Makery

Ils ont fait FAB14 Toulouse

Passage de relais entre les équipes de FAB14 et celles de FAB15, qui se tiendra en Egypte. © Makery

Makers historiques ou jeunes diplômés de la Fab Academy, rompus aux FABX ou novices des conférences internationales des fablabs, ils ont un point commun: ils étaient à FAB14 Toulouse. Portraits de fabbers.

D’Egypte, la délégation FAB15
«Collectivement indépendants»

«Walk like an Egyptian»… Pour passer de FAB14 à FAB15, la délégation égyptienne danse! © Makery

L’Egypte, qui organise la FAB15 l’été prochain, la toute première édition des FABX en Afrique, est venue en force à Toulouse (à six, dont les deux bénévoles Mohamed El Hossary et Mohamed Tarek, ci-dessous).

La délégation Égypte pour FAB15, avec de gauche à droite Dina El-Zanfaly, May El-Dardiry, Hesham Ezz et Lara Shawky. © Elsa Ferreira

La délégation Egypte est en mission : l’année prochaine, ce sera leur tour d’organiser la réunion internationale de la communauté fablab. Du 29 juillet au 4 août 2019, les makers se retrouveront à El Gouna pour les conférences autour du thème « collectivement indépendants », puis au Caire pour le Fabfest. S’ils ont remporté l’organisation l’an passé, pensent-ils, c’est grâce à une communauté jeune et dynamique et un esprit du faire bien ancré dans le pays : « L’Egypte est un pays de makers et nous nous considérons comme les plus vieux makers de l’histoire », dit May El-Dardiry, ingénieure en charge de l’éducation au Fablab New Cairo.

Le thème choisi, « collectivement indépendants » signifie « l’indépendance pour les communautés et les individus par la fabrication numérique et les fablabs », explique Dina El-Zanfaly, la directrice de FAB15 et cofondatrice de Fablab Egypte. « Dans le dernier ouvrage de Neil Gershenfeld, Designing Reality, il est écrit que le fablab n’est pas un endroit où on peut fabriquer presque n’importe quoi mais un endroit où chacun peut devenir n’importe qui. »

Ce sera aussi la première fois qu’une Fabconférence est organisée au Moyen-Orient, se réjouissent les organisateurs. « Ce n’est pas seulement pour l’Egypte, c’est pour tout le Moyen-Orient et l’Afrique. C’est aussi pour la communauté internationale, qu’elle puisse venir voir ce qu’on a à offrir. » La dernière édition de la Maker Faire, organisée au Caire par Fab Lab Egypte, a accueilli 10.000 participants, vante May El-Dardiry. « Il y a une telle diversité des publics : des artistes, des designers, des amateurs, des enfants, des femmes… et des hommes bien sûr, mais ça, on le sait qu’ils existent », explosent de rire les trois représentantes de l’Egypte face à des collègues masculins bien discrets. On verra d’ailleurs surtout les femmes danser sur Walk like an Egyptian, sur la scène du Centre des congrès en toute fin de FAB14, en guise de passation de pouvoirs entre la France et l’Egypte.

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De Nouvelle-Zélande, Wendy Neale
Designeuse makeuse, directrice créative du Fab Lab Wgtn

Avec Wendy Neale, le bonheur est dans la résilience. © Makery

Wendy sourit, Wendy accompagne, Wendy explique : « Quand je presse le pompon, la petite lumière s’allume. » En termes plus techniques, dans ce workshop « DiY soft sensors » (en français, capteurs doux faits main), les participants (une majorité de femmes…) cousent sur des tissus conducteurs (à base d’argent) pour ensuite les relier à un multimètre et ainsi visualiser la conductivité. Wendy Neale est designeuse et directrice créative du Fab Lab Wgtn à Wellington, en Nouvelle Zélande, où elle défend les pratiques de résilience par l’artisanat numérique. En riant franchement, elle fait la démo de son pompon connecté au Resist-O-meter de sa confection : « Il est en forme de sac à main, parce que c’est plus fun, non ? ». La designeuse organisait ce workshop Soft Sensor-Tilt Sensor basé sur les tutos du site de ressources Kobakant, « un site génial plein de ressources DiY » conseille-t-elle. Une façon « simple, pratique et conviviale » de toucher du doigt l’univers des textiles connectés.

