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FAB14 partage ses recettes en résilience

Lever de rideau sur la résilience à FAB14, le rendez-vous international des fablabs à Toulouse. © Makery

A Toulouse et pour la première fois en France s’est tenue du 16 au 20 juillet FAB14, la conférence internationale du réseau des fablabs sur la thématique «fabriquer la résilience». De quoi imaginer les fablabs combler les brèches d’un monde en vrac?

Toulouse, envoyée spéciale (texte et photos)

Fabriquer la résilience, oui, mais comment ? Et d’abord, qu’est-ce donc que la résilience dans le contexte de la fabrication numérique, et plus particulièrement de la grande réunion internationale des fablabs estampillés MIT, qui s’est achevée à Toulouse le 20 juillet ? Neil Gershenfeld avait bien tenté une approche, en ouverture de FAB14 (on vous en parlait ici), avec une vision plutôt optimiste de l’avenir des fablabs (« le million… »).

Neil Gershenfeld sur la scène du Centre de congrès à Toulouse.

La résilience est un concept encore assez neuf en France (regardez la définition du Larousse, qui n’évoque que la « caractéristique mécanique définissant la résistance aux chocs d’un matériau ») qui s’inspire de cette définition physique pour l’élargir à notre environnement social et matériel et envisager notre capacité à continuer à nous projeter dans l’avenir malgré un contexte déstabilisant, des conditions de vie difficiles, des traumatismes parfois sévères (l’émergence du concept est bien expliqué par ici).

Avec la fabcity, on voit à peu près à quoi la résilience fait référence : transformer la ville, relocaliser la production, défaire les cercles consuméristes en repensant l’écologie, le partage des ressources et des savoirs. D’ailleurs, le Fab City Summit, qui s’est tenu à Paris en amont de cette Fabconférence internationale, nous en avait donné un aperçu plutôt vaste.

A Toulouse et dans le contexte de la FABX, ce moment de rencontre, de retrouvailles presque, de la communauté des fablabs (cf. les « bébés fablabs » de Sherry Lassiter, les moments de convivialité partagée des Fabercise, ces exercices physiques thématisés, ceux des femmes, ceux des Péruviens fous, ceux des enfants…), la vision de la fabrication résiliente paraît un peu plus floue.

On s’accroche pour suivre, d’autant que l’atmosphère au Centre des congrès Pierre Baudis, au décor imposant et pas vraiment DiY, est plutôt avenante, très joyeuse, positive sans (trop) verser dans la technobéatitude. Car fabriquer la résilience n’est pas si limpide, malgré les symposiums qui égrènent chaque matinée (alimentation, mobilité, machines, argent, accès), un tantinet empesés (trois à quatre personnalités invitées font une introduction, s’ensuit un petit débat, la salle est assez peu convoquée…), et les dizaines de workshops auxquels les fabbers présents participent avec enthousiasme, qu’il s’agisse de fabriquer des bioplastiques, de découvrir les textiles connectés ou de maîtriser SolidWorks !

L’architecte grecque Areti Markopoulou de l’Institute for Advanced Architecture of Catalonia présente les composites en graphène qui répondent à leur environnement.
Fabriquer son bioplastique en deux heures, mode d’emploi.
Les diplômés 2018 de la Fab Academy (avec leur prof Neil Gershenfeld au milieu).

Quelles sont les pistes, les moyens de faire avancer la résilience ? Personne n’a vraiment « la » réponse définitive et aucun intervenant ne se risquera à faire de leçon – pas même Neil Gershenfeld, pourtant tout puissant maître de cérémonie. Les 1.200 participants à ce FAB14 (chiffre fourni par les organisateurs, qui n’ont pas voulu nous donner plus de détails), qu’ils viennent d’Amérique, d’Europe ou d’Asie (les délégations européennes, asiatiques et américaines ont clairement le dessus sur les délégations d’Afrique), forment communauté.

