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Thomas Ermacora: «J’espère une centaine de quartiers fabcity en 2030»

Thomas Ermacora se définit comme le «recodeur» de la ville et ses usages (capture écran). © DR

Défenseur de la fabcity de la première heure, l’urbaniste Thomas Ermacora est l’un des conférenciers du Fab City Summit. En avant-première, il explique pourquoi le futur des villes est entre les mains d’une nouvelle génération de techno-créatifs.

Londres, de notre correspondante

Technologiste, futuriste, urbaniste, maker, architecte… Thomas Ermacora est un habitué des titres à rallonge comme des présentations et autres TED Conferences. Il faut dire que l’auteur de Recoded City: Co-Creating Urban Future, publié en 2015, consacre sa carrière à repenser la ville pour qu’elle soit plus collaborative, participative, numérique et, surtout, intelligente.

Cet Italo-Danois de 41 ans basé à Londres passe sa théorie au crash test de la réalité avec quatre projets, qui sont autant de preuves de concept (POC) de sa vision : Clear Village, organisation à travers laquelle il crée des espaces pour donner un but commun à des communautés, l’espace culturel et d’innovation LimeWharf, le makerspace Machines Room et enfin Maker Mile, un miniquartier de Londres où sont regroupés studios, ateliers et nouvelles industries créatives et numériques. Interview.

L’un des objectifs principaux de la fabcity est de relocaliser l’industrie au cœur de la ville. Pourquoi est-ce important?

Il y a deux raisons principales. La première est que nous avons développé une chaîne d’approvisionnement malsaine et injuste pour l’environnement et pour les travailleurs, puisque rares sont ceux qui en récoltent les fruits. L’une des opportunités du mouvement maker, en association avec les villes, est de rapprocher les industries des besoins des habitants, de pouvoir fabriquer les biens sur mesure et avec des matériaux locaux.

La seconde raison est qu’il faut que les villes attirent les talents. Le talent est la devise la plus chère et la plus difficile à former et conserver pour toute organisation, qu’elle soit une ville, un gouvernement ou une nation. Les makers forment une nouvelle classe : une intelligentsia autodidacte et adaptable.

Il y a pourtant des inconvénients à produire en ville: le bruit, la pollution, le coût des locaux… Comment faire?

L’approche qu’on a de l’industrie est celle d’une production de masse, puis de son transport. Avec la fabrication digitale, on peut moduler le niveau des stocks, utiliser des ressources locales, avoir de plus petites surfaces de production moins polluantes. La fabrication numérique permet de recycler certains matériaux et de créer une relation circulaire.

Il ne s’agit pas de retourner à la première révolution industrielle. Oui, il y a quelques déchets, oui, il y a quelques insuffisances : nous utilisons par exemple encore beaucoup d’électricité et ce, d’autant plus quand il s’agit de produire en masse. Mais l’énergie renouvelable se développe.

C’est une équation complexe que l’on ne va pas résoudre en un jour, mais nous engageons une nouvelle conversation.

Selon vous, les makerspaces sont le secret d’une ville vraiment intelligente. Pourquoi?

J’ai été conseiller pour le Forum économique mondial où des maires, des experts en politique et en technologie discutent des villes du futur. L’un des principaux points de nos discussions tournait autour des partenariats public-privé, qui sont de vrais moteurs de développement.

L’effet de communauté des fablabs et des makerspaces, cette écologie de travail et de fabrication, pourrait constituer un nouveau genre de partenariat public-privé, qui aiderait les gouvernements, les acteurs locaux et les makers à travailler ensemble pour réimaginer les services publics. L’agilité de la communauté fablab serait très utile aux villes.

Les partisans de la fabcity donnent en exemple Precious Plastic. Au-delà du symbole, est-ce une réelle solution au recyclage plastique?

Je ne crois pas que Precious Plastic soit voué à s’étendre. C’est un projet iconique qui montre que les citoyens peuvent s’organiser et construire ensemble mais la plupart des villes veulent une solution qui demande moins de participations volontaires.

Nous voulons utiliser Precious Plastic pour redéfinir la façon dont nous recyclons le plastique. Les gens détestent le plastique mais c’est une mauvaise façon de voir les choses. Le plastique est une ressource incroyable. Seulement nous en abusons, nous le jetons dans les océans et il finit dans nos corps. Il faut le traiter comme une matière précieuse.

Version de Precious Plastic construite à Machines Room avant la fermeture du makerspace. © Elsa Ferreira

A Londres, le quartier Maker Mile regroupe des entreprises aux activités similaires, comme Technology Will Save Us et Sam Labs. Quelles sont leurs relations?

