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L’Open Bidouille Camp prend le train pour la Hongrie

Light graffiti devant l'opéra de Pécs avec l'imprimante portable NTQ du Graffiti Research Lab France. © Vincent Delbalat - D'Asques et d'ailleurs

Né en France dans un esprit résolument DiY avec de vrais morceaux d’éducation populaire, l’Open Bidouille Camp vient de tenir sa première édition à l’étranger, à Pécs. Le récit de l’un des initiateurs du projet, le Bordelais Julien Goret.

Itinérante, polyglotte, hyperactive et radicalement DIY : la première édition hongroise de l’Open Bidouille Camp vient de s’achever, coordonnée à Pécs par l’Alliance française. L’Open Bidouille Camp (OBC pour les intimes) est le nom générique d’événements autour du Do it Yourself (Makery vous en a déjà parlé, ndlr). DIY, ils le sont aussi par la méthode suivie pour les organiser. Chaque édition se construit en chemin, et celle-ci, coordonnée par le collectif République Bidouille dont je suis membre, ne fait pas exception.

Je connais depuis très longtemps le directeur de l’Alliance française de Pécs. A force de tourner autour de nos projets respectifs, nous sommes tombés d’accord sur la pertinence d’un événement valorisant le faire soi-même. En Hongrie comme ailleurs, ces pratiques existent ; les partager pour révéler leur portée créative, émancipatrice, et leur capacité à générer une sociabilité par le faire ensemble était une évidence.

Restait à trouver une méthode et des modalités d’organisation qui nous prémunissent contre le syndrome du prêcheur solitaire. Il ne s’agissait pas d’arriver avec le concept tout fait dans nos valises, mais de provoquer une appropriation puis un fork adapté au contexte local. Plutôt que d’agir comme des experts, nous avons laissé l’Alliance française préparer l’événement, auquel nous avons contribué comme participants, en apportant nos installations et en proposant des ateliers dans les écoles et avec le public de l’événement.

Soucieux de notre empreinte carbone, et souhaitant inscrire cette action dans l’espace public, nous avons choisi le rail. Nous avons modifié notre matériel pour en faire un outil de diffusion utilisable dans les gares et les trains, pour commencer entre Paris, Mannheim, Munich et Budapest avec les gens que nous croiserons.

OBC itinérant où chacun traîne son poids en Arduino, câbles ou LEDs. © Julien Goret

Le 22 mai, nous sommes donc quatre sur le quai de la gare Saint-Jean à Bordeaux : Guillaume Apremont des Petits Débrouillards Nouvelle Aquitaine Sud, Julien Techoueyre du Graffiti Research Lab, Vincent Delbalat de l’association éducative multimédia D’Asques et d’ailleurs, et moi-même, qui œuvre entre République Bidouille et les ateliers associatifs du Garage moderne. Un dernier compère, Julien Rat du fablab de Ligugé les Usines nouvelles (près de Poitiers), partira de son côté pour nous rejoindre à Pécs le 25.

Nous sommes accompagnés de notre OBC mobile. Il est constitué de trois malles d’installations de survie remplies d’électroniques et d’outils de toutes sortes, d’une borne d’arcade, d’un Photomaton, d’un kit de light painting et de deux imprimantes 3D. Une de ces imprimantes nous a été offerte par l’entreprise Dagoma, motivée par notre projet, avec pour mission un peu spéciale de la laisser sur place afin qu’elle devienne l’outil fédérateur de la communauté locale de bidouilleurs et curieux en tout genre.

Nous remplissons donc nos pass Interrail et chargeons le tout dans le TGV direction Paris, puis Mannheim (Allemagne) après une correspondance express via les couloirs du métro. Dans l’InterCity Express (ICE) Paris-Mannheim, nous déplions notre matériel : Julien pose son Near Tag Quality (NTQ) modifié, une imprimante graffiti portable, sur la vitre du train, pour le plus grand plaisir de bovins contemplatifs ou d’amateurs de trainspotting.

Le train reboote

En parallèle est lancée une impression 3D transfrontalière avec l’imprimante-fût de bière. On m’avait mis en garde contre les vibrations du train, mais finalement, ça fonctionne. Le problème est venu d’ailleurs : l’impression s’interrompt au passage de la frontière franco-allemande : le train reboote en changeant de réseau et l’alimentation électrique est coupée pendant quelques minutes.

Tentative d’impression franco-allemande itinérante en Alsace. © Julien Goret

A Mannheim, nous n’avons pas le temps de nous éloigner de la gare, mais nous nous permettons une petite session de light painting au grand étonnement des chauffeurs de taxi qui ne comprennent pas immédiatement pourquoi quelqu’un marche en crabe sur le parking en promenant une sorte de baladeuse bricolée.

Direction Munich dans un ICE nocturne. Réveil à l’aube pour continuer avec les chemins de fer autrichiens dans le Railjet, sorte de train Corail qui traverse toute l’Autriche.

