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Robertina Šebjanič, l’artiste qui murmurait à l’oreille des axolotls

Robertina Šebjanič dans sa «quête subaquatique pour la sérénité». © Uros Abram

Qu’elle étudie les capacités régénératives de la salamandre ou le mythe de l’humanoïde aquatique au Mexique, l’artiste slovène repousse les limites de la vie pour repenser l’humain. Aux frontières de l’art, de la science et du hack.

Au sein de la communauté internationale assez resserrée des biohackers, spécialistes de la communication interespèces et autres biobricoleurs, l’artiste slovène Robertina Šebjanič s’est fait connaître comme « l’artiste des méduses » ou « la femme sous l’eau ».

Robertina à l’écoute d’organismes marins avec son hydrophone. © Robertina Šebjanič

C’est notamment dû à ses projets de recherche sous-marine à l’aide d’hydrophones, comme Deep Blue à Izmir en Turquie, et ses installations-performances comme Aquatocene – une quête subaquatique pour la sérénité qu’elle a en partie enregistré en 2016 dans le Finistère lors d’une résidence du réseau Art Labo à la Station biologique de Roscoff.

«Aquatocene, Subaquatic Quest for Serenity», Robertina Šebjanič (2016-2018):

Mais son travail va bien au-delà de ces étiquettes. Aurelia 1+HZ, qu’elle présente en ce moment avec Slavko Glamočanin dans l’exposition de groupe Capitaine futur et la supernature à Paris, est l’occasion d’examiner les intérêts divers de cette expérimentatrice prolifique, qu’il s’agisse de repousser les limites de la vie ou d’interroger les mythes qui entourent la longévité. Sur son site web, on retrouve ses projets d’une diversité vertigineuse.

«Humalga», expérimentations d’hybride humain-algue lors de Hackteria Lab. © Robertina Šebjanič

Qu’on en juge. Pour Humalga – vers le spore humain, réalisé en collaboration avec l’autre bio-artiste slovène Špela Petrič, on se doute que son obsession confessée pour la longévité l’a inspirée, comme le fait que certaines espèces de méduses sont « immortelles ». Non sans audace, Šebjanič et Petrič proposent « un véhicule post-technologique d’ingénierie biotechnologique qui pourrait faciliter la survie à long terme d’une espèce humaine et de sa culture en évolution ». Pour cet hybride de projet artistique et de recherche scientifique, elles ont réuni des experts pour discuter des implications de la création d’une forme de vie transgénique humain/algue. Ensuite, elles ont effectué des « expériences en preuve de concept » (POC) dans le contexte du Hackteria Lab en 2013 au département de neurobiologie du Centre national des sciences biologiques à Bangalore en Inde, à savoir une micro-injection de chloroplaste dans un poisson-zèbre.

Au travail à Izmir à l’Institut de science marine et technologique pour le projet «Deep Blue». © Robertina Šebjanič

J’ai demandé à Robertina Šebjanič de quelle manière les résultats pratiques de ces expériences ont influencé ses observations philosophiques. Sa réponse : « En travaillant sur une preuve de concept, nous avons introduit les résultats pratiques dans les observations philosophiques. Humalga, avec son cadre conceptuel, était très large, ce qui donnait de points d’entrée très forts pour comprendre la relation entre humain et plante. Un changement possible comme la longévité n’est pas seulement une notion de science-fiction, elle existe déjà dans notre société. Evidemment, grâce aux médicaments plus efficaces, plus de personnes vivent plus longtemps et prospèrent davantage, enfin, ceux qui en ont les moyens. Nous habitons toujours un monde où notre qualité de vie dépend de nos latitude et longitude géographiques, culturelles, sociales. En même temps, l’extension de la vie humaine serait un moment décisif entre les générations. La différence d’âge entre les parents et les enfants augmente sans cesse et la prolongation de la vie nous donnerait plus de temps aussi. Ce dont l’humanité a certainement besoin en ce qui concerne le voyage dans l’espace : jusqu’ici, les voyages à l’échelle de notre système solaire nécessitent encore une génération, et semblent donc impossibles. Cependant, cela pourrait changer dans les décennies futures. De nouvelles connaissances sont toujours en attente d’être acquises, pendant que de nouveaux concepts et idées doivent être acceptés et repensés à partir de perspectives critiques. Un état de curiosité constante est une des forces primordiales qui propulsent mon travail. »

