Makery

A Barcelone, textile et biologie font la nouvelle cuisine des fablabs

Une expérimentation autour de la teinture de bactéries au Fabtextiles de Barcelone. © Fabtextiles

À l’intersection de la fabrication numérique, du design textile et des sciences ouvertes, Fabtextiles à Barcelone fait figure de pionner dans l’univers des fablabs. Amoureux de la matière, par ici la visite.

Barcelone, chronique

Le secteur de la mode est depuis longtemps un mauvais élève en terme d’impact environnemental, avec la 2e industrie la plus polluante au monde (derrière celle du pétrole) et des consommateurs portés vers le « fast-fashion ». Créé en 2013 en tant que projet spécifique au sein du Fablab de Barcelone, Fabtextiles cherche et trouve des solutions pour transformer la création, la production et la distribution, « sans attendre que les choses changent mais en les modifiant à la base ».

Partageant les locaux de l’IAAC (Institut d’Architecture Avancée de Catalogne) dans le quartier « fabriquant » de Poblenou (Poblenou Maker District), Fabtextiles résonne pleinement avec la dynamique Fabcity, en conjuguant une activité productive en local portée par une communauté de makers et des connexions avec le réseau mondial des fablabs ayant développé des spécificités autour du design textile et matière.

Voyage apprenant

Fabtextiles nous a ouvert ses portes dans le cadre d’une Learning Expedition organisée par la Chaire Bali, un pôle pluridisciplinaire de recherche sur « les disruptions technologiques à venir pour le secteur de la mode et du textile », basé à Biarritz. Parmi les membres de la Chaire ayant pris part au voyage, des enseignants et anciens étudiants de l’école d’ingénieurs ESTIA, le directeur du Centre Européen des Textiles Innovants ou encore la responsable de la marque Nabaji (Decathlon).

Présentation du Fabtextiles par Anastasia Pistofidiou aux participants de la Learning Expedition. © cL

Quelques places ayant été ouvertes à des invités, c’est à ce titre que je profite de l’aventure au nom du Funlab (fablab citoyen à Tours) avec le binôme Hors-Studio, studio de design textile/surfaces/ matières fondé par Rebecca Fezard et Élodie Michaud, adhérentes du Funlab. Le programme est séquencé en deux journées avec la présentation de Fabtextiles suivi d’un workshop prospectif, puis une entrée au salon ITMA, la grand-messe des innovations et tendances du secteur.

Rivages, une installation de hors-studio, présentée en janvier au Transpalette/Emmetrop à Bourges et créée à partir de chutes d’acétate de cellulose. © hors-studio

Les recettes du Fabtextiles

Diplômée en 2011 de l’IAAC, il ne faudra qu’une paire d’années pour qu’Anastasia Pistofidou initie Fabtextiles. Convaincue de la nécessité à ré-orienter la consommation de masse et la production effrénée vers une fabrication plus locale et plus adaptée à notre quotidien, Anastasia, et désormais toute une communauté, mélangent allègrement les genres et les techniques : économie circulaire et fashiontech, artisanat et capteurs, teinture et bactéries.

BioShades workshop au Fabtextiles pour expérimenter la teinture de bactéries. © Fabtextiles
Résultats du BioShades workshop. © Fabtextiles

Pendant la présentation d’Anastasia, nous avons sous la main différents prototypes issus des recherches du lab : des teintures, une collection de sacs réalisés à partir de matériaux biodégradables et découpés à la laser, des échantillons de mailles fines en 3D, une matériauthèque de bioplastiques, des chaussures avec une semelle 3D ou encore des sacs en bois et textile conçus pour être personnalisés dans le réseau des fablabs.

