Makery

Field Notes explore les cieux en Laponie subarctique (3/3)

Le groupe AIR visitant le radar HF de l'EISCAT © Ewen Chardronnet

Field Notes est un laboratoire art&science de terrain organisé du 15 au 22 septembre par la Bioart Society d’Helsinki à la Station Biologique de Kilpisjärvi en Laponie finlandaise. Cinq groupes y ont travaillé une semaine sur des questions situées « au dessus du sol ». Troisième et dernier chapitre du journal de bord du groupe Second Order.

L’expédition « Field Notes – The Heavens » organisée par la Bioart Society de Helsinki dirigeait cette année son attention et ses expériences vers les cieux du cadre subarctique unique de la Station Biologique de Kilpisjärvi et de ses environs – à la frontière Finlande-Suède-Norvège. Les quarante participants se sont retrouvés une semaine pour en apprendre davantage sur ce qui se trouve au-dessus du sol : la biologie dans l’air, les échanges matériels permanents entre Terre et espace, l’atmosphère comme hyperobjet, les politiques aérienne et spatiale, les histoires sámi et les liens du vivant avec le ciel de manière générale. Makery vous propose une semaine avec le groupe Second Order coordonné par Ewen Chardronnet de Makery.

Vendredi 20, septembre

A l’EISCAT avec le groupe AIR, par Ewen Chardronnet

Ce vendredi était une journée importante pour le groupe AIR, ca les hôtes Hanna Husberg & Agata Marzec avaient organisé une visite de l’EISCAT situé à Ramfjordmoen près de Tromsø, Norvège, à environ 2h30 de route de Kilpisjärvi.

EISCAT, “European Incoherent Scatter Scientific Association”, est une coopération internationale et associative d’instituts de plusieurs pays (impliquant les trois états scandinaves, la Chine, le Japon, la Grande Bretagne, et d’autres). L’EISCAT mesure l’atmosphère et l’ionosphère avec de grands radars et opère de plusieurs sites situés au dessus du cercle arctique : à Kiruna en Suède ; Sodankylä en Finlande ; Longyearbyen au Svalbard ; et à Ramfjordmoen, principale installation. A Ramfjordmoen, l’EISCAT opère une antenne UHF parabolique orientable de 32 mètres (dans la fréquence 930 MHz), une antenne VHF rectangulaire de 120 mètres de long (dans la fréquence 224 MHz), ainsi qu’un radiateur ionosphérique.

Ce n’est pas exagéré de dire que l’ambiance de groupe était à l’excitation de visiter un site aussi unique, il n’y a que 10 radars de diffusion incohérente et 3 radiateurs ionosphériques (EISCAT, le célèbre HAARP en Alaska/USA et le Sura en Russie) dans le monde. EISCAT a été créé en 1975 et est le seul système de ce type en Europe.

Le groupe a été accueilli sur le site EISCAT de Ramfjordmoen par Michael Rietveld, le responsable scientifique du site pour l’association. Le matin a été dédié à la compréhension de l’histoire et de la science des radars et du radiateur ionosphérique de l’EISCAT et de leurs usages dans différents types d’études et phénomènes, tels que la physique des plasmas, les variations de conditions atmosphériques et ionosphériques, les propriétés et dynamiques de l’environnement interplanétaire, la météo spatiale, les débris spatiaux et les aurores boréales.

La stratégie scientifique de l’association est définie sur leur site Internet : « Comprendre les différentes formes de couplage entre le Soleil, le medium interplanétaire, la magnétosphère terrestre, l’ionosphère et l’atmosphère des régions de haute latitude, le forçage naturel ou anthropogénique, et les physiques et dynamiques plasma correspondantes, de manière à établir des connaissances, de la compréhension, des principes et techniques qui permettraient à l’humanité de mesurer, prédire et mitiger de tels processus dans les 30 prochaines années. »