Biohacking spéculatif

Ce genre de biohacking spéculatif fait appel à de vrais matériaux biologiques et de vraies techniques scientifiques afin de produire une sorte de symbiose de création, de mythe et de résultats potentiellement mesurables, sans la pression de la recherche évaluée par ses pairs. Il introduit également un débat critique autour de l’orientation future de la science industrielle. On pourrait comparer cette approche particulière de la quête humaine de longévité avec les recherches sur des espèces comme le rat-taupe nu par Calico Labs, une société de recherche et développement financée par Google « dont la mission est d’exploiter les technologies de pointe pour améliorer notre compréhension de la biologie qui contrôle la durée de vie ».

Plus récemment, elle a emmené ses recherches du côté du mythe, dans le monde des monstres biologiques au Mexique, où elle s’est intéressée à l’axolotl. Cette espèce de salamandre qui risque l’extinction dans son habitat naturel est un objet de recherche scientifique notamment en raison de sa capacité extraordinaire de régénération… et de promesse de vie éternelle. Les Aztèques, intrigués par son apparence fascinante et ses pouvoirs de régénération, croyaient que l’axolotl était une manifestation du dieu Xolotl, celui qui emmenait les morts à l’enfer et au dieu du feu. En même temps, il faisait partie des traditions culinaires et médicinales aztèques. Selon Scientific American, l’axolotl peut régénérer des structures organiques telles que les membres, la mâchoire, la queue, la moelle épinière, la peau, etc., sans cicatrice, durant toute sa vie.

La recherche de Robertina Šebjanič satisfait à la fois sa passion pour la longévité et son désir de communiquer avec ce qui n’est pas humain voire de repenser l’humain. Cet aperçu des mythes englobe les « humains aquatiques » qui auraient été vus au Mexique et les théories du complot sur les sirènes. Qui ont poussé notamment le très officiel National Ocean Service aux Etats-Unis à publier un article intitulé «Are mermaids real?» (Les sirènes sont-elles réelles ?) pour réaffirmer qu’on n’a jamais prouvé l’évidence d’humanoïdes aquatiques.

Des grottes slovènes à l’Adriatique

Robertina Šebjanič travaille aussi sur les salamandres autorégénératives et notamment Proteus, la salamandre des grottes slovènes. Sous le titre Lygophilia, elle explore les aspects scientifiques et culturels de cette espèce, en collaboration avec la curatrice française Annick Bureaud.

L’artiste entame cette année une résidence EMAP (European Media Art Platform) à l’Ars Electronica de Linz en Autriche, intitulée aqua_forensic. Où elle se propose de mélanger « l’art avec la science traditionnelle et l’approche de la science citoyenne afin de récolter des données en amont sur les polluants anthropogéniques invisibles ». En déployant son drone sous-marin dans la mer Adriatique pour explorer et prendre des échantillons, elle posera la question : « L’océan pourrait-il nous fournir de nouvelles thérapeutiques ? La recherche en biotechnologie marine nous donne de l’espoir, elle pourrait fournir des molécules utiles qui seraient capables de servir la médecine ou nous aider à chercher de nouvelles formes de médicaments pour combattre la résistance aux antibiotiques. » Ceci est un exemple de ce que son collaborateur sur le projet, Gjino Šutić, appelle le biotweaking (biobricolage)​ : « L’acte d’améliorer les organismes biologiques à n’importe quel niveau, de moyens disponibles, pour exposer et utiliser jusqu’au bout leur potentiel. »

L’été sera propice à retrouver son biobricolage dans plusieurs expositions et projets en Europe, dont Assonance of Drops à Graz, en Autriche et The Universal Sea en Pologne.

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