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8 Fablab : La 3D céramique fait bonne impression dans la Drôme

Expo "3D - 3Terres" à la Maison de la Céramique de Dieulefit © Juan Robert

Retour avec Maryline Chasles sur l’exposition « 3D 3Terres » de céramiques en impression 3D proposée par le 8 Fablab de Crest en collaboration avec Cap Rural et ses partenaires. L’exposition est encore visible jusqu’au 22 décembre au Centre d’Art de Crest dans la Drôme.

L’exposition 3D 3Terres, proposée par le 8 Fablab de Crest dans la Drôme est également l’occasion de découvrir une machine unique en Europe et un territoire motivé par la mutualisation d’idées, de compétences, de talents (et de moyens financiers), autour d’un projet qui lie tradition millénaire – l’art de la poterie – et nouvelles technologies de l’impression 3D céramique. Dialogue avec Maryline Chasles, directrice du lieu.

pièce de Juliette Vieban © Juan Robert
Expo « 3D – 3 Terres » à la Maison de la Céramique de Dieulefit. © Juan Robert

Makery : Pouvez-vous revenir sur l’historique de 8 Fablab ?

Maryline Chasles : 8 Fablab a été créé en 2014, suite à l’appel à projet de l’Etat paru en 2013 qui a permis de financer et de lancer 14 fablabs en France. Nous avons donc décroché cet appel à projet, certainement grâce à la spécificité du territoire, c’est à dire un milieu rural en demande de ce type d’espace. La particularité du 8 Fablab à l’époque était de se monter en SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif). Par le biais de la SCIC, nous avons pu réunir au sein de notre capital, et parmi nos associés, aussi bien des entreprises, que des usagers du lab, des associations ou des collectivités territoriales. En 2014, il y avait 36 associés, et ils sont 75 aujourd’hui ! Nous souhaitions vraiment faire de ce lieu un projet de territoire en l’investissant avec toutes sortes d’énergies différentes. Et de fait, rassembler tous ces gens issus de milieux divers a été profitable au projet !

Au niveau de ses énergies justement, quels sont les croisements favorables qui ont permis de tisser ce réseau d’activité autour de 8 Fablab ?

A l’époque, tout cela se met en place sous l’impulsion de Bertrand Vignau-Lous, qui est notre président actuel, et qui est aussi designer, co-fondateur du Studio Entreautre. Il fait partie des fondateurs avec Carole Tourigny, notre ancienne directrice, et François Bouis, un entrepreneur qui possédait une fonderie d’art. Une société qui fabrique des sculptures en bronze pour des artistes. Il existe d’ailleurs des projets de développements intéressants entre le fablab et la fonderie, depuis toujours et historiquement. A cela il faut ajouter un réseau d’habitants, d’entrepreneurs, d’industriels, d’entreprises, qui sont arrivés via les relations amicales et professionnelles de ces fondateurs, sans oublier l’ex-Pôle Numérique, aujourd’hui Le Moulin Digital, une structure associative qui se trouve à Valence et qui rayonne sur l’ensemble du département de la Drôme. Une de ses missions est d’accompagner la transition numérique des entreprises, dont notamment l’acculturation aux outils de communication, ainsi que tout un tas d’autres thématiques liées à l’émergence d’entreprises et de start-up autour du numérique. C’est d’ailleurs autour d’une réponse conjointe à cet appel à projet de l’Etat, organisée ici sur Crest, avec Carole, François, Bertrand et le directeur du Moulin à l’époque, Frédéric Bise, que se sont mis en place les prémisses de la création du fablab.

Au 8 Fablab, nous avons aussi la particularité de travailler étroitement avec des designers, et d’être très concernés par les questions d’innovations qui partent des usages et des besoins des gens, des structures et des organisations pour penser des projets et les réaliser, au-delà de la mise à disposition de tout un tas d’outils techniques.

Votre département semble être un lieu de croisement entre artisanat, métiers d’art, et aujourd’hui, nouvelles technologies accessibles au public. A quoi cela tient-il ?