Wendy Neale a fait de la résilience son principe actif et créatif, qu’elle développe au Fab Lab Wgtn de l’université Massey à travers des pratiques artisanales augmentées, des matériaux de récup et un lien très fort avec le réseau des fablabs : elle est l’une des mentors de la Fab Academy. D’ailleurs, mercredi 18 juillet, elle a mené avec bonne humeur le Fabercise des fabfemmes à FAB14, ce moment d’exercice physique partagé, où une dizaine de makeuses a entraîné la salle du symposium en mouvements défoulatoirs. Une manière de défendre la résilience, en faisant participer les femmes comme les hommes, les antipodes comme l’Europe.

De Suisse, Thierry Agagliate
Responsable des projets innovation Terre des hommes

Thierry Agagliate présente le potentiel humanitaire des fablabs. © Makery

« Le fablab est un nouvel instrument au potentiel fantastique pour faire un tas de choses avec les enfants », et notamment les sortir de l’exploitation minière, explique Thierry Agagliate à la tribune du symposium sur l’accès, au dernier jour de FAB14 à Toulouse. Le fablab, outil pour l’action humanitaire ? Thierry Agagliate sait de quoi il parle : il est responsable des projets innovation à l’association Terre des hommes, une ONG suisse qui vient en aide chaque année à 3 millions d’enfants dans le monde. Grâce à un montage d’associations et à la preuve de concept (POC) du fablab installé en Grèce dans le camp de réfugiés syriens de Ioannina en 2017, Terre des hommes avance ses pions avec un nouveau plan, cette fois-ci « plus large » pour voir comment les fablabs peuvent servir le développement dans la bande de Gaza, au Burkina Faso, en Ukraine ou au Kenya. Ce n’est pas totalement un hasard si Thierry Agagliate utilise le vocabulaire des makers (POC) à la tribune. « On n’a pas encore réussi à convaincre les donneurs que ça valait le coup d’engager de l’argent pour l’innovation », admet-il, mais le succès du fablab de Ioannina est un bon argument : de mai 2017 à mars 2018, explique-t-il, 5.301 personnes l’ont visité, dont 50,88% de femmes et 93,4% de réfugiés, soit 27 visites par jour en moyenne. Et de montrer la photo d’un jeune Syrien passé par le fablab et qui est aujourd’hui étudiant en mécanique en Allemagne.

On a voulu en savoir plus sur le projet de fablab au Burkina Faso. Concrètement, il s’agit de détourner les enfants des mines d’or, qui forment 30 à 50% de la main-d’œuvre sur les sites d’orpaillage (où ils descendent dans les puits, broient et manipulent des produits très toxiques). Le projet, qui associe le Ouagalab et la plateforme Humanitarian Fab Lab, « vient tout juste d’obtenir un petit financement de notre fonds innovation », explique Thierry Agagliate, et ne sera pas opérationnel avant « la fin de l’année ». Les « défis logistiques » sont nombreux : installer des panneaux solaires sur le futur lab près de la mine artisanale de Nobsin, pour l’alimenter en électricité, faire venir les machines, sécuriser une connexion internet, développer un prototype alternatif à l’utilisation du mercure dans les pratique d’orpaillage en ayant recours à un concentrateur à spirale… « On veut protéger ces enfants du travail de la mine mais on sait que le sens de l’action viendra des enfants eux-mêmes et que cela renforcera la résilience et l’inclusion sociale. » Et si par la même occasion, une filière d’or éthique se développait, ce serait une preuve supplémentaire qu’un fablab peut avoir un sens humanitaire (voir à ce sujet le fabkit développé par David Ott, et la Fab Foundation) !

