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Derniers jours pour «La Fabrique du vivant» au Centre Pompidou

Vue de l'exposition "La Fabrique du vivant" © Ewen Chardronnet

L’exposition «La Fabrique du vivant» est encore visible jusqu’au 15 avril au Centre Pompidou. Une exposition qui valorise le vivant comme matière à design. Focus sur quelques œuvres et travaux.

Troisième volet de la série Mutations/Créations, après « Imprimer le monde » en 2017 et « Coder le monde » en 2018, l’exposition « La Fabrique du vivant » vient explorer le monde de la programmation du vivant dans le champ du design, de l’architecture et de l’art contemporain. Comme à chaque fois, le cycle était accompagné du Forum Vertigo, un cycle annuel de rencontres internationales entre scientifiques et artistes, designers, ingénieurs et penseurs.

L’exposition présentée dans la Galerie 4 du Centre Pompidou est à saluer pour son ambition, elle tente de retracer les liens entre recherche biologique, biofabrication et biocomputation, avec de fortes inclinaisons vers le biomimétisme et l’artificialisation du vivant. Plus de cent œuvres sont ainsi rassemblées dans cette exposition aux allures de foire ou de biennale, mais déployées dans un espace qui semble cependant trop réduit en regard des velléités du projet. Les travaux sont parfois très, bien trop, rapprochés les uns des autres, à tel point que bien des œuvres vivantes semblent respirer difficilement. On remarquera cependant que certaines des pièces, connotées chimériques « Frankenstein », comme le Regenerative Reliquary de Amy Karle, bénéficient elles de la place nécessaire pour être « instagramées », alors que c’est sans doute un portique en briques de mycélium proposé à l’entrée de l’exposition qui nous aura davantage interrogé par ses odeurs sur les risques allergènes et sanitaires.

« Regenerative Reliquary » de Amy Karle © Ewen Chardronnet
L’exposition fait la part belle au design bio-inspiré. © Ewen Chardronnet
Vue de l’exposition © Ewen Chardronnet

On se perd aussi quelque peu dans la volonté des commissaires de vouloir tout englober, unifier un domaine qui par nature ne peut se résoudre à une vision unitaire. L’introduction au catalogue qui accompagne l’exposition, finit en ce sens par nous noyer dans les références, les mots clés et le jargon scientifique confus, laissant transparaître malgré tout des erreurs non maitrisées à force de vouloir à tout prix tout couvrir. Le reste du catalogue n’aborde d’ailleurs finalement qu’une part théorique de l’ensemble des champs couverts. C’est la prospective industrielle du département Design du Centre Pompidou qui trace ici sa perspective, perspective déployée en une chronologie qui finit par donner l’impression d’une prophétie auto-réalisatrice.

Et de fait, plus on plonge dans cette exposition et cette timeline qui semblent vouloir épuiser le domaine, plus on finit, paradoxalement, par y entrevoir des manques. On regrettera le trop peu d’artistes français, et l’absence incompréhensible de Art Orienté Objet, pionniers français du bioart. Ou encore celle de Joe Davis, autre pionnier du domaine, lauréat en 2012 du prestigieux Prix Ars Electronica dans la catégorie Hybrid Art, comme Art Orienté Objet l’année précédente.

Une chronologie aborde le vivant et la techno-science depuis l’invention de la microscopie © Ewen Chardronnet

Des erreurs et manques dans la timeline viennent aussi laisser un sentiment brouillon : non, le lapin vert d’Eduardo Kac n’est pas phosphorescent, mais fluorescent ; non, la chercheuse Audrey Dussutour n’a pas « découvert » le Physarum polycephalum. Et peu de place en effet pour les cultures vernaculaires en bioart open source et DIY, peu de travaux critiques, peu de mises en débat éthique. On cherche encore l’affaire d’inculpation pour bioterrorisme de l’artiste Steve Kurtz du collectif Critical Art Ensemble en 2004, ou les travaux de Paul Vanouse sur l’invention de la PCR (amplification en chaîne par polymérase), l’ADN et la construction scientifique de l’identité.

