Makery

Field Notes explore les cieux en Laponie subarctique (2/3)

High Altitude Bio-prospecting – Extremophiles:Psychrophiles:Cryobiosis © Makery

Field Notes est un laboratoire art&science de terrain organisé la semaine du 15 au 22 septembre par la Bioart Society d’Helsinki à la Station Biologique de Kilpisjärvi en Laponie finlandaise. Cinq groupes y ont travaillé une semaine sur des questions situées « au dessus du sol ». Le journal de bord du groupe Second Order se poursuit avec les journées de mercredi et jeudi.

L’expédition « Field_Notes – The Heavens » organisée par la Bioart Society de Helsinki dirigeait cette année son attention et ses expériences vers le ciel du cadre subarctique unique de la Station Biologique de Kilpisjärvi et de ses environs – à la frontière Finlande-Suède-Norvège. Les quarante participants se sont retrouvés une semaine pour en apprendre davantage sur ce qui se trouve au-dessus du sol : la biologie dans l’air, les échanges matériels permanents entre Terre et espace, l’atmosphère comme hyperobjet, les politiques aérienne et spatiale, les histoires samis et les liens du vivant avec le ciel de manière générale. Makery vous propose une semaine avec le groupe Second Order coordonné par Ewen Chardronnet.

Mercredi 18 septembre

« La valeur de vérité des mesures des capteurs environnementaux », by Adriana Knouf

Nous emmenant sur les chemins, les routes et les rochers au bord du lac à proximité immédiate de la station biologique de Kilpisjärvi, la promenade matinale de Nearea Calvillo nous a sensibilisés à deux choses différentes mais liées : la valeur de vérité des mesures des capteurs environnementaux, en particulier dans les versions DIY (ce que signifie une lumière « rouge » en regard de mesures supposées élevées de particules potentiellement dangereuses) et celles des installations (comme des environnements attenants) de réseaux d’antennes pour l’étude de la haute atmosphère. Les deux utilisent des technologies pour analyser différentes parties de l’air et de l’atmosphère, et Nearea Calvillo nous demandait dans une conversation introductive d’examiner les éventuelles distinctions entre les deux mots. Cela dans la mesure où les capteurs de qualité de l’air, qui sont devenus moins coûteux et plus faciles à utiliser ces dernières années, fournissent souvent des informations difficiles à interpréter de manière « correcte », soulevant des questions sur leur véracité et leur valeur réelle.

En nous dirigeant vers un réseau d’antennes de réception abandonné, nous avons progressé en comparant cartes et territoire et posé des questions sur le fonctionnement des installations à visiter, leur structure, etc. Un aspect intéressant de cette semaine a été de mesurer nos non-savoirs, où, lorsque nous soulevons certaines questions, personne ne connaît la réponse exacte, ce qui nous amène à travailler avec nos expériences disparates pour tenter une forme d’explication.

Après une série d’expéditions sur le terrain et de sessions de retours d’expériences, l’après-midi du groupe Strange Weather se déroulait sur un site différent : le laboratoire, où la capacité des microscopes permettaient d’envisager une compréhension différente du monde biologique. S’appuyant sur ses expériences d’artiste et de scientifique, Špela Petrič nous a fait faire un voyage visuel et biologique au sein du micro-monde de la vie végétale. Cela implique non seulement la capacité technique de manipuler les microscopes, de nos jours dotés de la capacité de prendre facilement des photos et des vidéos de ce qui est observé, mais également la curiosité artistique d’explorer les échantillons de différentes manières, de travailler avec l’éclairage et la présentation, d’envisager le rôle de l’observateur dans ce que l’on peut connaître de l’observé.

Imaginaires post-croissance avec le groupe AIR, par Anu Pasanen (photos: Adrien Rigobello)

Dans l’après-midi, la salle de conférence de la station biologique de Kilpisjärvi se remplit d’AIR, un groupe qui étudie les nombreuses façons dont l’air et l’atmosphère sont interprétés par l’imagination et les conséquences matérielles que ces récits pourraient avoir. Aujourd’hui, l’un des membres, Nicolas Maigret, chercheur et artiste media, présente un exposé sur les imaginaires et les pratiques autour de la post-croissance. Nicolas Maigret est l’un des partenaires du projet Disnovation.org. Ils sont impliqués dans la collecte de différents concepts et principes pour aider à comprendre et à remettre en question les problèmes auxquels nous sommes confrontés en perspective d’un effondrement annoncé.

Maigret propose également un atelier autour d’un jeu de cartes permettant de visualiser et de partager les connaissances. Comme les cartes de tarot, ces cartes composées d’un titre, d’un symbole ou d’une image et d’une courte description, pourraient être utilisées de manière ritualisée pour interpréter et résoudre divers problèmes écosociaux. Ce mélange offre un délicieux goût post-structuraliste. Un exemple qui a retenu l’attention de tous est la Pensée de la 7ème génération issue de la communauté Iroquoise.