Échantillons des productions du Fabtextiles. © hors-studio
Elodie Michaud et Rebecca Fezard de hors-studio consultent la matériauthèque de bioplastiques. © cL

Métiers de demain

Si Fabtextiles continue d’expérimenter, Anastasia Pistofidiou va plus loin avec l’objectif de former. En 2017, elle lance la Fabricademy, un cours annuel de 6 mois, distribué et international, qui fait converger la mode open source, la fabrication digitale et les bio-matériaux. La Fabricademy se déploie dans 18 autres fablabs (« nodes »), parmi lesquels en France, le Fablab Digiscope de Paris-Saclay et dès la rentrée 2019, chez Sew & Laine, le tiers-lieu des « cultures textiles engagées » installé dans une ancienne usine DDP de l’agglomération bordelaise.

La version labmobile de Sew&Laine, atelier et sensibilisation. © Sew&Laine

À notre tour de nous lancer dans un workshop prospectif, sur les métiers de demain dans l’industrie de la mode et du textile, animé par un enseignant-chercheur d’ESTIA. Où nous imaginons des data-modélistes, bio-makers et designers circulaires, parties prenantes d’un modèle distribué pour fabriquer son vêtement sur-mesure au fablab du coin avec des matériaux biosourcés.

Cuisine de quartier

Le workshop se termine et nous visitons le Fablab de Barcelone, avec ses différents espaces de travail, machines-outils et extension d’ateliers sur le trottoir d’en face. J’en profite pour interroger Marion Real, chargée de projet et collègue d’Anastasia, sur l’un des sacs qui nous a été présenté, réalisé à base de déchets alimentaires (sur une recette d’Aurore Bourguignon). Marion est en effet au coeur d’un nouveau projet « El Barri Circular » qui explore la potentialité des déchets alimentaires (recyclage, compostage, design matière) avec les habitants, commerçants et restaurateurs de Poblenou.

Un sac réalisé avec une base de poudre d’orange et d’alginates (obtenus à partir d’algues brunes). © cL
Un sac totalement « open source circular fashion ». © cL

Pour fabriquer ce sac il vous faut :
– 2g d’alginate
– 2g de poudre d’orange ou de marc de café
– 2g d’huile d’olive
– 33g d’eau
– 5g de glycérine
– spray avec 7g de CaCI2 dans 100ml d’eau

Puis mélangez tous les ingrédients et étalez dans un cadre ou un moule. Laissez reposer environ 5 minutes. Utilisez le spray de solution de Chlorure de calcium, lavez à l’eau et laissez sécher quelques jours. Vous avez votre matière et un fichier accessible reproduisant le patron du sac, la découpeuse laser du fablab voisin n’attend plus que vous.

Histoires à tisser

Pour clore cette Learn Ex, que retenir de notre visite au Salon International des Machines Textiles (ITMA pour Internationale Textilmaschinen Ausstellung). Que le métier à tisser mis au point par le lyonnais Joseph Marie Jacquard en 1811 est le premier système mécanique ayant offert la possibilité de programmer la machine, à l’aide de cartes perforées, le positionnant ainsi dans l’histoire des techniques, comme l’ancêtre de l’ordinateur ou du robot.

Métiers à tisser 4.0 au salon ITMA. © cL
Métiers à tisser 4.0 au salon ITMA. © cL

Les métiers à tisser n’ont eu de cesse d’évoluer et se présentent aujourd’hui sous la forme d’imposantes machines entièrement automatisées. Ces métiers Jacquard 4.0 exposés à l’ITMA produisent la plupart des tissus à motifs pour l’habillement, l’ameublement, le linge de maison. Finalement, comme le rappelle Marion Real, le moteur dans tout ça reste encore d’« apprendre du temps de l’homme vs la capacité de la machine ».

Pour aller plus loin :

Toutes les créations et publications de Fabtextiles et Fabricademy sont disponibles sur la plate-forme Open Source Circular Fashion

Materiom est une plate-forme de recherche et base de données d’ingrédients pour cuisiner des bio-matériaux à laquelle Fabtextiles contribue.

Réunion d’information le 12 juillet 2019 chez Sew & Laine à Bègles (33) pour la rentrée de la Fabricademy.