Sur le fablab dans un camp de réfugiés en Grèce

Des Pays-Bas, David McCallum
Artiste, fab académicien 2018

David McCallum, artiste «de la frontière». © Makery

Il est l’un des 165 heureux diplômés 2018 de la Fab Academy, la prestigieuse formation distribuée menée dans le monde par Neil Gershenfeld, qu’il a brillamment réussie au Fablab Amsterdam avec son projet de harpe pour imprimante 3D. Un instrument qu’il manipule pour « faire changer et diriger la voix unique de l’imprimante 3D ». Côte à côte, l’instrumentiste et l’imprimante 3D s’accompagnent, David McCallum, en pinçant les six tiges de sa harpe, amène l’imprimante 3D à déplacer sa tête d’impression. Comme si l’instrument jouait sa fabrication… Cet artiste « de la frontière », dit-il, « avec un background musical » (il a édité le magazine Musicworks) et aux accointances avec l’électronique DiY ou le glitch, explique : « En théorie, le projet final pour la Fab Academy doit être développé en deux semaines et demie, mais j’avais déjà dans l’idée de faire quelque chose avec le son des machines. » Son prototype, ce Canadien qui vit à Eindhoven ne l’a pas emporté à Toulouse : « Pour l’instant, je cherche du temps et de l’argent pour le développer et en faire vraiment un instrument. » David McCallum aimerait notamment pouvoir moduler davantage les sons de sa harpe et en améliorer le design, ajouter un micro, un amplificateur, voire un haut-parleur. Mais « il n’y a pas assez d’heures dans la journée » dit en souriant ce papa de deux petits enfants. A Toulouse, néanmoins, on le croisera quelques heures plus tard en plein tressage péruvien sur les minitisseuses de Walter Gonzales Arnao…

En savoir plus sur David McCallum à la Fab Academy 2018

Du Pérou, Walter Gonzales Arnao
Architecte, designer à Fablab Lima

Walter Gonzales Arnao, représentant haut en énergie du Pérou. © Elsa Ferreira

Au premier jour de FAB14, Walter Gonzales Arnao, maker haut en couleur et en énergie venu du Pérou, fait la distribution de son livre El impacto tecnológico en la artesanía peruana (édition indépendante, non traduit), sur l’impact de la technologie sur l’artisanat péruvien. A chaque exemplaire, selfie de rigueur et cri de guerre. 300 exemplaires plus tard, le maker n’a pas faibli. Un premier aperçu du personnage ultradynamique et historique du mouvement fablab, présent à toutes les éditions depuis le FAB7 à Lima.

Professeur de design industriel à l’université nationale d’ingénierie, chercheur à la faculté d’architecture, diplômé de la Fab Academy promo 2012 en design numérique et principal designer et chargé d’atelier à Fablab Lima, il a développé Fab Loom, un projet qui utilise les technologies numériques pour faire revivre les techniques artisanales ancestrales. Il a aussi développé la Pedal Loom, une machine à tisser à pédale, notamment destinée aux personnes aveugles, pour laquelle il a gagné en 2018 le premier prix national de design pour l’artisanat péruvien. « Au Pérou, 70% des personnes handicapées sont pauvres ou extrêmement pauvres, explique-t-il. Cet outil permet de produire plus facilement. »

Il a également développé un petit métier à tisser facile d’utilisation à partir de planches d’acrylique découpées au laser notamment destiné aux enfants à partir de 8 ans, « qui ont tendance à perdre contact avec nos traditions », regrette le maker. « La machine peut être reproduite partout dans le monde et être personnalisée : on peut changer la forme pour la faire plus petite pour un enfant par exemple. »

Walter est détenteur de 38 brevets d’inventions, 83 en attente et 3 logiciels enregistrés… Il est également fondateur du réseau Fab Craft, pour porter la technologie dans le monde de l’artisanat. A FAB14, il a fait le plein avec son workshop sur la technologie et l’artisanat péruvien, debout/couché/assis sur la table et lama à l’appui… Une énergie à toute épreuve, on vous dit.