C’est déjà un premier élément de réponse à la question de la résilience : ensemble, on peut agir. Ladite communauté est d’ailleurs ravie de se retrouver, d’échanger et de participer aux multiples ateliers et débats, de découvrir de nouveaux projets d’électronique DiY, de danser aux cours des Fabercises qui ponctuent les matinées.

Cette communauté internationale s’enflamme d’un coup avec les propos d’un innovateur chilien, Alfredo Zolezzi, qui a mis au point la killer app de l’eau potable, le PWSS (Plasma Water Sanitation System) pour transformer l’eau polluée en eau potable donc, et qui déclare à la tribune en plein symposium sur les machines : « Ce n’est pas une question de technologie, le monde en est plein, c’est ce qu’on veut en faire. Ces immenses capacités que vous représentez, on croit que si on rend visible l’impact, les gens vont suivre, mais ce n’est pas si simple… Mettons du cœur dans ces machines ! » Il explique que les médias, les industriels ont vu dans sa technologie le « next billion project » mais que lui a tenu à développer une unité de test pour les gens pauvres : « Avec un dollar, ils peuvent produire 50l d’eau potable. »

Alfredo Zolezzi à FAB14 parle de «4ème révolution industrielle avec du sens».

Donc, la résilience, ce pourrait être un objectif pour renverser un peu la vapeur du monde fou de la finance que nous brossait Saskia Sassen à Paris ? Tomás Diez (l’initiateur de l’initiative globale Fab City) cite le bitcoin et les 1.800 cryptomonnaies qui ont émergé comme la « première technologie dans l’histoire des technologies à avoir été créée hors de la sphère militaire ». Cette technologie « challenge le système financier dans un monde où l’argent ne fait plus le boulot de mettre du lien », rappelle-t-il et tente de « remplir les trous de ce que ne fait pas l’argent ». Il l’adresse en forme de question à Heather Corcoran, qui s’occupe de la communauté maker chez Kickstarter pour l’Europe et vient de rappeler quelques-unes des campagnes les plus fructueuses sur sa plateforme de financement participatif : le Foldscope, ce microscope en carton portable (8.457 contributeurs pour 393.000$), l’Open Building Institute (1.902 contributeurs pour 115.000$) ou encore la découpe à l’eau de bureau Wazer (1.301 contributeurs pour 1.331.936$). La résilience, serait-ce une voie toute tracée pour combler les brèches dans le système ? Heather Corcoran joue la rabat-joie : « Attention parce que quand l’argent arrive dans un projet, ça peut vraiment foutre la merde ».

La résilience en tout cas, c’est ne pas céder aux sirènes de l’innovation disruptive à tout crin. Et de pousser ces projets open source à partager en réseau, comme l’a fait FAB14 pour certains d’entre eux, manière de les soutenir, de faire parler d’eux et d’aider à colmater les brèches. En vrac et sans hiérarchie, voici quelques-uns de ces projets qu’on a vus passer et qui pourraient faire du bien là où ça fait mal.

Au rayon maker fou

Laserduo, une découpeuse laser métal et bois 100% open source.
Avec ses composants documentés par le maker Daniele Ingrassia.

La découpe laser open source Laserduo, belle bête qui pourrait rivaliser avec les grosses découpes laser du marché, peut aussi se transformer en imprimante 3D et découpe le bois et le métal. Créée par un fabber authentique au fablab allemand Kamp-Lintfort de l’université des sciences appliquées Rhein Waal (voir le mini-portrait de son maker, Daniele Ingrassia, par ici).

Au rayon bio

La très belle plateforme de recettes à partager Materiom, lancée par Alysia Garmulewicz de l’université de Santiago du Chili avec une batterie de chercheurs et makers internationaux (et une majorité de femmes, c’est assez peu fréquent pour être souligné). Materiom veut documenter les techniques pour fabriquer de nouveaux matériaux à partir de déchets, de récup ou de collecte/cueillette locale (coquilles de moules, fécule de pomme de terre, liège, résidus de café…), inventant une nouvelle génération de bioplastiques (à la gélatine, à l’agar, au composite de saccharose) et d’ingrédients respectueux de la nature. Le workshop mené avec une lumineuse patience par Alysia a montré qu’on pouvait localement participer à cette économie circulaire résiliente moins dévastatrice pour l’environnement.