Michael Rietveld a décrit au groupe AIR de Field Notes diverses expériences menées à l’EISCAT dans les trois dernières décennies. Deux expériences particulières ont intrigué les visiteurs. La première était le test missile ASAT de la Chine en janvier 2007 (ASAT signifie missile Anti-Satellite). Un missile Dongfeng 21 avait été tiré pour détruire un satellite météo FY-1C hors d’usage de la série des Fengyun situé à 860 km d’altitude, un moyen pour la République populaire de Chine de montrer « qu’ils peuvent aussi le faire » (détruire un satellite depuis le sol) comme les Etats-Unis et la Russie. L’EISCAT fut sollicité pour étudier les débris de la fragmentation conséquente au tir ASAT chinois. Cette situation se déroulait également dans le temps des activités de recherche de l’Année Polaire Internationale 2007-2009. Dans le même style, Michael Rietveld mentionnait que l’association EISCAT avait été encore sollicitée en mars 2019, cette fois pour un test ASAT de l’Inde.

La deuxième expérience impliquait une vidéo étonnante d’une aurore boréale artificielle réalisée par le radiateur ionosphérique il y a environ une vingtaine d’années. Si l’on veut décrire simplement les principes scientifiques on pourrait dire que le puissant transmetteur d’ondes radio du champ d’antennes du radiateur ionosphérique projette des ondes radio vers l’ionosphère qui peuvent littéralement la « chauffer ». Un ensemble de phénomènes de turbulence plasma peut ainsi être stimulé d’une manière semi-contrôlée depuis le sol. Michel Rietveld a expliqué au groupe que l’étude des réponses à ce type de stimulus permettait de compléter les observations passives de phénomènes de stimulation naturelle et ainsi de mieux comprendre les comportements de l’ionosphère et de la haute atmosphère : ce qu’il se passe est identique aux aurores stimulées par le soleil, et c’est pour cette raison que les émissions optiques stimulées par les ondes HF depuis la Terre sont nommées aurores artificielles.

Pour conclure cette matinée de présentation, Michael Rietveld a expliqué au groupe que les radars HF et UHF devraient être décommissionnés en 2021 (mais pas le radiateur ionosphérique), avec l’objectif de les remplacer par le système EISCAT3D, dont la construction du site principal devrait être achevée cette année à Skibotn, un village que le groupe a traversé sur son chemin depuis Kilpisjärvi. Le site de Ramfjordmoen abrite actuellement une petite section d’essai du futur EISCAT3D, mais pour diverses raisons, comme l’accroissement de la population dans les alentours de Ramfjordmoen et l’expansion de la ville de Tromsø, le choix s’est porté sur le site plus éloigné de Skibotn pour l’installation finale.

Comme l’explique le site de l’association EISCAT : “Le système EISCAT3D consistera en cinq champs d’antennes réseau à commande de phase situés dans les zones nordiques de la Finlande, de la Norvège et de la Suède. Chaque champ consistera en à peu près 10 000 éléments d’antennes dipôles croisés arrangées en 109 hexagones selon une structure en nid d’abeille. Un de ces sites (le site principal de Skibotn, ndlr) transmettra des ondes radio à 233 MHz, et les quatre autres sites auront des récepteurs sensibles capables de mesurer le retour signal. L’antenne réseau centrale de chaque site sera d’une taille d’environ 70m d’envergure, et les sites seront situés à une distance entre 90 et 250 km du site principal de manière à maximiser la couverture par le système.

“L’EISCAT3D est conçu pour utiliser différentes techniques de mesure qui, bien qu’elles aient été utilisées individuellement ailleurs, n’ont jamais été combinées en un seul système radar. La conception de l’EISCAT3D permet de combiner ensemble de grands nombres d’antennes pour proposer aussi bien un unique faisceau radar, qu’un nombre simultané de faisceaux par filtrage spatial (beamforming). Alors que les systèmes radars traditionnels qui ne disposent que d’une antenne à mouvement lent, et donc d’un seul faisceau, ne peuvent nous montrer que ce qu’il se passe le long d’une unique ligne dans la haute atmosphère, l’image volumétrique nous permet de voir les événements géophysiques dans leur contexte spatial complet, et de distinguer les processus qui varient spatialement de ceux qui varient temporellement. »

Un court documentaire expliquant les missions futures de l’EISCAT3D (en anglais) :

Après la pause déjeuner, deux heures ont été consacrées à la visite des différents équipements. Le groupe a pu visiter plusieurs salles de contrôle et techniques, et de marcher sur l’antenne VHF.

