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Villette Makerz forme à la conception circulaire, rencontre avec Samuel Rémy

Villette Makerz, la rotonde. DR.

Villette Makerz lance en janvier une formation sur le design circulaire et l’apprentissage par la matière. Makery a rencontré Samuel Rémy, directeur de cet incontournable makerspace au cœur du Parc de la Villette.

Fondé en 2016, Villette Makerz est un espace de travail, d’expérimentation et de diffusion pour les makers situé dans la plus grande « folie » du parc de la Villette. Ce lieu-outil en perpétuel mouvement propose un fablab, une boutique, ainsi qu’une école du numérique créatif, une programmation culturelle et des services d’accompagnement à l’innovation. Son directeur, Samuel Rémy, est un ingénieur en travaux publics et architecte qui parallèlement à une vie d’expert en conception durable des bâtiments s’est pris de passion pour les fablabs et l’éducation au design circulaire. Makery a voulu le questionner sur l’évolution et l’actualité de Villette Makerz comme sur sa vision de l’apprentissage, de la fabcity et des promesses gouvernementales d’accompagnement des tiers-lieux dans le contexte d’un urbanisme qui doit répondre aux ambitions des Plans Climat territoriaux.

Samuel Rémy. DR.

Makery : Pouvez-vous revenir sur l’historique et la présentation du Villette Makerz ?

Samuel Rémy : Le projet Villette Makerz est né de ma rencontre avec Didier Fusillier (Président de l’Établissement Public du Parc et de la Grande Halle de la Villette, ndlr) qui cherchait un acteur local orienté autour du DIY pour réactiver la plus grande des Folies du Parc. De mon côté, avant cela j’avais co-fondé deux tiers lieux : WoMa, fabrique de quartier, et Ourcq Blanc, un coliving éphémère. Avec des équipes du Parc et des porteurs de ces tiers-lieux, nous avons essayé de faire cette couture territoriale entre société civile et institution, autour de ce que nous savions faire : accompagner les jeunes entrepreneurs autour du « faire » avec du co-working, de la formation et de l’apport d’affaires. A cela s’est ajoutée une mission de service public : proposer des activités gratuites pour les familles et les enfants à partir de 6-8 ans. Villette Makerz fonctionne sept jours sur sept, toute l’année, avec des activités en semaine pour les professionnels et le week-end pour le grand public.

Villette Makerz vue depuis la passerelle traversant le canal de l’Ourcq. DR.
Une partie de l’équipe VIllette Makerz en juin 2018. © Naïs Bessaih

Comment êtes-vous parvenu à proposer une offre grand public ?

Le premier enjeu était de créer une synergie entre créatifs et grand public. Chaque année, nous lançons la résidence « Expérimenter et Transmettre » autour d’artistes et de créateurs qui accueille six à sept projets en lien avec la créativité et/ou le numérique. La résidence a lieu d’avril à juin et l’appel de cette année sera lancé le 24 novembre pendant la Maker Faire de Paris. En contrepartie d’un accompagnement de leur projet personnel, nous demandons aux créateurs de réaliser un contenu pédagogique autour de leur univers. A l’issue de la résidence, notre équipe fait vivre ces contenus tout au long de l’année et participe à la promotion de leurs auteurs.

Le second enjeu était le développement de contenus par l’équipe de salariés et des services civiques de Villette Makerz. Nous avons développé un « Code club » pour les enfants mordus qui ont envie de revenir tous les week-ends et d’apprendre les différentes techniques présentes dans notre fablab. Nous avons un format appelé l’Open-lab pour accueillir les projets des adultes le samedi. Cela nous a permis de créer et de programmer une quarantaine d’ateliers créatifs avec une bibliothèque de projets qui s’améliore au contact du public.

Le week-end nous voyons ainsi passer entre 100 et 500 personnes et recevons 10 000 personnes chaque année. Villette Makerz est un espace culturel grand public dans lequel on va mettre en avant des contenus originaux, gratuitement ou à prix dérisoire.

Code Club, premier niveau, session Scratch. DR.
Datapics, session de travail avec le public de passage ce week end d’octobre 2017. DR.
Festival de la microédition FANZINES ! en 2016. DR.

Comment travaillez-vous avec le Parc de la Villette et ses événements ?