Photomaton à tickets de caisse

En six heures, nous imprimons quelques pièces d’éolienne et surtout sortons notre Photomaton à tickets de caisse pour tirer des portraits low-tech de nos voisins. On aurait souhaité l’installer dans le wagon-bar, mais la négociation avec le personnel du train échoue. On reste à nos places dans le wagon kids friendly pour faire tourner la machine avec nos voisins.

Notre Photomaton à tickets de caisse, quelque part au milieu de l’Autriche. © Julien Goret

Budapest-Pécs : la fatigue se fait sentir, je tente quelques impressions mais l’alimentation électrique reboote à chaque gare – et il y en a douze…

Arrivée vers 20h à Pécs mercredi soir 23 mai. On retrouve nos partenaires locaux, on mange enfin un vrai repas et on se repose un peu pour la suite qui s’annonce chargée.

Pour organiser la manifestation, l’Alliance française de Pécs s’est associée avec Eklekta, une asso locale qui travaille sur la ville durable et mobilise deux lieux alternatifs de la ville, Létra et Szabadkikötö. On a donc de bons relais et une équipe constituée de volontaires européens français, allemands et italo-roumains. Tout le monde a l’habitude d’organiser des événements et un gros travail a été fait en amont.

En quête de mousse

L’OBC commence le surlendeman, 25 mai, avec des ateliers à destination des scolaires. De notre côté, beaucoup reste à faire. Jeudi matin, un groupe part à la découverte des grandes surfaces de bricolage hongroise pour se ravitailler en vis, tasseaux et quincaille diverse. De mon côté, pour préparer mes ateliers du lendemain (graffiti végétal, hôtel à insectes et baby-foot en carton), je pars en quête de mousse et branchages dans les collines de Pécs. Un orage vient de passer et les rues sont presque vides, personne ne vient me demander pourquoi je gratte la mousse sur les murets, ni pourquoi je débite un arbuste sur un trottoir.

Les collines de Pécs sous la pluie, jour de récolte de mousse. © Julien Goret

Le temps de poser mes cabas humides à l’Alliance française, je rejoins les autres chez Màrtons, un menuisier constructeur de structures. Il nous donne un gros coup de main en nous fournissant de l’outillage et le bois nécessaire pour le Polargraph (un traceur à dessin). On coupe des baguettes dans son atelier et on découvre son travail

Dans l’atelier de Màrtons, entre scies circulaires, maquettes et soucoupes volantes en céramique. © Julien Goret

On repart avec nos bouts de bois pour passer à une toute autre ambiance : la fac de comm nous accueille dans son bâtiment ultramoderne pour une soirée de bienvenue, synchronisée avec le dévernissage d’une expo réalisée par les étudiants sur Pécs vue à travers Instagram. Un professeur nous fait passer en coulisses. Attila Doboviczki est chercheur, travaille sur les artistes et l’image en général à Pécs et en Hongrie des années 1960 aux années 1980. Son antre est pleine de caméras Super 8, de Pentacon, de cartes postales, de diapos soft porno made in RDA et de plaques photographiques obscures. Nous repartons avec le catalogue dont il est l’un des commissaires, Parallel Avant-garde Pécs Workshop 1968-1980. Une somme bilingue sur la scène underground locale sous le communisme. Ces années étaient austères en Hongrie mais il se trouvait toujours des gens pour faire vivre les marges.

Dans l’antre d’Attila. © Vincent Delbalat – D’Asques et d’ailleurs

La soirée est également l’occasion de rencontrer une bonne partie des porteurs d’ateliers qui s’occuperont des activités nature, impression 3D et des réseaux sociaux pendant le week-end. Sur tous les OBC, ces rencontres de dernière minute sont importantes, c’est là que se nouent les collaborations et les projets hybrides les plus intéressants.

Le lendemain, c’est le top départ de la manifestation. L’Alliance française nous a ouvert les portes des écoles. Le matin, la section bilingue français-hongrois du lycée local nous accueille.

Robots débiles et baby-foot en cagette

Une partie des élèves se lance dans la fabrication de robots débiles, un classique de République Bidouille. Un autre groupe discute ville durable et en transition autour d’un jeu de rôle. Le dernier groupe est réuni dans la cour, pour des raisons pratiques. Il s’agit de réaliser un graffiti végétal et de fabriquer des baby-foots en cagette. C’est l’occasion de parler français, de construire et de se salir et vandalisant la cour… et ça marche plutôt bien.

Les robots débiles, un atelier simple et efficace. © Vincent Delbalat – D’Asques et d’ailleurs

Un gyros (kebab local) plus tard, direction l’école élémentaire pour un double atelier hôtel à insectes-graffiti végétal. Vingt-quatre élèves de 8 à 13 ans sont concentrés dans une minuscule salle de 20m2, et mélangent allègrement sciure, végétaux et yaourt bulgare. L’espace est passablement ravagé à la fin de la session mais les enfants repartent avec la joie d’avoir vaincu un bout de bois avec une scie égoïne, et nous promettent de revenir le lendemain.