Plus tard, et comme cerise sur le gâteau, Michael Rietveld a conduit le groupe dans le champ d’antennes et la salle de contrôle du radiateur ionosphérique.

Le groupe a été étonné de pouvoir visiter et photographier librement de tels équipements, ce qui a mené les conversations sur le changement d’ère avec la décommission des radars et le développement de l’EISCAT3D, mais également sur le fait que ces équipements avaient été développés dans un contexte de guerre froide, un époque très différente d’aujourd’hui. Rietveld a également parlé de manière ouverte du financement militaire d’origine du site HAARP aux Etats-Unis, ce qui avait stimulé à l’époque de multiples spéculations et théories de conspiration en ce qui concerne les radiateurs ionosphériques. L’opposition entre fonctionnalités scientifiques et militaires des radars durant la guerre froide a également été évoquée par les membres du groupe, comme l’importance des systèmes de détection précoce et les radars trans-horizons, en comparant cela à la situation actuelle où la nouvelle course à l’armement se focalise sur les armes hypersoniques et le besoin associé de mettre à jour les systèmes de détection.

Rietveld, qui a travaillé à l’EISCAT depuis trois décennies et qui prendra bientôt sa retraite, a également évoqué le changement dans les stratégies de gestion de la recherche, et a fait remarquer que les scientifiques sont de moins en moins sur site à regarder le ciel, mais plus souvent à gérer la recherche et les données depuis des sites distants via l’Internet – quelque chose que l’on peut illustrer par le récent portail web DIRAC pour les données d’EISCAT.

Sur le chemin du retour, les discussions entre les artistes, historiens, théoriciens et scientifiques de Field Notes faisaient émerger l’intérêt de documenter le changement d’ère historique et culturel au travers de la période de transition à venir de l’EISCAT vers l’EISCAT3D. Les discussions se prolongeaient sur la possibilité d’envisager des expérimentations d’art sonore mais également la possibilité plutôt utopique de créer une aurore artificielle pour des objectifs artistiques. Que cela signifierait-il ? En cherchant les archives EISCAT on trouve que « les meilleures périodes pour conduire des expériences d’aurores artificielles sont les heures de semi-pénombres en soirée ou le matin lors des saisons d’automne, d’hiver et de printemps au moment du maximum du cycle solaire. Le prochain maximum solaire, le maximum du cycle 25, sera autour de 2022–2023 selon les prédictions de cycles solaires. » Un projet pour un futur Field Notes ?

 Matinée avec le groupe Strange Weather, par Anu Pasanen et Johanna Salmela

Le vendredi matin le groupe Strange Weather se rassemble autour d’une table dans la Wallgren house de la station bio. Il est temps de réfléchir aux activités de la semaine écoulée. Des textes, des images et des vidéos sont en cours de montage et de discussion. L’atmosphère oscille entre méditations sérieuses et rires apaisants. Le groupe discute de la façon de travailler les séquences vidéo filmées la veille et inspirées de l’un des mythes Seasámi, ainsi que de l’éthique de la documentation et du traitement du changement climatique, entre autres choses. Une question se pose : comment se confronter à la culture sámi, cette terre et cet environnement avec sensibilité et respect ? Que disons-nous et de quelle manière, en particulier lorsque nous citons les mots de quelqu’un d’autre ? Comment nommer les choses? Comment la nature s’adapte-t-elle, contrebalance-t-elle et lutte-t-elle à l’ère de la crise climatique ? Qui est en crise ?

Après-midi avec le groupe Strange Weather, par Adriana Knouf et Johanna Salmela (photos)

Passant le dernier après-midi ensemble en tant que groupe, les Strange Weather ont rencontré Erich Berger (lire notre interview) et l’ont écouté raconter une brève histoire géologique du mont Saana et de ses environs, qui couvre des époques qui dépassent l’entendement, remontant à des centaines de millions et de milliards d’années.