Nous nous inscrivons dans les temps forts du Parc de la Villette, en accueillant des collectifs pour coproduire les événements avec nous. Cela donne par exemple le Festival Constellations dans le cadre de Jazz à la Villette. Il se passe la même chose avec Villette Sonique, Nuit blanche ou avec le Festival 100% qui se déroule fin mars. C’est une expo où le Parc rassemble les grandes écoles d’art et de design parisiennes. L’année dernière nous avons invité à se rencontrer un collectif de la Design Academy d’Eindhoven et un collectif de jeune designers parisiens. Vis-à-vis du Parc de la Villette nous sommes indépendants dans notre fonctionnement et de plus en plus soutenu dans notre programmation. Je remarque que la première année le Parc nous a accueilli, la deuxième il nous a mis dans le « off » et cette année dans le « in » sur les différents événements.

Vernissage de l’exposition 100% – 2019. DR.
Scène musical devant le canal, pour Claudio Trio, Jazz à la VIllette 2019. DR.
Le Front de Libération des Résistances, Villette Sonique 2019. DR.

Comment travaillez-vous avec les jeunes entrepreneurs ?

La semaine, nous avons une cinquantaine d’abonnés. Ce ne sont pas que des professionnels qui utilisent des machines numériques. Ils travaillent dans tous les domaines de la création. Nous leur proposons des espaces de travail, des machines de production et de la formation à ces outils. Notre démarche est aussi de les associer aux services de conception, de fabrication ou d’animation que nous réalisons auprès des entreprises afin de leur générer des revenus et ainsi créer un cercle vertueux avec nos abonnés.

Nous avons par ailleurs un pôle d’artisans avec des métiers de chapelier, maroquinier, céramiste etc. Au-delà de la vente d’objet, les artisans font évoluer leur métier et proposent des ateliers pour les particuliers. Cela donne une nouvelle expérience utilisateur : faire pour soi-même, travailler la matière et pas seulement acheter un objet. Enfin, nous les accompagnons pour explorer la manière dont les outils numériques modifient les pratiques pour gagner en productivité et en créativité.

Laura Essayie, bijoutière à son atelier. © Naïs Bessaih
Fred d’AFrican Boyz CLub à son atelier. DR.
Cours de tour céramique avec Jonas Euvremer. DR.

Vous lancez en 2020 un nouveau programme de formation sur le Design circulaire, en quoi consiste-t-il ?

En effet, nous avons participé à l’exposition « Nouvelles vies » il y a deux ans, autour des nouvelles vies des matières, de l’éco-conception, avec 35 projets internationaux emblématiques. Nous avons ensuite lancé un appel à créations et une exposition « Nouvelles vies 2 » avec la Réserve des arts pour voir comment les artistes et designers donnaient une nouvelle vie aux matières et démocratiser ces pratiques auprès du public. De là, nous avons commencé à détecter les nouvelles compétences que chacun invente par lui-même. Nous nous sommes dits qu’il était important de les consolider et de les transmettre.

La formation « Design Circulaire – apprendre par la matière »  a été retenue dans le cadre de ParisFabrik et commencera en janvier. Il s’agit d’une formation expérimentale de 300 heures montée en partenariat avec notamment : la Maison des canaux, le Centre de Recherches Interdisciplinaires, Matériaupole, et des designers pionniers. Nous nous adressons aux demandeurs d’emplois, aux salariés et aux indépendants qui veulent faire le pari que cette démarche créative de pensée est un vecteur important de l’innovation et du développement des entreprises. Les inscriptions sont ouvertes !

Travaillez-vous avec des écoles ?

Nous nous intégrons aux actions d’opérateurs comme l’APSV (Association de Prévention du Site de la Villette), travaillant avec des groupes scolaires situés dans les quartiers politiques de la ville ou avec des publics fragiles. Par ailleurs dans les projets de cette année, nous avons la première promotion du Collège-Lycée Montessori 21. Nous essayons de rapprocher les méthodes Montessori et celles de l’apprentissage dans un fablab où l’on apprend par la matière et le faire. L’année dernière nous avons accompagné le School Challenge de JPMorgan pour donner envie à des classes de seconde de s’orienter vers une carrière scientifique. Enfin, l’année d’avant nous avons accueilli Becomtech et son programme pour jeunes filles qui vise à renforcer leur choix d’orientation vers le numérique. Citons également l’Aquathon une semaine de créativité citoyenne, d’apprentissage scientifique et technologique, préfigurant une école des ODD – Objectifs du Développement Durable de l’ONU. Chaque année nous accompagnons ainsi un ou deux programmes éducatifs dans leur phase d’amorçage.

Un jour de la semaine, coworking nomade dans la rotonde. DR.