Après discussion le groupe décide de créer un cadre vague autour des « biens communs atmosphériques » qui résume leurs préoccupations mutuelles et leurs travaux antérieurs. Dans le processus de fabrique des cartes individuelles, l’un des membres du groupe est confronté à un autre type de problème : comment dessiner un nez ? L’effort d’équipe permet de parvenir à un résultat final satisfaisant.


Avec le groupe High Altitude Bio-prospecting (HAB) dans la neige, par Vishnu Vardhani Rajan (avec Johanna Salmela et Ewen Chardronnet)

La randonnée matinale vers le mont Saana a commencé par un rassemblement du groupe HAB au laboratoire, leur point de départ quotidien. Juste avant la marche, les hôtes de HAB, Melissa Grant & Oliver de Peyer, ont compté le nombre de personnes participant à la marche.

HAB explique ainsi son intérêt pour la région de Kilpisjärvi :
« L’arbre copieusement ramifié de la vie révèle que cette dernière peut exister presque partout sur Terre. 80% de la biosphère, y compris les grands fonds océaniques, la cryosphère aux pôles de la planète et la haute atmosphère sur laquelle se concentre le groupe HAB, est en permanence froide. Pourtant, nous en savons relativement peu sur les organismes qui défient le froid : où vivent-ils ? Comment survivent-ils ? Peut-on les trouver ? Les recherches suggèrent qu’il y a des microbes au-dessus de nous qui ensemencent des flocons de neige et la pluie des nuages, et qui, de ce fait, jouent un rôle essentiel pour la vie au sol, quelque chose d’applicable à chaque écosystème sur cette planète. Il se peut que ces microbes soient peu nombreux et éloignés les uns des autres – faudra-t-il de longs vols pour les trouver ? Est-il possible d’établir le contact ? Pouvons-nous échantillonner la haute atmosphère et découvrir des extrêmophiles et des psycrophiles uniques qui vivent et prospèrent ? »

La montée du mont Saana peut être exigeante, surtout pour les personnes qui n’ont pas l’habitude du trekking. Deux personnes sont parvenus en haut plus rapidement et ont attendu que le reste du groupe les rejoigne. Ils avaient des montres talkie-walkie pour communiquer à une portée raisonnable. L’utilisation de la technologie pour suivre la trace d’une personne à l’arrière était l’un des aspects d’une approche pragmatique sur comment prendre soin de son groupe.

A l’endroit où le groupe avait laissé l’helikite la veille, on vérifiait l’absence d’empreintes de pas d’humains, de renards ou de rennes après la nuit. Il fallait regonfler un peu le ballon qui avait perdu de l’hélium. Le site choisi a un temps accueilli un ancien camp de prisonniers. On peut y voir des restes de la Seconde Guerre mondiale, comme des boîtes de conserve, des tranchées, des piles de bois de chauffage.

Le premier vol de l’helikite semblait avoir été satisfaisant, volant plus haut que la veille. Deux vols supplémentaires étaient ensuite réalisés (dans l’averse de neige). Les prélèvements seront ensuite analysés au laboratoire.



Des membres du groupe Second Order gonflèrent un ballon solaire, un Aerocene Backpack qui se remplit d’air en courant en cercle avec la bouche du ballon ouverte. Le vol du ballon solaire n’a eu que peu de succès dans la mesure où le soleil était absent, mais c’était tout de même intéressant de voir que les radiations infrarouges de la réflexion de la lumière sur la neige lui permettait de décoller de quelques mètres, avant de redescendre.

Dans la soirée, Minna Långström projetait son dernier film, The Other Side of Mars. Le film propose un voyage philosophique dans le monde intrigant de la science martienne. A travers le regard de différents experts il raconte comment les images de la NASA sont faites, utilisées et manipulées pour le bien de la science, mais également pour le grand public. Mars est un lieu idéal pour comprendre notre relation paradoxale à la photographie. Est-ce que les images reflètent ou modifient la réalité ?

« The Other Side of Mars », Minna Långström (Liisa Karpo / napafilms, 2019):

Jeudi 19 septembre

Le groupe Strange Weather visite Skibotn (No) et l’Océan Arctique, par Adriana Knouf & Johanna Salmela

Une visite dans un site différent, à Skibotn, et une rencontre avec l’Océan Arctique, des méduses dangereuses sur le rivage et une sirène. Du laboratoire au fjord, une part importante de l’approche du groupe Strange Weather s’intéresse aux cycles entre la terre et le ciel, illustrés au début de notre voyage par une invocation du cycle de l’eau par Marja, et par les croyances Samis concernant la continuité entre les deux.

