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FAB14 à Toulouse vise le million de fablabs

A l'entrée du Centre de congrès, on écoute et on regarde la voix de Neil Gershenfeld imprimée en 3D. © Elsa Ferreira

Du 16 au 22 juillet se tient à Toulouse FAB14, la réunion internationale des fablabs et troisième volet d’un mois de juillet faste pour les makers en France. Makery couvre l’événement.

Toulouse, envoyée spéciale

Inventer la ville résiliente, acte 3. Après le Fab City Summit et le FAB14 distribué, voici venue FAB14, la grande réunion de la communauté internationale des fablabs qui a lieu pour la 14ème année consécutive et qui se tient autour du thème « fabriquer la résilience ». Après Shenzhen et Santiago du Chili, rendez-vous depuis lundi 16 juillet à Toulouse. Le fablab Artilect, le premier à avoir ouvert en France et organisateur de l’événement, rappelle son président et cofondateur Nicolas Lassabe, attend 800 labs.

Neil Gershenfeld illustre l’organisation d’un tel événement par «le chemin du héros», de l’appel de l’aventure, à l’abysse et la mort, jusqu’au retour. © Elsa Ferreira

A la tribune de l’immense salle de conférence, au sous-sol du Centre de congrès Pierre Baudis, Neil Gershenfeld (professeur au MIT et inventeur du concept du fablab) fait lui aussi les comptes devant les 600 participants arrivés ce premier jour : il y a aujourd’hui environ 1.000 fablabs dans le monde. Ce n’est pourtant pas le nombre qui compte, affirme-t-il, « mais ce qu’on fait avec les programmes ». Et de dérouler la liste : Machines that Make, soit le prototypage rapide d’outils pour prototyper, la Fab Foundation et Scopes-DF, pour développer la communauté et l’éducation STEM, l’initiative globale Fab City, pour développer la production locale urbaine, et Fablabs.io, le réseau de la communauté des fablabs ayant adopté la charte du MIT. « Il y a cette citation bien trop utilisée du hockeyeur Wayne Gretzky, illustre Neil Gershenfeld pour évoquer son ambition pour le réseau fablab. Alors qu’on lui demandait son secret, il a répondu : “Patine là où le palet va, pas là où il a été”. » Comprenez : pour avoir de l’impact sur la société, il faut sentir le vent.

Bébés fablabs

Et à en croire les prédictions du fondateur du mouvement, les vents sont favorables. « En dix ans, nous sommes passés de 1 à 1.000 fablabs. Pour les dix prochaines années, nous sommes en route pour le million. A ce moment, tout se cassera la figure, prévient-il. Ce que l’on a appris pour 1.000 ne marche pas pour 1 million. » Le challenge du réseau est donc de se préparer à une croissance exponentielle. Comme pour illustrer son propos, la directrice de la Fab Foundation Sherry Lassiter se lance dans une présentation PowerPoint des « bébés fablabs », soit les enfants nés dans la communauté (dont un présent), et les « mariages fablabs ».

Gershenfeld évoque tout de même les difficultés à trouver un modèle économique durable, tout en restant optimiste : « Beaucoup d’entre vous entrent dans la filière de l’éducation », suggère-t-il en guise d’issue.

En attendant ces superconférences « où on ne se connaîtra plus entre nous », regrette déjà Sherry Lassiter, on profite de l’ambiance encore personnelle où l’échange se crée facilement – c’est d’ailleurs l’un des buts des fab conférences : échanger et apprendre les uns des autres. « Chacun est ici pour écouter chacun, lance Gershenfeld. Si vous ne connaissez pas quelqu’un, présentez-vous. Il est garanti qu’il sera intéressant et aura quelque chose à vous apporter. »

Le Pérou met l’ambiance pour sa candidature à l’organisation de FAB16. © FAB14France

Viennent ensuite le tour des pitchs des villes candidates à l’édition FAB16 en 2021 pour succéder à l’Egypte (2019) et Montréal (2020). On parie sur le trio Bhoutan et ses 38 fablabs pour 800.000 habitants, Mexique, dont Puebla vient d’emporter le titre de Fab City (lire notre compte-rendu du Fab City Summit) et dont la capitale regorge de makers, ou Taïwan et son représentant qui déroule les punchlines à la seconde et dont un des fablabs se trouve sur un terrain de foot. « Ça vous montre à quel point notre équipe est nulle », dit-il devant une salle hilare – la France a remporté le titre de champion du monde la veille.