Workshop énergique à la péruvienne à FAB14. © Makery

D’Allemagne, Daniele Ingrassia
Concepteur de la découpe laser open source bois-métal

Daniele Ingrassia, «rêveur» de souche et sa machine. © Makery

Maker Géo Trouvetout et « rêveur » de souche, Daniele Ingrassia, Italien habitant en Allemagne, a fait sensation à FAB14 avec sa découpeuse laser open source chromée… qu’on n’aura pas vue marcher, hélas. Cet ingénieur en technologie de l’information, chercheur (en AI) et fabacadémicien, a monté cette machine impressionnante, qu’il passera l’après-midi et la matinée suivante à réparer… « Heureusement, elle marchait quand Neil (Gershenfeld, ndlr) est passé la voir », dit-il en souriant, pas affolé pour un sou. Des makers de toute nationalité lui prêtent main (et coups de marteau) pour faire repartir cette découpeuse laser entièrement open source. Le projet, qu’il a développé avec son équipe au fablab Kamp-Lintfort de l’université des sciences appliquées Rhein Waal, veut faire la « démo qu’une découpe laser faite dans un fablab peut faire le poids face aux machines du marché, permettre le travail de la découpe laser avec différents matériaux (bois, métal) et donner aux fablabs une option moins chère pour accéder à la technologie laser ». S’il a déjà vendu une Laserduo à une université allemande, Daniel Ingrassia veut surtout permettre aux fablabs de monter eux-mêmes leur propre machine, workshops et démos à l’appui. A noter que les contrôleurs sont eux aussi open source, issus de son projet final pour la Fab Academy 2015 puis adaptés et retravaillés avec ses étudiants (et remarquablement documentés).

En savoir plus sur la Laserduo de Daniele Ingrassia

D’Inde, Allan Rodrigues
Ancien dirigeant de Maker’s Asylum

Défenseur de l’innovation frugale et de l’éducation par le faire, Allan Rodrigues, ancien dirigeant de Maker’s Asylum, le plus grand makerspace de Mumbai en Inde, a fait un tour d’Europe de plusieurs semaines à l’occasion de FAB14 et du Fab City Summit où il intervenait comme conférencier : « En Inde, nous avons des villes extraordinaires, mais nous devons relever de nombreux challenges. Comment y répondent les autres villes du monde ? Qu’est-ce qu’on peut apprendre d’elles ? Ici, j’ai l’occasion de découvrir des solutions impactantes et de réfléchir à la manière dont nous pourrions transposer ces modèles pour nos propres villes. Par exemple, en Inde, il y a de plus en plus de vélos, mais rien pour la circulation. En Europe, la gestion des trajets est déjà très évoluée, comme à Berlin, où il y a des pistes cyclables partout. Ce serait impossible de le faire à Mumbai, mais pourquoi pas dans d’autres villes plus petites. C’est pareil pour la gestion des espaces verts, la collecte des déchets alimentaires… J’ai envie de découvrir tous ces modèles développés en Europe et de les ramener en Inde. L’idée aussi serait de faire venir davantage d’étudiants français et européens en Inde, un peu comme on l’a fait avec la STEAM School au Maker’s Asylum, pour leur montrer comment on pratique l’innovation frugale et low-cost, ce qu’on appelle le jugaad. Comme notre système de réfrigération ancestral en terre cuite : plutôt que de l’air conditionné partout comme je le vois en Europe, pourquoi ne pas essayer d’améliorer ce système, avec des étudiants et des ingénieurs français ? On peut apprendre de part et d’autre. »

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