d’euros.

Urs Gaudens a développé plusieurs modèles de PCR jusqu’à arriver à cette version de poche, un bloc thermique qui fonctionne grâce à un secteur USB. « Puisque l’on peut passer par plusieurs températures, il est facile de l’adapter à LAMP qui ne nécessite qu’une température constante », souligne le chercheur.

Mis en ligne en début d’année sur le site du GaudiLabs, le projet a attiré de nombreux chercheurs, de Pékin à Yogyakarta, en Indonésie, en passant par Maternova, une entreprise spécialisée dans le matériel obstétrique. « L’avantage, relève Gaudens, est que le coût matériel peut baisser drastiquement avec de gros volumes. » De 99 dollars, il espère pouvoir passer à un tiers du prix.

Au sein de JOGL, le projet a tapé dans l’oeil de Antonio Lamb, auto-proclamé « scientifique fou suédois ». Dans le makerspace Starship Factory, à Basel, en Suisse, le biologiste moléculaire prévoit de reproduire le modèle et réduire au maximum les variations de températures. Ce matériel pourrait ainsi être complémentaire au projet #CoronaDetective, afin de pouvoir réaliser l’essai sous température constante, une fois les éléments en poudre reçus par les laboratoires à travers le monde.

« Ce qui ressort de ces deux premiers tours d’attribution des bourses, conclue Thomas Landrain, c’est l’incroyable qualité des projets. » Un niveau de propositions que le chercheur attribue au mode d’action de JOGL. « Il permet non pas la création d’idées à la va-vite, comme lors d’un hackathon, mais la mise en œuvre d’idées stables, durables. On donne le temps aux idées de se mélanger. » Pour gagner cette bataille au long court, d’autres projets sont à venir.

Pour rejoindre l’Initiative OpenCovid19, rendez-vous sur le site.

Soumettez un projet au troisième round de micro-bourses JOGL (avant le 18 mai, 6h UTC).