La Vallée de la Drôme compte beaucoup d’artistes, en spectacle vivant (théâtre, arts de rue), mais aussi beaucoup d’artisans et de métiers d’art en effet, avec une forte culture, dans notre région particulièrement, de la céramique. Nous avons Dieulefit avec la Maison de la Céramique pas très loin d’ici – qui propose d’ailleurs une formation certifiante BAC+2 en céramique qui bien identifiée au niveau national – ou encore des lieux de poterie comme Cliousclat. Un village de potiers qui a plus de 1000 ans. Plus haut au nord de la Drôme, on trouve des entreprises comme Revol, Fayol et Ceralep, qui fabriquent de nombreux objets du quotidien (fours à pain, etc.) en céramique également. Il existe donc une forte culture potière dans le département, et au-delà des échanges que l’on a pu avoir avec la chambre des métiers et des artisans nous entretenons ici à Crest un tissu basé sur une histoire industrielle qui fait partie du passé mais qui est la source de nombreuses activités actuelles. On y trouve des menuisiers, des artisans bijoutiers, des tapissiers et des représentants des métiers du textile, de la soie, du feutre et de la laine. Nous bénéficions donc de la présence d’un savoir-faire traditionnel qui se renouvelle et accède aujourd’hui à de nouvelles techniques et de nouveaux outils. Des personnes et des métiers qui font partie, au lab, de nos publics et des usagers. Notre public se compose d’ailleurs pour une moitié de professionnels et d’artisans d’art et pour une autre moitié du grand public.

Et ce vivier parvient à coopérer en synergie ?

Cela marche bien en effet, car nous nous sommes positionnés comme étant un outil au service des gens, qu’ils soient professionnels ou du public. Nous sommes également accompagnés par des structures comme Cap rural, qui est un centre de ressources pour le développement local Rhône-Alpes. Sa vocation est de donner aux acteurs du développement la capacité d’engager et de conduire des projets sur leur territoire. Ils nous suivent depuis le début et ont beaucoup participé à l’élaboration du projet par leurs conseils et leurs mises en relation avec les autres acteurs du département.

Exposition « 3D – 3Terres » à la Maison de la Céramique de Dieulefit. Au premier plan, pièces de Marie France Guarneri. © Juan Robert
Djamila Hanafi © Juan Robert
Dany Gilles © Juan Robert

Parlez-nous plus précisément de l’exposition 3D 3Terres, comment est-elle née ?

Le projet a émergé il y a un an et demi, et a débuté concrètement il y a un an avec l’organisation des premiers workshops avec des céramistes, en novembre, janvier, février 2018. Nous avons réuni trois groupes de 6/7 personnes qui sont venus tester la machine pendant une semaine, et au préalable se former aux logiciels de dessins 3D. Il y a eu un temps de découverte pour certains, et un premier travail sur l’outil informatique qui n’est pas habituel pour tous, même si toute une nouvelle génération d’artistes et d’artisans, céramistes ou plasticiens, sont déjà formés à ces techniques. Parmi celles-ci il faut préciser que nous avons par exemple des outils de réalité virtuelle qui permettent de modeler et de sculpter en 3D, et qui sont peut-être un peu plus intuitifs et simples à appréhender que certains logiciels 3D traditionnels.

L’intérêt de ces semaines de formation a aussi été de pratiquer un temps d’observation, pour nous, au lab. La plupart des participants ont par exemple témoigné de la découverte du travail en commun. Chose qu’ils pratiquent finalement peu, chacun de leur côté, seuls dans leurs ateliers. Pour beaucoup, ces modes collaboratifs – des modes de fonctionnement propre aux fablabs et aux tiers lieux en général – sont enrichissants parce qu’ils ont pu apprendre des autres, échanger leurs petits trucs, approcher de nouvelles techniques, etc. De notre côté nous nous sommes rendus compte qu’il y avait vraiment un intérêt à mêler des approches et des savoirs complémentaires, comme ceux des céramistes qui connaissent parfaitement le matériau terre, et ceux des designers par exemple, qui savent dessiner et concevoir des pièces rapidement avec l’outil informatique.

