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Lormes, un village du présent à la pointe du futur

Repair Café à La Recycl' le 3 mars 2019 © Frank Beau

Lormes, dans le Pays Nivernais-Morvan, est l’un des sites pilotes d’une opération nommée «Les villages du futur» et initiée en 2011 par Christian Paul, la Région Bourgogne et la 27e Région. Enquête (texte et photos).

Je suis venu dans le village de Lormes au cœur du Morvan en 1997. J’ai le souvenir d’une grande rue menant à place de la mairie. Il y avait un café, une maison de la presse, une boulangerie et Katia coiffure. A ce moment Lormes pouvait incarner ce genre village appartenant, et sans doute pour toujours, au passé. Or c’était préjuger de son avenir, et à travers lui de l’avenir de nombre de nos campagnes.

L’église vue de la rue des Teuraux, Lormes, Nièvre, France. CC BY-SA 4.0
Devant la Recycl’. DR.

La mission numérique

En 2011, Christian Paul, la Région Bourgogne, la 27e Région, dédiée à l’innovation publique, initient le programme « Villages du futur ». Lormes devient un site pilote, opération que le Pays Nivernais-Morvan relance en 2015. Bien avant, Lormes faisait « Du village du futur sans le savoir » observe son maire Fabien Bazin. Il y a 16 ans, y est née la Mission numérique. Placée à l’entrée du village sur la route d’Avallon, ce site est composé d’un télécentre pour indépendants ou agents en télétravail, d’un fablab, un espace public numérique, une salle de visio-conférence à la pointe. Pourquoi cela ? La région Bourgogne-Franche-Comté est immense, sans axe ferroviaire transversal. Le parc du Morvan, les villes et agglomérations locales et la région ont besoin de lieux intermédiaires pour se retrouver. Cette salle de visio-conférence a ainsi permis d’économiser pas moins de 18000 kilomètres de déplacements en 2018.

Le Fab Lab lancé en 2014, est en réseau avec ceux de Luzy et de Clamecy, sous la houlette du département. Leur tarification est commune et les machines peuvent être partagées : imprimante et scanner 3D, fraiseuse numérique, découpeuse vinyle et à fil chaud, kit robotique, brodeuse numérique. Ludivine Girard est son animatrice. Elle assure des permanences le mercredi après-midi, y accueille les enfants des écoles, du centre social, pour leur apprendre les bases de la programmation robotique, monter une batterie, un moteur, un contrôleur, des capteurs d’action et de mouvement. Des grands-parents viennent faire tirer le portait en 3D de leurs petits enfants. Pour Ludivine l’enjeu est avant tout d’enseigner l’utilisation des logiciels 3D tels que Blender, Sketchup, comme cela a été le cas pour Word, Excel, Photoshop par le passé, et de transmettre la culture du « Faire par soi-même ». Elle constate que beaucoup de gens demandent encore que l’on fasse à leur place. Le fablab n’est pas non plus un lieu de fabrication de pièces de rechange tous azimuts et suppose un accompagnement. « Si une personne se crève un œil avec une débroussailleuse après avoir remplacé un pièce, c’est un problème » précise Ludivine.

Patrick Marmion le directeur de la Mission numérique estime qu’un fablab urbain regroupe des bidouilleurs et créatifs habitués et qu’un fablab rural a d’abord une mission pédagogique pour expliquer que tout un chacun peut inventer et créer. Avec l’accessibilité des machines au grand public, il va jusqu’à prédire que les fablabs sont voués à disparaître, prenant l’exemple des cyber-cafés supplantés par l’arrivée du haut-débit à la maison et des réseaux mobiles. « Les gens sont en train de créer de espaces équipés de machines à commandes numériques en dehors des lieux mis en place par les pouvoirs publics. Ils sont notamment dans les collèges, dans les associations de modélisme, dans les cabinets d’architectes…Bientôt,  un fablab en milieu rural sera donc davantage du réseau de matériel et de ressources, qu’un lieu identifié » explique t-il.

Patrick Marmion et son portrait 3D au Fab Lab

La Recycl’ de Lormes

La Recycl’ s’est installée en centre ville en 2015, à l’emplacement de l’ancien garage Desmergers. Elle a conservé les structures, des voitures des années quarante et des vélos d’époque. Les 2 et 3 mars, y avaient lieu un concert de Yves Nahon Quartet, au Jazz Club créé par la Recycl’, une dégustation de vin bio de Vezelay de Patrick Bringer, dans le cadre du « Café des bonnes nouvelles » et l’après-midi du dimanche un Repair’café. Georges, un habitant néerlandais a repris avec sa femme la Maison de la presse. C’est avec Martin l’un des bricoleurs habitués du Repair’café. Il s’affaire autour d’une ponceuse amenée par une habitante, parvient à l’ouvrir, à la mettre en route, lorsqu’elle se met subitement à fumer. Georges ne se laisse pas abattre et tentera de changer la pièce défectueuse.