Avec Erich comme guide, nous avons de nouveau contourné l’aplomb du mont Saana, cette fois du côté sud. Notre objectif pour la journée : une tranche de temps de schiste et d’ardoise remontant à un passé récent, environ 500 millions d’années. Là, des traces de vie : pas des restes fossilisés de corps ou de chair ou d’os, mais plutôt des traces de mouvement, d’activité dans l’eau, des formes courbes et sinueuses qui se sont produites exactement au moment opportun pour être solidifiées. Plusieurs temps sont à aligner : le temps du mouvement de la créature, le temps de la conservation fossilisée, le temps du bouleversement qui expose cette agglomération particulière de schiste et d’ardoise, le temps de notre randonnée ce vendredi après-midi. Quelques candidats prometteurs s’exposent après un peu de dépoussiérage archéologique. Des questions de validité scientifique apparaissent : s’agit-il vraiment d’une trace ou s’agit-il simplement d’un arrangement fortuit de minéraux se faisant passer pour quelque chose de « significatif » ? Sans un expert sur place, et ne voulant peut-être pas infecter l’instant en allant chercher des données dans les réseaux sans fil auxquels nos corps sont connectés, nous spéculons, nous posons des questions, partageons des pensées et idées.

Alors que nous revenons sur nos pas, nous rencontrons un renne, il nous considère curieusement, puis il grimpe vers l’aplomb, sa cloche sonnant toujours plus silencieusement au fur et à mesure qu’il s’éloigne, un message approprié pour un groupe qui a exploré les croisements de temps et d’espace comme un moyen de remettre en question la hiérarchie des perspectives de la connaissance.

Dernier jours du groupe High Altitude Bio-prospecting, par Sophie Dulau & Adrien Rigobello

Ce matin le groupe High Altitude Bio-prospecting (HAB) embarque pour le dernier vol de ballon depuis leur site favori. Le sentiment est qu’un rituel s’est créé dans le fait de se rendre au même endroit tous les jours, et la dernière matinée ne consiste pas tellement à parler dans le groupe mais beaucoup à faire, tout le monde semblant synchronisé.

Différents types d’échantillons sont capturés par le même vaisseau flottant dans les airs : microbes, sons, vidéos, dessins… Puis le temps vient de dégonfler le ballon… Tout le monde se couche dans l’herbe et regarde le ciel et les différentes sortes de nuages en écoutant le son du vent.

Le groupe est ensuite descendu de la colline, ramenant tout le matériel, et s’est réuni dans le laboratoire pour un point final. De leurs jours de recherche de terrain, Melissa Grant, co-hôte du groupe HAB, se dit « très satisfaite de constater qu’il n’y avait pas de colonies microbiennes sur leurs plaques de contrôle, c’est-à-dire sur les chaussettes à vent qui n’avaient pas été lancés dans la troposphère au-dessus du Saana. Nous avons constaté que la chaussette à vent qui s’est écrasé au sol le jour de la neige a montré quelques colonies au bout de trois jours, mais pas celles qui n’ont pas touché le sol. Nous avons vu les colonies bactériennes et fongiques comme prévu. Donc des aperçus prometteurs. » Espérons que dans les jours et les semaines à venir, le groupe HAB aura plus d’informations.

Samedi 21 septembre

Clôtures par les groupes Second Order et Space-Earth-Space, par Adrien Rigobello

Cela n’a pas été un boulot facile. Tout au long de la semaine, la mission du groupe Second Order était de documenter et de challenger le perspectivisme des autres groupes de Field Notes. Mais en réalité, chacun des membres du groupe Second Order (tous les reporters de ces articles de Makery) n’avait passé qu’un maximum de deux jours avec les autres groupes. Peut-être qu’un bon moyen de décrire l’étrangeté du contexte est de citer que dès le premier jour un participant était intervenu pour demander que notre position soit clarifiée ; il y avait un doute évident sur notre capacité à transcrire honnêtement les événements de la semaine sans être intégrés à plus long terme aux groupes sur lesquels nous ferions rapport. En poursuivant notre mission tout au long de la semaine, nous avons eu l’impression que nous avions un traitement spécial : parfois marginalisés, voire refusés de participer, mais aussi félicités pour nos actes éphémères de participation, nous sommes devenus l’assaisonnement et le piment de tous les groupes. La plupart d’entre nous partageons les mêmes philosophies ; après tout, ne sommes-nous pas tous à la recherche des mêmes discussions ? Comme cela fut étrange de se retrouver mis en première ligne et observés, alors que nous étions supposés être les reporters discrets et humbles de discussions passionnées. C’était très amusant, je ne peux pas le nier.