Au rayon social

– La plateforme jobs.fabeconomy partage les offres d’emploi dans le réseau des fablabs.
– L’initiative annoncée par Tomás Diez de la Fab Foundation (mais pas encore en ligne) FabDx, un incubateur des talents issus de la Fab Academy pour éviter de « perdre les talents dans les labs après leur formation ».
– Et cette incongruité qui pourrait ne plus en être une d’ici quelques années : Claudette Irere, en charge de l’innovation et du développement économique au ministère rwandais de l’Information, de la technologie et des communications est arrivée là grâce au tout premier fablab ouvert à Kigali. Question gestion de carrière, c’est une belle perspective pour les fabmanagers ! Elle explique que son pays, où « 65% de la population a moins de 18 ans » va ouvrir trois nouveaux fablabs parce que ces espaces sont des « hubs pour créer des emplois », que le gouvernement n’attend pas un retour sur investissement à court terme mais « laisse les jeunes inventer des solutions au chômage ».

Au rayon institutionnel

Pour rester du côté politique, on a pu entendre Paulo Rosa du Centre commun de recherche de la Commission européenne déclarer que le « mouvement maker est une source d’inspiration » pour « explorer de nouveaux imaginaires » en Europe.

Au rayon communauté

On relève cette petite phrase de Shy Rivera Rios, directrice artistique et codirectrice d’AS220, un centre d’art à Providence aux Etats-Unis qui depuis 1985 œuvre au changement urbain, social et artistique. Elle reconnaît qu’aujourd’hui en effet, AS220 est passée du statut de l’organisation disruptive (AS signifiait Alternative Space) à une organisation qui « ancre la communauté » : « On est vus comme un modèle et on n’a pas peur de ça puisqu’on designe pour nos communautés. »

Du côté des fablabs eux-mêmes, il y a cette joyeuse humilité à remettre sur l’établi les questions les plus prosaïques. On pense notamment à la restitution de l’organisation des FAB distribués, qui donne l’impression d’un tutoriel en direct pour organiser à l’avenir ce type d’événement (pour le jour où la FABX ne pourra pas accueillir tout le monde) en s’appuyant sur la logistique du réseau et l’aide de la Fab Foundation (14.000€ tout de même). Comment organiser un événement qui n’a encore jamais eu lieu, comment convaincre les éventuels partenaires…

Enfin, on aime l’idée que le Bhoutan, pays enclavé entre l’Inde et la Chine de moins d’un million d’habitants, ait été choisi pour accueillir la FABX en 2021 (pour mémoire, 2019 c’est FAB15 Egypte, et 2020 FAB16 Montréal). Le Bhoutan compte 38 fablabs (!) et a promis de la nourriture bio – mieux donc qu’à Toulouse, où les repas au restaurant universitaire ne rendaient justice ni à la gastronomie française ni à la production locale.

En guise de conclusion, on pourrait dire que la résilience, comme le diable, se cache dans les détails. Et laisser le dernier mot à Neil Gershenfeld, qui, à l’issue du symposium machine s’étonnait qu’aucun des intervenants ne réponde à sa question sur quelle sera la machine du futur mais plutôt sur le « levier que les labs peuvent constituer » : à un million de fablabs, « le réseau de fablabs, c’est la machine ! » CQFD.

Le site de FAB14 et de Fablabconnect pour visionner les vidéos des symposiums

Retrouvez nos articles sur FAB14, dont Makery est partenaire

Le week-end du 21-22 juillet se tenait toujours à Toulouse le Fabfestival (et l’AG du RFFLabs)