Au terme de trois ans, quels principaux enseignements tirez-vous sur le rôle de ce type de fablab ?

Pour un fablab grand public, le principal enseignement que je tire porte sur l’importance de combiner : l’atelier pour apprendre en faisant soi-même et le projet pour apprendre en faisant ensemble. C’est une culture qui est arrivée dans les fablabs. Aujourd’hui dans tout établissement culturel, cette approche de la médiation est recherchée pour toucher les publics et les familles. De notre point de vue, cela permet aussi de créer des situations de collaboration parents-enfants qui ne pourraient pas facilement exister. Les enfants ont une grande capacité d’assimilation culturelle et pensent de dehors des cadres des adultes. On arrive à créer des situations de coopération basées sur les intuitions des plus jeunes et l’expertise des plus grands.

Ateliers gratuits pour l’été du canal à Bobigny. © Arthur Crestan

Vous êtes membre fondateur de Fab City Grand Paris, quel rôle y jouez-vous ?

Nous collaborons notamment au Fab City Store. Le Fab City Store va permettre de fédérer une communauté de créatifs autour de l’objet design. L’idée est de les aider à imaginer des produits qui pourraient être fabriqués localement au plus près des lieux de consommation. Cela passe par un accompagnement des créateurs pour arriver à penser leur produit dans cette optique et une recherche de réseaux de distribution, notamment via les boutiques de musées.

Nous sommes investis par ailleurs dans le Fab City Research Lab qui cherche à capitaliser les expérimentations des différents acteurs de Fab City Grand Paris au sein d’un plus vaste réseau international en connaissances et outils pratiques. Cela regroupe des contributions sur la revalorisation des matières, sur le design distribué, sur les tiers-lieux, sur les modèles de production circulaire, sur l’apprentissage collaboratif, etc.

Le Fab City Store durant le Fab City Summit 2018. DR.

Comment voyez-vous l’avenir et le rôle de Fab City Grand Paris ?

Ce que je peux souhaiter c’est que nous soyons capables d’expérimenter et de fédérer à l’échelle d’un territoire apprenant. De nombreuses initiatives concourent au fait de dire qu’il est plus sensé d’envoyer un e-mail qu’un container à l’autre bout du monde et que la matière c’est aussi le patrimoine des territoires. Donc l’enjeu est d’arriver à changer de regard, en faisant de la notion de matière un patrimoine local, en montrant que cela a des vertus économiques, que cela créé des emplois qui ne sont pas délocalisables par nature.

Nous sommes encore dans un moment où il y a besoin d’impulsion publique pour orienter, initier, investir. Quand la société civile et les acteurs privés arriveront à maturité, les institutions publiques devront alors encadrer et contrôler les pratiques. Le rôle de Fab City Grand Paris pourrait être par ses expérimentations et leur capitalisation de continuer à défricher les possibles, de constituer un réseau d’apprentissage sur la ville durable, de conseiller les grands acteurs et d’identifier les conditions de passage à l’échelle tant par des dispositifs incitatifs que par des évolutions réglementaires.

Que pensez-vous de l’appel à projet « Tiers lieux » du gouvernement, y participez-vous ?

Villette Makerz a répondu sur la première vague de Fabrique de territoire. L’objectif est de pérenniser nos emplois notamment en devenant un tiers-lieu ressource. Nous avons déjà du contenu et réalisons cette mission de fabrique de territoire en connectant le public et les acteurs locaux.

Le projet gouvernemental consiste à promouvoir 300 Fabriques de territoire, avec 30 projets sélectionnés tous les trois mois. Cela créé un immense appel d’air et c’est très bien de promouvoir ce dispositif à cette échelle. Une question que je me pose est de savoir si le rythme soutenu permettra de renforcer à long terme les acteurs : les modèles économiques des tiers lieux sont précaires, reposent sur un investissement en temps bénévole très important et recouvrent des organisations humaines très variées. Après peut-être que l’on arrivera à faire en sorte que chaque tiers-lieu parraine, en accompagne d’autres. Ce serait peut-être une orientation pour professionnaliser les acteurs via un réseau apprenant et rendre viables à long terme les tiers-lieux.

Autour de cette politique, je vois une autre dimension. C’est le fait qu’aujourd’hui le tiers-lieu, le fablab, l’urbanisme transitoire dessinent les contours d’une « French touch », quelque chose qui peut concourir au rayonnement culturel international de la France dans la conception de la ville durable et de l’aménagement du territoire.

En savoir plus sur Villette Makerz et la formation ParisFabrik sur le design circulaire.