Mais quand le moment vint de rassembler et de concevoir collectivement pour le samedi une activité qui refléterait nos observations pseudo-anthropologiques, nous nous sommes retrouvés envahis par un million d’idées, certaines humoristiques, ludiques ou même journalistiques. Mais il nous semblait étrange d’endosser ce rôle de médiation. Et en réalité, il était clair que les groupes n’avaient pas partagé le même espace et le même temps pendant la semaine. Absorbés la journée par leurs propres enquêtes et leurs rituels, seuls les dîners pouvaient se transformer pour les participants en des temps de mélange et d’échange.

Une chose était sûre, nous voulions partager notre expérience – l’expérience particulière d’avoir eu la chance de rencontrer tous les participants. Après des négociations et des échanges de toutes sortes – après tout, nous avons également été choisis pour former un groupe éclectique – nous nous sommes décidés à proposer une perspective et une expérience sociale plus vastes. Ainsi, en introduction, Vishnu Vardhani Rajan concevait spécialement un dérivé de la « privilege walk », performance humoristique, mais aussi reconnaissance de la décentralisation nécessaire de la position de notre groupe en tant qu’observateurs privilégiés. Puis l’événement principal consistait en une redistribution en profondeur de tous les groupes, avec les allégeances familières redistribuées selon de nouvelles lignes, cela autour d’éléments rassemblés sur des tables, des images, des objets et des concepts intrigants qui avaient été collectés ou discutés sous diverses formes au cours de la semaine. La cerise sur le gâteau était définitivement offerte sous forme de speed-dating, permettant ainsi de passer un tête-à-tête privilégié avec des membres du Second Order, aux côtés d’Erich Berger, Leena et Oula Valkeapää.

Le final du groupe Second Order s’est conclu par une photo de groupe.

Photo de groupe pour clore la semaine. © Till Bovermann, http://tai-studio.org

L’éthérique groupe Space-Earth-Space devait à l’origine organiser son activité de groupe le vendredi. Soucieux de prendre soin d’un membre du groupe blessé dans un accident de vélo ce jour-là, ils avaient opté pour un report. Bonne idée, car même après notre activité de récapitulation de « deuxième ordre », tout le monde avait encore soif de nouvelles « notes de terrain ». Et Space-Earth-Space n’a pas déçu : ils ont proposé le dessert.

Une fois tout le monde installé dans un grand cercle de quarante chaises préalablement installées dans la salle à manger, Andy Gracie, l’hôte de Space-Earth-Space, ouvre la performance en plaçant une roche stratifiée du mont Saana et une météorite de fer (ataxite) au centre de notre cercle. Le rituel commence. Kira O’Reilly attrape la météorite et le son d’une lime qui gratte la météorite commence à résonner à travers le cercle. Andy commence à raconter l’histoire d’une météorite, un des différents témoignages que le groupe a recueilli, accompagné par le son du broyage continu et très physique de la petite météorite froide. Flis Holland, Melanie Kathryn King, Minna Långström, Sushant Passi : la météorite et la lime passent de mains en mains entre les membres du groupe dispersés dans le cercle, tout comme les histoires, les anecdotes et la poésie. Je dois admettre que je n’avais pas remarqué la position des membres du groupe au moment de mon entrée dans la salle, mais un tel positionnement a définitivement créé un sentiment transcendantal.

Andy termine le rituel en nous disant qu’il n’y a eu que trois cas enregistrés de géophagie – ou d’ingestion météoritique – à travers l’histoire. Et aujourd’hui sera le quatrième. Minna et Sushant se mettent alors à la préparation d’une recette traditionnelle, un rahka « cosmique » aux bleuets, une adaptation d’une recette finlandaise à base de quark.