McDonald et Burger King achètent souvent leurs locaux au même endroit parce qu’ils savent qu’il va falloir dépenser beaucoup d’énergie pour trouver les gens qui veulent manger ce genre de nourriture. De la même manière, la magie du MIT Media Lab vient du fait que des personnes aux compétences en concurrence partagent le même environnement. La nature est elle-même organisée de cette façon : les arbres recherchent tous la lumière mais créent ainsi un écosystème.

Une entreprise maker doit dénicher des travailleurs aux connaissances spécifiques et pouvoir apprendre des gens qui l’entourent. Nous devons construire des lieux où, à travers l’émulation, par le mélange, les gens deviennent meilleurs en apprenant les uns des autres.

Lorsqu’ils sont arrivés, Technology Will Save Us comptait sept employés. Ils en ont aujourd’hui plus de trente. Quant à Sam Labs, il a triplé de taille.

Un plan du Maker Mile (capture écran). © Maker Mile

Les makerspaces ont du mal à trouver un modèle économique. Comment voyez-vous leur futur?

J’ai la conviction que la façon dont les makerspaces sont gérés est absurde. Les seuls makerspaces qui survivent sont ceux qui sont soutenus par le gouvernement, par une bourse ou par un campus d’entreprise ou d’université. Certains sont gérés par la collectivité, mais ce sont des hackerspaces.

Il faudrait créer des programmes accélérateurs hybrides qui connectent promoteurs immobiliers et décideurs locaux, avec des aides gouvernementales pour attirer les talents makers. Les promoteurs immobiliers pourraient proposer leurs espaces moins chers, voire gratuitement, qui seraient un pôle d’attraction pour des emplois qualifiés dans les quartiers.

J’espère que la communauté maker sera capable de se regrouper de manière à ce que cette classe créative soit intégrée et capable de payer les loyers une fois les quartiers gentrifiés.

Justement, comment évite-t-on la gentrification dans ce processus que vous appelez la régénération créative?

Le problème n’est pas d’apporter plus d’argent à un quartier, le problème, c’est de faire fuir les gens qui rendent un quartier intéressant. Les promoteurs immobiliers doivent se rendre compte que s’ils gentrifient, d’une certaine manière, ils dévalorisent le capital humain. Les quartiers qui ont le plus de succès sont ceux qui sont les plus diversifiés en termes d’âge, d’origine ethnique ou de religion. Un quartier riche n’est pas forcément un quartier qui marche.

Il faut également repenser l’espace public. La qualité de vie urbaine réside dans les espaces intermédiaires, ceux qui ne sont pas privés. La ville est un grand salon partagé, une agora. Avec le prix de l’immobilier, il y a peu de chances qu’à l’avenir, tout le monde ait une grande maison. Les espaces publics sont d’autant plus importants.

Comment convaincre les promoteurs immobiliers de ce changement de paradigme dans la construction de la ville?

Les promoteurs doivent avoir un retour sur investissement. Ils sont donc prudents. Mais ils savent aussi que s’ils n’ont rien pour rendre leur quartier intéressant, ils ne vendront pas leurs appartements. Il est temps que ça change et j’espère que nous pourrons le faire d’une manière qui bénéficie également à la communauté maker, pas seulement aux promoteurs immobiliers…

J’ai dû fermer mon makerspace Machines Room : les locaux ont été vendus et le loyer allait doubler. Nous ne faisons déjà pas d’argent, j’aurais dû licencier. Nous avons décidé de nous installer dans deux containers à Containerville (un hub d’espaces de travail pour petites entreprises et start-ups dans l’est de Londres, ndlr) plutôt qu’un large espace.

Vous dites avoir «espoir» en la fabcity. Qu’en attendez-vous concrètement?

Ma version de l’espoir est l’inspiration. Peut-être avez-vous eu lorsque vous étiez enfant un parent, un professeur ou une tante qui vous a appris à ouvrir votre esprit et à penser différemment. J’appelle ça le “capital espoir”. Je crois que les villes ont pour rôle de développer ce “capital espoir”.

Concrètement, j’espère qu’en 2030, nous aurons une centaine de quartiers fabcity dans plus de soixante villes dans le monde qui pourront collaborer, étendre les connaissances et les possibilités, à travers les outils de fabrication digitale, et transformer les chaînes d’approvisionnement.

C’est un mouvement qui va créer assez d’élan pour qu’on arrive au point d’inflexion sur lequel on ne pourra plus revenir.

Thomas Ermacora et l’urbanisme open source, TEDxBeaconStreet, 2017 (en anglais):

Thomas Ermacora est présent au Fab City Summit à Paris, pour une table ronde «Fab City Collective», le 13 juillet à 10h