Bien sûr, l’enjeu de ces workshops était aussi de produire des pièces. Nous avons donc proposé de produire une exposition qui mette en lumière ces croisements. Nous avons donc finalement réussi à réunir 18 céramistes du département. Certains n’ont pas cette culture du numérique, leur travail se fait autrement, avec d’autres outils, d’autres techniques, d’autres approches, mais du coup 8 Fablab propose un vrai travail de sensibilisation, d’accompagnement, que nous réalisons en partie en partenariat avec d’autres acteurs du département.

Marie France Guarneri lors du workshop céramique au 8 Fablab. DR.
Julia Huteau, Gabrielle Conilh de Beyssac, Audrey Ballacchino, Dany Gilles, Djamila Hanafi et Bastien Pyon (fabmanager) observant l’impression d’une première pièce par l’imprimante 3D céramique lors du workshop céramique au 8 Fablab. DR.
Impression d’une pièce de Dany Gilles par la machine. DR.

La machine utilisée par les céramistes ici, est unique en Europe… racontez-nous comment vous l’avez acquise…

La machine a été conçue au Pays Bas par Olivier Van Herpt, un jeune designer d’Eindhoven dont certaines pièces appartiennent désormais aux collections du Centre Pompidou de Paris et du Metropolitan Museum of Art de New York. L’idée d’acquérir cette machine est initialement de Jérôme Delormas, de 369 éditions, aujourd’hui directeur de l’isdaT, l’institut supérieur des arts de Toulouse et du studio de design du président de l’association. Nous avons initié son achat en indivision avec 4 autres structures partenaires qui ont cofinancé l’achat de cette machine. En plus de la machine, il fallait aussi acheter un four et tout l’équipement pour la VR, et toute la partie logiciel. C’est une grosse acquisition. Nous sommes sur un investissement de 45 000 € qui a été rendu possible par ce principe d’indivision. L’avantage, c’est que les recettes qui proviennent de cette machine sont également partagées entre les investisseurs, en fonction de l’achat et la participation de chacun au départ. Une partie revient également au fablab qui en a la maintenance.

Comment fonctionne-t-elle ?

L’avantage avec cette machine c’est que l’on utilise la même terre présentée sous la même forme que les potiers traditionnels. Ce sont des pains de terre que l’on doit battre et travailler pour éliminer les éventuelles bulles d’air qui gêneraient pendant l’impression. Nous remplissons ensuite un gros cylindre qui se trouve à l’arrière de la machine et qui pousse la terre grâce à un piston (une visse sans fin) qui est envoyée dans un tube plus fin et dans un fil pour être imprimer. C’est le même fonctionnement qu’une imprimante dépôt de fil classique, à part que la terre, en tant que matériau vivant et malléable, l’opérateur peut intervenir dessus.

Quel est le propos de l’exposition 3D 3Terres ?

Avec cette exposition nous avions envie de montrer et d’observer comment une machine, et toutes ses technologies du 21ième siècle qui l’accompagnent, allait faire bouger les choses sur notre territoire. Nous ne voulions pas tout remettre en question, l’idée n’était pas là, mais nous souhaitions observer ce que cela changeait dans les pratiques des professionnels, et comment cela provoquait potentiellement une évolution du développement économique d’un certain secteur sur le territoire et notamment dans notre milieu rural. En gros, nous souhaitions interroger l’évolution de la céramique en tant qu’artisanat à la lumière des nouvelles technologies dans le champ des métiers d’art, ainsi que leur impact sur le développement local en milieu rural. Qu’est-ce que cela apporte de proposer l’utilisation d’une machine de ce type – un outil qui est assez révolutionnaire en ce qui concerne les techniques d’impression 3D céramique – et qu’est-ce que cela provoque ? Comment les usages changent ? Changent-ils d’ailleurs ? Et comment ?