Il y a un sentiment étrange dans la pièce à envisager de faire des cieux une partie de notre corps. Le dessert est servi : nous prenons et mangeons et ne faisons qu’un avec les cieux. Allons-nous être bloqués au contrôle de sécurité demain à l’aéroport ? Plus tôt dans la semaine, nous avions noté que malgré toutes nos discussions fondées sur des bases scientifiques et artistiques de l’approche des « cieux », nous n’avions pas encore pris en compte la spiritualité. Maintenant, avec ce rituel et dans ce cercle, nous sommes tous honorés de faire partie de Field Notes.

Chasser le renard de feu, mots de conclusion par Luis Campos

Sur ma route vers le nord et Kilpisjärvi, il y a une semaine, j’avais un après-midi de transit à tuer à Rovaniemi et je me suis donc arrêté à l’Arktikum, le musée polaire, où je me confrontais pour la première fois aux aurores boréales : « Le mot finlandais ‘revontulet’ fait référence au renard de feu », annonçait un espace d’exposition. « Selon une croyance, le renard de feu qui court dans le lointain nord frotte ses côtes le long des collines, ce qui fait jaillir des étincelles vers le ciel et créent les feux du renard. » Un autre cartel disait : « Le nom Revontuli vient du renard de feu (revon/repo : renard ; tuli : feu), qui, alors qu’il court dans le nord le plus éloigné, fouette avec sa queue des flocons de neige qui vont ensuite briller dans le ciel. Une autre explication est liée au mot repo des Finlandais des forêts, qui signifie un sort. Ainsi, les aurores boréales seraient des lumières magiques, qui raconteraient une lutte céleste entre les ténèbres et le pouvoir de la lumière. » Mes propres efforts pour voir une aurore boréale cette semaine répondaient assez à ces luttes cosmiques entre les ténèbres et la lumière : entre les nuages, la pollution lumineuse et les lueurs et spectres lumineux du ciel nocturne au-dessus du Saana.

« Space, Satellites, Saana », de Antti Tenetz, vidéo tournée durant la randonnée nocturne du groupe Space Earth Space :

Ici, dans l’un des meilleurs endroits au monde pour observer les aurores (« Selon les statistiques sur les aurores boréales, trois nuits sur quatre sont des nuits d’aurore boréale à Kilpisjärvi », avait noté un panneau du musée), j’ai finalement passé la plupart des nuits nuageuses à attendre ce phénomène remarquable de la nature que j’espérais voir ici pour la première fois. Presque chaque jour, le ciel la plupart du temps dégagé du crépuscule me laissait un temps espérer, et je comparais avec les prévisions sur Internet dont les nuances de vert appelaient des probabilités légèrement plus élevées certains soirs. Je m’émerveillais devant les constellations nocturnes, j’imaginais, dans l’attente d’une sorte de révélation céleste, sinon des chœurs d’anges, au moins des arcs, des bandes, des tâches, des voiles et des rayons, cinq lettres saillantes en vert et rouge avec lesquelles les aurores écrivent leurs illuminations spectrales. Les aurores seraient localisées dans la ionosphère entre 60 et 1 000 km au-dessus de notre tête, mais les nuages ​​qui finissaient par reconstituer une épaisse couverture au-dessus de moi pendant des heures et des heures, soir après soir, me disaient surtout qu’elles auraient aussi bien pu se trouver à un million de kilomètres. J’enviais d’autres personnes qui avaient eu de meilleures fenêtres dans les nuages pour voir les aurores.

Le quatrième soir, alors qu’une sorte d’interférence terrestre avait réussi à couper le wifi, je quittais Firefox pour aller chasser les feux du renard et me dirigeais vers l’extérieur. Mais même si loin d’Internet et des environnements numériques saturés des régions plus au sud, je ne pouvais toujours pas m’empêcher de penser à un réseau d’hyperliens ancestraux donnant un sens à tout cela. J’échouais de nouveau dans mes tentatives d’observation et je m’endormais en rêvant d’aurores imaginaires.

La cinquième nuit, avec des cieux que partiellement nuageux, je réessayais. Je quittais le kota et marchais dehors en laissant mes yeux s’adapter au ciel nocturne. L’horizon nord semblait lumineux – comme s’il s’agissait d’une aube septentrionale – mais, dans mon ignorance, je ne savais toujours pas s’il fallait attribuer cela à un long coucher de soleil ou à une aurore.