La vitrine de la Recycl’
L’ancien garage de la Recycl’
La boutique de la Recycl’

Marilyn Belbenoit est la trésorière de la Recycl’ et organisatrice du Repair’café. Elle explique qu’il pourrait à l’avenir se tenir tous les premiers dimanche du mois, si les moyens humains le permettent. L’association entièrement constituée de bénévoles cherche à se structurer et participe à un réseau animé par le SIEEEN (le Syndicat Intercommunal d’Énergies d’Équipement et d’Environnement de la Nièvre), autour de la mise en réseau des recycleries de la Nièvre. Mathilde Musset animatrice « Territoire zéro déchet zéro gaspillage » à Nevers agglomération et membre du réseau nous dévoile quelques éléments de la charte en cours d’élaboration. Ce réseau rassemble les recycleries, Repairs cafés, fablabs, à l’échelle du département. Son objectif est de mettre en commun les compétences et connaissances de chacun, de mutualiser des ressources, créer et favoriser l’emploi local. Les tiers lieux sont désormais identifiés comme des leviers stratégiques de la réorganisation de la chaîne de recyclage, de réemploi et d’économie circulaire du territoire.

Le Repair’Café du 3 mars 2019.

Esprit local, l’audace à tous les âges

Un troisième lieu est emblématique de ce qu’il se passe dans ce village du futur. La boutique « Esprit local » a été créée il y a trois par deux retraités, Lucette et Françoise, autour de la mise valeur des créations artisanales locales. « J’ai eu cette idée et je me suis dit que j’étais un peu folle. Je pensais demander un local au maire, mais je me suis rappelé qu’il y avait cette ancienne agence d’assurance fermée depuis cinq ans. La propriétaire était très contente que ce lieu revive et a décidé de nous aider ». Lucette n’a pas de peine à rassembler une quinzaine de créateurs et d’artisans rencontrés sur les marchés de Noël. Cette « boutique éphémère » ne devait exister que durant l’été 2016. Elle se prolonge jusqu’au mois de décembre. Lorsque Lucette et Françoise pensent enfin arrêter, des habités leur disent : « Comment je vais acheter mes chocolats et cadeaux à Noël maintenant ? ». « C’est vrai qu’on avait fait un mois de décembre du tonnerre» ajoute Lucette Chapuis. Ainsi la boutique existe toujours et fonctionne selon un modèle des plus inhabituels car Lucette et Françoise assurent bénévolement et à tour de rôle les permanences de 10h à 18h. Les 16 créateurs partagent un loyer et des charges communes pour un total de 200 euros par mois. Chaque créateur fixe ses propres prix et l’association ne prend aucun bénéfice. On y trouve des professionnels et des amateurs en maroquinerie, poterie, bijoux, sabots, tricot, huile, vinaigre, chocolat, cosmétiques, tableaux, verrerie soufflée. L’expérience en a déjà inspiré d’autres, qui ont ouvert une boutique.

Lucette, dans la boutique Esprit local.

Un laboratoire de fabrication de la ville à ciel ouvert

Ce dimanche 3 mars, Fabien Bazin nous fait visiter différents sites du centre-bourg. Il évoque le chantier participatif « Lormes Ocrement », pris en charge par les habitants pour repeindre les volets de la rue Paul Barreau, montre les nombreuses fresques réalisées par l’artiste Bertrand Dios, une étrange femme-cyborg appelée « La sentinelle du futur » installée par le photographe Thierry Vasseur dans une cabine téléphonique au pied de la mairie, évoque le Wifi en accès libre sur la place de la Mairie, la fibre optique pour tous, les boîtes à don de la déchetterie, les boîtes à livres, la viande 100% circuit court de l’hôpital et le développement de ses services. Nombre de ces projets ont pour origine une volonté forcenée des élus et des habitants d’incarner cet adage local « soit on se plaint, soit on prend les choses en main ».

Les volets de Lormes Ocrement.
« La Sentinelle » d’Henri Vasseur.

Ainsi Lormes est devenu l’un des épicentres des 14 villages du futur animé par le Pays Nivernais Morvan. La démarche est unique en son genre et s’appuie sur l’intervention de designers chevronnés, une trentaine d’élus, une « Brigade » d’une douzaine d’agents formés pour prototyper en « quick and dirty », un sens du concret et de l’audace revendiqués. Christian Paul actuel président du Pays Nivernais Morvan préfère parler de « renaissance rurale » que de résilience. Georges le bricoleur, qui travaille pour la commission européenne, nous livre sa vision des choses : « Il ne faut plus dire village du futur, mais ville du futur, car la question est de dire où nous voulons être dans 20 ans et non pas où nous sommes aujourd’hui. Dans 20 ans nous voulons devenir une ville, pourquoi pas la ville centre du Morvan ».

Le site de Lormes, petite ville du futur.

Les villages du futur en Pays Nivernais-Morvan.