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HackteriaLab s’isole à Okinawa

Toru Oyama, co-organisateur du Oki Wonder Lab, à Sonda Labo. © Dusjagr

Aujourd’hui, le Oki Wonder Lab est sans doute le camp de recherche in-disciplinaire DIYbio le plus isolé au monde. Cette dernière manifestation de Hackteria a lieu actuellement dans les îles japonaises d’Okinawa.

Après avoir pensé et planifié la dernière édition de HackteriaLab depuis plusieurs années, à travers multiples continents avec divers collaborateurs—suite au succès de HackteriaLab 2014 à YogyakartaMarc Dusseiller, fondateur de Hackteria, n’allait pas se laisser intimider par une pandémie mondiale. S’il était bien « le dernier voyageur international » à débarquer d’un vol entre la Suisse et Taïwan où les préparatifs ont commencé, il a non moins réussi à atterrir à Okinawa, juste à temps pour inaugurer le Oki Wonder Lab avec son co-organisateur local Toru Oyama, le 25 mars 2020.

Evidemment, la plupart des participants internationaux prévus n’ont pas eu cette chance. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose. Le slogan de Hackteria a toujours été « enraciné localement, connecté globalement » (“locally rooted, globally connected”). Alors que la majorité des membres sont confinés à la maison et communiquent maintenant en ligne, quelques artistes et activistes résidents d’Okinawa sont déjà en train de discuter et de réaliser des projets ensemble sur place.

Le Oki Wonder Lab en cours à Okinawa. © Dusjagr
Marc Dusseiller, Shin Asato, Toru Oyama, Azusa Yoshimoto (craftiviste et fermentista chez Sonda Labo). © Dusjagr

Le premier participant officiel, l’artiste Shin Asato d’Okinawa, est arrivé de Yokohama le 26 mars. Même si la liste s’est réduite peu à peu à une poignée de participants, Marc reste optimiste : « On s’étonne déjà d’avoir réussi à réunir un groupe—assez petit pour ne pas être dangereux, assez grand pour être intéressant. »

Pendant ce temps, le programme, les sites et les activités du Oki Wonder Lab sont réadaptés et réajustés en fonction de l’évolution constante de la crise sanitaire par les co-organisateurs in situ (qui se sont rencontrés pour la première fois dans l’isolement de la station biologique de Kilpisjärvi en Laponie pour Field_Notes 2018). Si Marc continue à porter la vision et le réseau mondial de Hackteria, à Okinawa, Toru est à la fois méta-philosophe et instigateur local.

L’inauguration du Oki Wonder Lab a eu lieu chez Sonda Labo, autrement dit la maison de Toru située dans la ville d’Okinawa, qui sert également de QG du camp, équipé d’un espace de travail et d’outils dédiés, et qui comprend une cuisine expérimentale, un camion transformé en laboratoire mobile garé dehors, et une mascotte dalmatienne qui porte le nom du philosophe slovène Slavoj Žižek.

Sonda Labo dans la ville d’Okinawa. © Dusjagr
Des cultures de fermentation dans l’espace Hackteria. © Dusjagr

Artiste et chimiste rentré au Japon au bout d’un séjour de dix ans en Allemagne, Toru a profité de cette occasion pour redécouvrir le Japon en explorant des lieux moins connus d’Okinawa, sites qu’il a trouvés grâce à des amis, tels que la petite île de Maejima (inhabitée par les humains mais envahie par les chèvres).

Depuis longtemps, le thème du Oki Wonder Lab 2020 est « isolement ». Plus que la situation géographique d’un archipel, ou même la pratique scientifique d’isoler la bactérie d’une culture, sans même évoquer le zeitgeist du confinement, pour Toru, la notion d’isolement est personnelle et métaphysique.

« L’hypothèse veut que toutes valeurs, pensées et idées soient inconsciemment et potentiellement partagées à 100% par tout le monde, explique-t-il. Si l’on admet que toute “nouvelle” idée ou pensée, du moment qu’elle est exprimée, devient une chose partagée, alors on se retrouve face à une perspective différente. L’isolement total est impossible. Que se passe-t-il lorsqu’on s’isole de la société physique, de la communication interpersonnelle, des informations partagées ? Revenons-nous à la conscience de soi, au subconscient ? Pour moi c’est aussi une image mentale. Comment puis-je m’isoler jusqu’au point où il n’y a rien à faire, rien à recevoir, rien à donner ? N’y a-t-il que le silence ? Je ne pense pas. »

L’île de Miyagi à Okinawa. © Dusjagr

L’autre co-organisateur, Andreas Siagian du collectif Lifepatch, écrit : “HackteriaLab a toujours insisté sur les processus d’interaction entre créatifs, entre professionnels et amateurs, en stimulant des processus collaboratifs, afin de développer de nouvelles idées qui relient et intègrent les diversités culturelles des participants, et en abordant les défis sociaux à travers des expériences DIWO (Do It With Others, ndlr) avec le matériel, la technique et la nature grâce au bricolage, à la recherche expérimentale et à la curiosité inépuisable. »

Ce printemps, le très anticipé Oki Wonder Lab est plus que jamais fortement marqué par les lieux choisis et inévitablement influencé par la capacité des Hacktériens à s’adapter, leur volonté de s’engager et leur créativité débrouillarde dans ce nouvel ère de l’isolement.

C’est aussi une occasion d’explorer de nouveaux processus et perspectives au travers de l’Okinawa de Toru. « Ma vision initiale du Oki Wonder Lab était purement poétique, inspirée par le dessin de Marc sur l’histoire de Hackteria Taïwan, dit-il. Nous cherchons des moyens de décrire des processus invisibles qui peuvent émerger et être partagés. Plus importants qu’une chose que je peux fabriquer, ou les échanges entre local et global, ce sont la spontanéité naturelle et l’indépendance. Cela peut être aussi une occasion de motiver les gens. »

Pont vers les îles de Henza et Miyagi. © Dusjagr

Interview avec Marc Dusseiller, pionnier du biohack (1re et 2ème parties), 2016

Cherise Fong est chroniqueuse-en-résidence du réseau Feral Labs soutenu par le programme Europe Créative de l’Union Européenne.