Cookie 3D et taxi drone

Jusque-là, les habitués de la grand-messe des fablabs reconnaîtront la routine bien huilée de la cérémonie d’ouverture. Léger changement tout de même : traditionnellement sur un jour, le symposium s’étale cette fois-ci sur six (« pour éviter de rester un jour entier en position d’audience », justifie Gershenfeld). Cette première journée se termine d’ailleurs par le premier de la semaine, sur le thème de l’alimentation. Sur scène, Hod Lipson, roboticien qui développe des imprimantes spécialement conçues pour la nourriture, Amit Zoran, spécialiste de la gastronomie numérique qui mêle savoir traditionnel et technologie, Lin Liu, experte en vin, et Philippe Lejeune, vigneron biodynamique et ancien geek spécialiste de l’extraction de données.

Alors que les premiers font le point sur l’avancée de leurs technologies, encore au stade d’expérimentations, Liu lance des pistes de recherche pour qui s’intéressera au changement climatique du point de vue des viticulteurs (la biodiversité, la génétique et l’épigénétique, la plasticité des variétés, l’évaporation…) et Lejeune passe en revue ses hacks (des drones pour surveiller ses vignes, des stations météo), tout en admettant que la nature a ses raisons que la raison ignore. Pour ce qui est de la résilience, on restera un peu sur notre faim, même si Amit Zoran nous offre une piste : « L’optimisation doit se passer hors des cuisines mais aussi de l’intérieur. Il y a beaucoup de gâchis. Il est évident que la technologie peut aider. »

Ce mardi 17 juillet, au deuxième jour de FAB14, on s’intéresse à la mobilité avec un intéressant échange entre Sarah Fdili Alaoui, danseuse, chorégraphe et chercheuse en interaction homme-machine, venue présenter quelques-uns de ses projets de chorégraphies augmentées et sa vision d’une mobilité qui passe par le corps ; Boyd Cohen, fondateur de IoMob, une start-up pour décentraliser le secteur de la mobilité grâce à la blockchain en établissant un protocole pour l’Internet de la Mobilité (IoM) ; Simon Johnson, qui à travers le Lake Victoria Challenge souhaite développer de nouveaux modes de transports pour l’Afrique rurale ; et Denis Descheemaeker, chargé des technologies émergentes à Airbus, venu présenter ses prototypes de mobilité urbaine, dont Pop.Up, sorte de taxi drone dont les médias raffolent.

En attendant de faire voler des voitures dans la ville, on fait voler des drones dans des courses d’obstacles sous filet. © Elsa Ferreira

Alors que la question de l’acceptabilité de ces nouvelles technologies revient – un enjeu qui avait déjà animé le débat sur l’alimentation –, Boyd Cohen se lance : « Pourquoi la mobilité urbaine par les airs est un sujet qui devient à la mode ? Parce qu’on a complètement raté la mobilité au sol. C’est comme vouloir aller sur une autre planète parce qu’on est en train de détruire la nôtre. Peut-être avons-nous les moyens de résoudre ce problème plus intelligemment. » Tonnerre d’applaudissements. « Et les oiseaux alors ? », demande un membre de l’assistance. Denis Descheemaeker n’aura pas le temps de convaincre l’assistance du bien-fondé de ses mécanismes pour effrayer les gêneurs. Autant dire que la voiture volante a du boulot pour mettre la communauté maker de son côté.

Le reste des symposiums cette semaine se déroule sur les thèmes des machines, l’argent et l’accès. Surtout, la communauté se retrouve autour de pléthore d’ateliers, de groupes de travail, de démonstrations et autres regroupements informels dans la grande salle du Centre de congrès, au milieu du bruit, de la chaleur et de l’odeur de plastique des imprimantes 3D et des découpeuses laser qui travaillent au rythme des projets. L’occasion pour la communauté d’échanger, d’apprendre, et qui sait, d’agrandir la photo de famille… Makery suit l’affaire. Restez branchés.

Salle comble pour les premiers ateliers mardi 17 juillet. © Elsa Ferreira

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