Notre voyage à Skibotn a consisté à recueillir des images pour un éventuel court métrage jouant un mythe marin Sami racontant l’histoire d’une sirène (que le groupe nommait merma’am) ayant froid et demandant un gant aux marins aux alentours. Si elle reçoit le gant, elle les assistera quand ils en auront besoin. Outre les défis évidents de la prise de vue sur le terrain, il y avait le froid extrême de l’eau, qui a nécessité la mise en œuvre de diverses pratiques de soin de la part de tous pour éviter toute hypothermie. Pour atteindre ce site nous avons traversé d’incroyables panoramas qui, bien qu’au départ similaires à ceux de Kilpisjärvi, offraient ensuite un contraste puissant avec des fjords profonds, des pics abrupts et une végétation différente, commentés par certains membres du groupe. Tout au long du voyage, les conceptions scientifiques, autochtones et poétiques étaient continuellement intégrées, notamment par le biais de la référence aux travaux de Nils-Aslak Valkeapää, nous éclairant sur la manière dont les pratiques fondées sur des savoirs non-hiérarchiques peuvent fonctionner sur le terrain.

Jeudi à la station biologique, par Anu Pasanen (photos : Ewen Chardronnet)

Après une matinée de préparation de notre présentation finale du samedi, certains membres du groupe Second Order ont eu l’occasion de faire une promenade au bord du lac. La station biologique est située juste à côté du lac Kilpisjärvi et l’idée était de savoir s’il y avait des sentiers tracés le long de la rive. Un groupe de quatre expéditionnaires était guidé par Leena Valkeapää, une artiste locale et hôte de longue date de la résidence Ars Bioarctica de la Bioart Society. Au cours de la promenade, elle partageait ses connaissances sur l’écologie, l’histoire et la culture des rennes. La lumière du soleil d’automne révélait des myrtilles, des airelles et des alchemilles prêtes à être ramassées. Des branches cassées accueillaient des communautés de myxomycètes.

Le vent soufflait depuis la frontière des trois États, Finlande, Suède et Norvège. Les vagues et l’écume léchaient une formation rocheuse inattendue sur le rivage. C’est du dessus que l’on pouvait le mieux voir sa beauté ; des roches convergeaient en spirale des plus gros aux plus petits cailloux. Il est très inspirant de constater que même sur une courte marche comme celle-ci, il est possible de faire de nombreuses découvertes qui soulèvent des questions sur l’origine humaine ou non-humaine des phénomènes rencontrés : la piste étroite sur le sol spongieux de la forêt que nous avions intuitivement suivi pourrait aussi bien relever de l’empreinte de gens comme de celles de rennes, ou peut-être est-ce le résultat des expéditions par plusieurs parties coexistantes.

Dans la soirée le groupe Strange Weather proposait une session de méditation au bord du lac et une soirée de lecture dans le kota par Andrew Paterson :



Randonnée nocturne et exploration du ciel avec le groupe Space-Earth-Space, par Sophie Dulau et Adrien Rigobello

Equipés pour la nuit, nous montons à 21h dans le van pour rejoindre le point de départ d’une randonnée nocturne en montagne avec le groupe Space Earth Space. Nous sommes tous très excités par cette nuit d’exploration du ciel ! Le groupe SES nous emmène dans une longue randonnée à travers la nuit noire, marchant en silence avec des lampes frontales jusqu’à la montagne, où aucune lumière urbanisée ne peut perturber la vue du ciel.

Nous sommes arrivés gelés au kota, une structure en bois de Laponie construite en forme de tipi, avec une ouverture pour laisser s’échapper la fumée du foyer du poêle à bois. Le temps de lentement nous réchauffer, nous avons pris le temps de regarder le feu qui brûlait et de parler d’astronomie, puis nous sommes tous sortis pour regarder les étoiles à ciel ouvert. Nous avons même pu voir des aurores boréales glisser au-dessus de nous et l’équipe SES a pris de nombreuses photos avec des objectifs spécifiques capables de capturer un tel phénomène. Il faisait très froid dehors, les vagues du lac grossissaient et le vent devenait plus fort. Nous sommes tous rentrés à l’intérieur pour nous réchauffer au coin du feu, parlant de science et de vérité, et Flis Holland, artiste du groupe SES, a livré une performance incroyablement émouvante et puissante en lisant un texte qu’elle avait préparé pour la nuit.

Le vent cesse de souffler et d’éroder le paysage montagneux au petit matin. La lumière est douce et les rennes paissent tranquillement. Rien ne vous prépare mieux pour une bonne journée qu’une randonnée matinale froide ! Et puis, on se rend bien compte que la magie du moment vient du fait évident que nous sommes venus la nuit dernière, avec aucune visibilité au-delà de quelques mètres. Le mont Saana se révèle dans ses centaines de milliers d’années, humblement, il s’est occupé de nous.

La randonnée mène peu à peu de l’atmosphère surréel du plateau à une large et riche perspective sur la région subarctique d’Enontekiö. L’automne est florissant, nous n’avons toujours pas bu de café, mais nous nous nourrissons de toute façon de la beauté des feuilles de bouleau.

Lire le premier journal de bord du groupe Second Order à Field Notes – The Heavens.

Field Notes est un programme organisé par la Bioart Society avec le soutien du réseau Feral Labs