Il semblerait finalement que ce soit la philosophie libertarienne et entrepreneuriale de Josiah Zayner de The Odin (dont nous sommes amenés à parler régulièrement dans Makery) qui donne le ton, dans la mesure où celui-ci clôt la frise chronologique de l’exposition avec son kit d’édition génétique CRISPR/Cas9, l’exposition faisant même de ce kit l’objet d’un « ready made ». Sans pour autant évoquer les controverses associées, comme on avait pu s’y attarder dans Makery.

Le kit CRISPR/Cas9 de the Odin façon « ready-made » © Ewen Chardronnet

Mais cessons là de chercher des perspectives critiques dans une exposition qui reste une proposition du département Design. C’est le design bio-inspiré qui a la part belle ici et donne la lecture de l’exposition.

On appréciera par exemple d’y voir des explorations qui ont inspiré Makery ces dernières années : les recherches issues de l’environnement de La Paillasse comme ceux de Marie-Sarah Adenis ou Lia Giraud ; les relations hormonales humains-plantes de Špela Petrič et ses « monstres prometteurs » ; ou encore la rétro-ingénierie de fleurs OGM de Georg Tremmel et Shiho Fukuhara du BioClub de Tokyo. Mais puisque cette exposition, qui reste absolument à voir pour se faire son avis, rassemble plus de cent œuvres et travaux, on ne pourra s’attarder ici que sur quelques propositions intrigantes.

Pili, co-fondé par Marie-Sarah Adenis, produit des colorants écologiques par la fermentation de micro-organismes. © Ewen Chardronnet
L’œillet Moondust bleu-mauve, première fleur génétiquement modifiée et commercialisée à grande échelle au Japon, revisité par Georg Tremmel et Shiho Fukuhara © Ewen Chardronnet

« Resurrecting the Sublime », par Alexandra Daisy Ginsberg, Christina Agapakis, Sissel Tolaas

Avec cette recherche olfactive réalisée en collaboration avec l’entreprise en biotech Ginkgo Bioworks de Boston, les trois artistes ressuscitent les odeurs perdues de trois fleurs disparues au 19ème siècle. La Hibiscadelphus wilderianus de l’île de Maui à Hawaï, la Leucadendron grandiflorum du Cap en Afrique du Sud, et la Orbexilum stipulatum du Kentucky. Au Centre Pompidou c’est l’odeur de l’Hibiscadelphus wilderianus qui est présentée au public. L’Hibiscadelphus wilderianus se trouvait dans les anciens champs de lave du versant sud du mont Haleakala à Maui avant que son habitat forestier soit décimé par l’élevage de bovins. Le dernier arbre vivant a été recensé en 1912.

L’installation « Resurrecting the Sublime » au Centre Pompidou © Ginsberg + Agapakis + Tolaas

C’est à l’aide d’ADN extrait de spécimens de fleurs éteintes et conservées dans l’herbier de l’université de Harvard, que Ginkgo Bioworks a synthétisé des séquences de gènes susceptibles de donner naissance à des enzymes produisant des parfums. À partir de ce travail, Sissel Tolaas a reconstruit le parfum dans son laboratoire, en utilisant des molécules d’odeurs identiques ou comparables. A noter qu’il ne s’agit qu’un aperçu de la fleur disparue, il est en réalité impossible d’en connaître précisément leur parfum, la quantité de chaque molécule odorante a également disparu.

Ginsberg, Agapakis et Tolaas se nourrissent du débat sur la « désextinction » qui anime en ce moment la communauté des généticiens, avec le professeur de Harvard George Church en figure de génie controversé prônant l’idée de ramener à la vie mammouths et autres espèces disparues. Mais pour nos trois artistes, il ne s’agit pas d’inverser l’extinction, mais, à travers l’odorat, la roche volcanique du terrain d’origine et les paysages reconstitués numériquement, de révéler l’interaction d’une espèce et d’un lieu qui n’existent plus, d’évoquer un sublime disparu.