Et alors, ont-ils changé ? Quelles évolutions avez-vous pu constater ?

On aurait pu craindre que l’utilisation d’une machine comme cette imprimante 3D céramique uniformise en quelque sorte le travail des artistes. Or, on se rend compte quand on découvre l’exposition que ce n’est pas le cas du tout. D’une part parce que les céramistes, dont c’était la première expérimentation avec ces techniques, ont eu tendance à reproduire ce qu’ils faisaient naturellement avec leurs mains et leurs outils, donc nous sommes peut-être pour l’instant dans une innovation moindre, mais cela permet aussi de se rendre compte de la diversité de pièces et de styles que cela permet de produire, tout à fait, finalement, comme si ces pièces avaient été créées entièrement à la main par des humains. Paradoxalement, certaines œuvres ont vraiment bénéficié de l’apport de la machine, et ont été rendues possible par elle, car elles auraient été très difficiles à réaliser à la main…

Damise Brault © Juan Robert
Sarah Clotuche © Juan Robert

Quelles sont les suites quant à son utilisation ?

La machine est utilisée en continu. Nous proposons des passeports machines pour les personnes intéressées par l’impression céramique, comme nous en proposons pour nos autres outils, imprimantes 3D, lasers ou autre. Nous avons d’ailleurs des designers qui l’utilisent souvent, dont notamment l’agence Bold Design de Julien Benayoun, qui est venu s’installer à Crest. Il y a également une céramiste qui vient du milieu des arts plastiques et de la photographie, qui a pour projet de se lancer dans de la sculpture et des œuvres céramiques, qui cherche à créer une ligne d’objets, qui l’utilise régulièrement. Des artistes viennent aussi s’en servir. C’est le cas de Gaëtan Gromer des Ensembles 2.2 à Strasbourg, ou de l’artiste Robert Stadler. Beaucoup d’étudiants s’y intéressent. L’école des Beaux-Arts de Lyon est venue pour un workshop avec le designer Guillaume Bardet. On espère continuer à accueillir des écoles parce que le travail que font les étudiants est souvent riche en matière de créations et d’expérimentations. Nous devons d’ailleurs collaborer sous peu avec une école d’architecture qui est intéressée par cette machine.

Et les suites du projet ?

En janvier nous pourrons faire le bilan de l’exposition et de son itinérance entre Cliousclat, Dieulefit et le Centre d’Art de Crest. Nous allons aussi essayer de repérer les besoins pour les professionnels. Je pense qu’ils ont besoin de formations complémentaires, parce qu’une semaine n’est pas suffisante pour la prise en main d’une telle technologie : la machine, ses paramètres, les logiciels qui permettent de l’utiliser, etc. Il y a aussi nécessité de faire de nouveaux tests (scan en 3D etc.) et d’établir les bases d’un de travail de recherche. Pour nous cette machine est aussi là comme outil d’expérimentation. Nous avons aussi pensé à nous équiper à nouveau. Nous aurions besoin d’une boudineuse – un outil qui permet de travailler la terre avant impression. Il y a également tout un travail à mener sur les objets (frigo africain). Des études à faire aussi sur les différentes pièces de cette machine, comme la nécessité d’une buse qui permettrait de faire des choses plus fines, par exemple. Pour cela nous pensons à des échanges avec les industriels de la région. Il faut imaginer de nouveaux marchés, voir comment tout cela peut apporter à la filière drômoise : comment cette technologie peut amener de la valeur ajoutée aux professionnels qui s’en servent, mais aussi au territoire en termes de visibilité, de renommée, de tourisme, de partenariats avec d’autres territoires, penser des échanges internationaux, etc. Et continuer à accueillir des étudiants, des artistes et des chercheurs. C’est un projet de longue haleine.

L’exposition 3D 3Terres se visite encore jusqu’au 22 décembre au Centre d’art de Crest dans la Drôme.

En savoir plus sur le 8 Fablab et Cap Rural.