9 ans et déjà bûcheronne. © Vincent Delbalat – D’Asques et d’ailleurs

L’événement public est pour le lendemain. Le lieu, Létra, est une ancienne usine de gants qui héberge des ateliers d’artistes, avec un angle d’attaque assez punk. On y pose nos dispositifs, les autres participants arrivent. il y a Gergely et Balàsz du hackerspace de Pécs, les plus technos avec leur imprimante et une moto DiY, et Balàsz de Makker Space Pécs avec ses installations low-tech solaires géniales. On retrouve également le petit pôle nature de Peter de Örökkert, et les maîtres des lieux (qui font par ailleurs des choses géniales en carton) avec leur atelier de sérigraphie.

Impossible de citer absolument tout le monde. Il y a de l’artisanat, avec un monsieur rom qui fabrique des paniers, et une foule de contributions. La cuisine est angolaise, il y a un coin enfants, des cours d’échecs et Màrtons, le constructeur-menuisier, est revenu faire des jouets en bois avec ses chutes. Le public est très familial, tout le monde teste tout et prend le temps d’échanger avec chacun.

Avant l’installation… © Julien Goret
Faire des jouets avec les chutes d’un menuisier. © Julien Goret

Nous profitons d’un temps calme pour livrer la Dagoma. Rapidement, il apparaît que tout le monde ici souhaite qu’elle profite au plus grand nombre. La communauté des makers de Pécs s’en occupera, elle sera officiellement confiée à l’Alliance française, qui s’en servira dans les écoles, et elle tournera entre le hackerspace en cours de constitution à Pécs et Makkers. Et comme les compétences techniques sont là, en une heure, elle est assemblée et tourne.

Gergely et Balàsz du hackerspace de Pécs et leur nouveau jouet. © Julien Goret

La soirée s’enchaîne avec du théâtre de marionnettes et un concert de la Pécs Music Society, des musiciens amateurs qui jouent des reprises et feront passer sur scène nos collègues. Une sorte de mini-fête de la musique.

Le lendemain, l’OBC continue à Létra avec un public moins dense. On en profite pour prendre le temps de rencontrer tout le monde et pour fignoler nos dispositifs. Notre machine à bulles géantes a été repositionnée et souffle plus fort que jamais.

La machine à bulles brasse du vent. © Julien Goret

On monte des éoliennes en parapluie, une coproduction franco-hongroise assemblée avec un étudiant indien, faite avec le bois de Màrtons et des pièces imprimées dans le train, et par les membres du hackerspace de Pécs.

Une éolienne restera à Pécs sur la terrasse de Létra. Avec un peu de chance, elle tourne encore.

Le projet ne s’arrête pas là. Une dernière soirée est prévue au SzabadKikötö, une coopérative rassemblant un bar resto et l’atelier de menuiserie de Màrtons. La cohabitation se passe bien : le menuisier a construit une extension dans la cour, une grande véranda en bois low-tech efficace.

L’extension DiY du SzabadKikötö. © Vincent Delbalat – D’Asques et d’ailleurs

La soirée est une « International Dinner Party », une auberge espagnole culinaire dans laquelle chacun est convié à venir avec un plat de chez lui. Il faut préciser que Pécs est une ville universitaire, où se croisent des étudiants du monde entier. De passage pour quelques mois, ils peuplent les associations et les terrasses de cafés.

Calories bienvenues

Les limites du sucré et du salé ne sont pas très claires, et nous passons du dessert indonésien au goulash. Vu notre niveau d’épuisement, les calories sont bienvenues, quelle que soit leur provenance. On recroise nos élèves du vendredi, on discute de suites éventuelles, de refaire des projets ensemble. Le besoin est là et ce serait dommage de laisser retomber la dynamique, maintenant que nous nous connaissons et que nous avons pris part au petit monde maker local.

Le 28 mai, on remonte dans le train, cette fois-ci en goûtant au charme vintage du train couchette. On quitte Budapest pour se réveiller à Zurich. Contraste garanti. Nous prenons le temps de déambuler dans la ville pendant notre correspondance et découvrons un tiers-lieu artistique très intéressant, Dynamo, planté le long d’un bras de rivière ouvert à la baignade. On peut y faire du textile, de la céramique, des concerts et ils ont même un atelier de métallerie lourde à même le trottoir.

Notre train couchette vintage. © Julien Goret
Dynamo, son coin baignade et son atelier métal. © Julien Goret

Enfin, direction la France et ses trains en grève, qui nous obligent à faire une halte bienvenue aux Grands Voisins à Paris, chez les Petits Débrouillards. Le temps de squatter un canapé avant de repartir à Bordeaux.

Le retour, clairement moins interactif que l’aller, est propice au débrief précoce. Faire un OBC hors de France est une manière de tester la pertinence du concept. Le faire avec l’Alliance française nous a obligés à nous positionner comme une proposition culturelle ancrée dans le monde francophone. Les OBC étant des rencontres du faire soi-même s’inscrivant dans la tradition de l’éduc pop‘ à la française, ils constituent une forme culturelle singulière, un syncrétisme de Condorcet, de Léo Lagrange et du TMRC. Et donc, nous retournerons à Pécs et travaillerons à faire essaimer les OBC ailleurs !

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