Paysage d’Hibiscadelphus wilderianus reconstitué en images numériques :

 

L’œuvre est également visible à la Biennale de Design de Saint-Etienne jusqu’au 22 avril.

« Lungs of the Earth 1 », par Elaine Whittaker

Lungs of the Earth est une série de boîtes de Pétri avec des feuilles d’érable décellularisées cultivées avec des cellules épithéliales de poumon humain. Cette pièce a été conçue et réalisée par la canadienne Elaine Whittaker avec Ryan Hickey et Andrew Pelling du Laboratoire Pelling de biologie augmentée de l’Université d’Ottawa, où Elaine Whittaker est actuellement artiste en résidence.

« Lungs of the Earth » © Elaine Whittaker

Pour cette œuvre, l’artiste de Toronto s’est inspirée de l’expérience de sa mère qui a contracté la tuberculose à l’âge de vingt ans et a passé deux années de soins dans un sanatorium du Québec. En tirant partie de la puissance pulmonaire humaine et des cellules de l’épithélium, ce « revêtement » de la surface des organes, ici les poumons, ces feuilles mortes d’érable retrouvent la vie et deviennent une parfaite évocation des « poumons de la Terre ».

« Spinach leaves for the heart », Worcester Polytechnic Institute

Des chercheurs du Worcester Polytechnic Institute (WPI), de l’Université de Wisconsin-Madison et de l’Université Arkansas State-Jonesboro ont utilisé en 2017 des feuilles d’épinard pour développer du tissu cardiaque.

© Worcester Polytechnic Institute

Profitant des similitudes dans la structure vasculaire des tissus végétaux et animaux, les chercheurs ont développé un tissu végétal décellularisé pour des applications en ingénierie tissulaire. Pour cela les chercheurs ont fait passer une solution dans les veines de feuilles d’épinard afin de les débarrasser des cellules végétales et de conserver la structure (transparente) qui maintient ces cellules en place. Les chercheurs ont ensuite rempli les veines d’épinards avec des cellules humaines qui tapissent les vaisseaux sanguins. Des cellules souches mésenchymateuses humaines et des cardiomyocytes dérivés de cellules souches pluripotentes humaines ont adhéré aux surfaces extérieures des structures du végétal et les capillaires ont transporté tout le sang et les nutriments nécessaires aux cardiomyocytes. Au bout de cinq jours à alimenter la feuille, les cardiomyocytes ont reçu suffisamment de nutriments et sont devenus suffisamment forts pour se contracter comme un muscle. Les cardiomyocytes ont démontré une capacité contractile et des capacités de traitement du calcium sur une période de 21 jours.

Vidéo du WPI expliquant la recherche (en anglais) :

« Growduce », par Guillian Graves et Aakriti Jain

Growduce est le croisement d’un biocomposteur avec une imprimante 3D, un dispositif de recyclage et de biofabrication domestique. Il est destiné à recycler nos déchets organiques en les transformant en des objets du quotidien.

« Growduce » par Guillian Graves © Big Bang Project

La partie inférieure de l’objet, faite de céramique, héberge une colonie de bactéries acetobacter qui vit en symbiose avec des levures. La partie supérieure de l’objet, une cloche de verre, permet à l’utilisateur d’y intégrer les déchets et d’y ajouter différents additifs naturels. Les déchets organiques qui y sont incorporés sont digérés par les micro-organismes via un processus de fermentation et de métabolisation. Ils sont ainsi transformés en une membrane à l’aspect caoutchouteux qui pousse à la surface du compost. Elle est une matière première que l’appareil utilise pour sculpter, à l’aide d’un système de moules interchangeables, des objets du quotidien répondant à différents usages. Les premières recettes et les premiers moules imaginés permettent à l’utilisateur de transformer localement ses bio-déchets en pansements aux propriétés cicatrisantes, en masques de beauté, en gants et autres vêtements, ou même en nouveaux types d’aliments.

«La Fabrique du vivant» jusqu’au 15 avril au Centre Pompidou.