Leena Valkeapää sortit du kota quelques minutes plus tard et m’observa pendant un moment. Elle me raconta alors l’histoire de la grand-mère de son mari, Oula Valkeapää, qui, il y a un siècle, comptait sur les aurores dans les profondeurs de l’hiver : le ciel immense et la terre enneigée se reflétaient de telle sorte que cela créait une sorte de « journée », me dit-elle, qui permettait de mener le travail nécessaire avec les rennes. Tandis que Leena décrivait ce qu’il fallait rechercher au-dessus de nos têtes, elle inspectait elle-même le ciel. Les aurores étaient comme des aquarelles, faisait-elle remarquer, des aquarelles auxquelles on a ajouté trop d’eau. Quelques lignes apparaissent ensuite, puis il y a trop d’eau à nouveau, ce qui élimine toute possibilité de fixer son regard. Cela peut se reproduire maintes et maintes fois, en l’espace de quelques minutes, disait-elle : il faut regarder, détourner le regard ailleurs, puis regarder encore pour voir ce qui a changé. De cette façon, le discret devient identifiable comme une aurore. « Tu dois suivre le ciel », affirmait-elle. Leena concluait que les petites traces que nous observions et la légère lueur derrière les nuages ​​au-dessus de Saana étaient une lumière aurorale, et que – à tout le moins – je pourrais dire que j’en avais fait l’expérience. Mais j’étais toujours incertain et insatisfait : s’il y avait une aurore ce soir-là, elle m’aurait de nouveau empêché de sentir sa majesté.

Vendredi, je joignais le groupe AIR et nous prenions ce qui, en Norvège, est devenu Nordlysvegen, « la route des aurores boréales », pour se rendre à l’observatoire EISCAT près de Tromsø, une installation radar construite pour étudier les propriétés de l’ionosphère avec les radars VHF et UHF (en association avec son site jumeau d’une installation à Svalbard où, en 2008, une publicité humoristique de Doritos avait été transmise à une étoile à 42 années-lumière). Comme l’a décrit Ewen, Michael Rietveld d’EISCAT nous a généreusement consacré des heures de son temps pour expliquer leur travail, nous décrivant comment, en envoyant une impulsion électromagnétique dans le ciel et en ionisant le ciel, les scientifiques d’EISCAT peuvent utiliser les 10 000 antennes de leur installation de chauffage ionosphérique pour étudier la physique des plasmas atmosphériques. En accélérant les électrons de mille degrés les scientifiques d’EISCAT peuvent même produire une lumière artificielle aurorale pendant une minute. Le temps qu’il faut pour qu’une telle lumière se forme et apparaisse renseigne les scientifiques sur la nature même de l’ionosphère. Il a partagé avec nous des vidéos montrant le cercle rouge artificiel d’environ 30 à 40 km de diamètre créé dans le ciel, mais qui en raison de son altitude (200 km) n’apparait que comme un petit point dans les cieux. Par rapport aux aurores naturelles, les efforts des scientifiques sont infimes : « L’énergie accumulée dans le monde dans une bonne aurore dépasse la capacité totale de production d’énergie de tous les pays du monde réunis », a écrit une autorité. De plus, la capacité d’EISCAT à améliorer et à étudier le ciel nocturne est limitée par des factures d’électricité très réelles atteignant des centaines de milliers d’euros. Néanmoins, j’ai ressenti un sentiment de gratitude en voyant quelques pixels rouges et fugaces sur un time-lapse vidéo un peu flou. Même si je n’avais pas encore vu d’aurore naturelle, je pourrais au moins maintenant dire que j’en avais vu une artificielle – ce que je ne savais même pas possible quelques minutes auparavant.

Au cours de notre pause-déjeuner sur le site EISCAT, survint un moment tout aussi révélateur que fortuit : je trouvais sur les étagères de la salle de réunion un livre usé et remarquable sur l’histoire culturelle des aurores boréales, Majestic Lights: The Aurora in Science, History, and the Arts (Lumières majestueuses: les aurores dans la science, l’histoire et les arts) de Robert Eather. « Les aurores ont toujours été associées à la froideur triste des régions polaires », écrivait Eather. « Lors d’occasions rares et mémorables, elles s’aventurent dans le monde de l’admiration. Il semblerait dommage que nous changions jamais cela. » Bien que son opinion ne corresponde pas à mon enthousiasme momentané d’avoir assisté à l’enregistrement d’une aurore artificielle, je trouvais son étude de la culture aurorale fascinante.

Alors que Galileo a probablement été le premier, en 1619, à avoir nommé ces lumières « cette aube septentrionale » (« questa boreale aurora ») et « aurores boréales » en 1622, il ressort clairement de l’étude d’Eather que diverses cultures ont identifié et décrit de tels phénomènes depuis des siècles. En Chine, la plus ancienne description connue des aurores boréales provient des Annales de Bambou (Tchou-Chou-Ki-Nien, 2600 avant J.C.): « Fu-Pao, la mère de l’empereur jaune Shuan-Yuan, a vu un puissant éclair autour de l’étoile Su dans la constellation de Bei-Dou et de la lumière a illuminé tout le champ. » La Bible pourrait avoir également rapporté l’aurore selon autre discours : « Quand le soleil fut couché, il y eut une obscurité profonde ; et voici, ce fut une fournaise fumante, et des flammes passèrent entre les animaux partagés. » (Genèse 15:17). Le livre d’Ézéchiel s’ouvre par les lignes suivantes : « les cieux s’ouvrirent et j’eus des visions divines. (…) J’ai vu : un vent de tempête venant du nord, un gros nuage, un feu jaillissant et, autour, une clarté ; au milieu, comme un scintillement de vermeil du milieu du feu. » et continue de décrire ce qui semble correspondre à des visions aurorales. Le livre de Jérémie demande de la même manière : « Que vois-tu ? » Je dis : « C’est un chaudron bouillonnant que je vois ; il s’ouvre depuis le nord. »

Et tout aussi fascinantes sont les représentations visuelles des aurores capturées au cours des siècles. Les premiers dessins d’aurore en Norvège ont peut-être été réalisés par Absalen Pederssön Beyer (1528-1575). D’autres correspondent également à des efforts impérieux pour capturer les évanescentes, fugaces et spectrales illuminations des cieux.

Des paroles de Shakespeare voilà plusieurs siècles semblent comprendre les efforts des artistes et des poètes à saisir ces riens éthérés avec de l’encre :

« et, comme son imagination donne un corps aux choses inconnues,
la plume du poète leur prête une forme
et assigne à ces bulles d’air
un lieu dans l’espace et un nom. »
William Shakespeare, Le songe d’une nuit d’été, 1600.

Ou comme l’a dit Eather lui-même: « L’aurore est peut-être le plus spectaculaire des stratagèmes de la nature pour préserver l’âme du scientifique. » Mon âme avait besoin d’être sauvée à cette heure tardive : j’avais besoin de voir une véritable aurore.
Le vent est un poème, nous avait dit Oula quelques jours auparavant, et finalement, lors de notre dernière nuit, le vent a balayé les nuages.

Alors que l’écran de mon ordinateur brillait de vert avec les prévisions et probabilités de la soirée, je fermais mon navigateur Firefox pour chasser de nouveau les feux du renard à l’extérieur et au-dessus de ma tête. Et cela arrivait enfin, juste à l’extérieur de notre habitat locale, le kota, où nous mangions des chips tortilla (ce n’était pas tout à fait des Doritos) et de la viande de renne cuite sur les braises, au son d’une musique qui suscitait quelque « foxy dancing » autour du feu : les cieux dansaient finalement avec nous, des bandes vertes ondulaient dans le ciel au-dessus du mont Saana. La chasse au renard de feu et notre temps ensemble arrivaient à leur terme.

Ewen Chardronnet voudrait remercier tous les membres du groupe Second Order pour leurs contributions : Vishnu Vardhani Rajan, Sophie Dulau, Luis A. Campos, Anu Pasanen, N. Adriana Knouf, Adrien Rigobello, Johanna Salmela.

Lire les premier et second journaux de bord du groupe Second Order à Field Notes – The Heavens.

Field Notes est un programme organisé par la Bioart Society avec le soutien du réseau Feral Labs