Makery

Chronique d’une makeuse en matériaux (29)

Répertoire des différents sous-produits de la filière coton au Bénin. © Caroline Grellier

Au Bénin, l’approche participative, le DiY et l’esprit maker s’invitent au laboratoire Potemat, autour d’un projet de valorisation des sous-produits de la filière coton.

Cotonou, correspondance (texte et photos)

Après l’enquête de terrain, chacun des quatorze sous-produits identifiés au sein de la filière de production et de transformation du coton au Bénin a été soigneusement étiqueté au Pôle technologique de promotion des matériaux locaux (Potemat), laboratoire de recherche à l’université d’Abomey-Calavi (UAC) où je suis en stage, et rangé dans… un pot de mayonnaise recyclé.

Eh oui, ici, de nombreuses chaînes de collecte, de nettoyage et de revente sont en place. Y compris le pot de mayonnaise ! Ce bocal en verre d’un format fonctionnel, au couvercle bleu clair ou foncé, s’achète 1,80€ les quatorze pots au marché Dantokpa, le grand marché de Cotonou (l’un des plus vastes d’Afrique de l’Ouest). J’ai retrouvé ces mêmes pots sur la paillasse du laboratoire de chimie appliquée de l’université d’Abomey-Calavi, très utilisés par les chercheurs pour leurs expériences.

Parmi les quatorze sous-produits de la filière coton, des coques de graines de coton et des résidus d’égrenage.

A partir de ces quatorze sous-produits, il nous faut maintenant imaginer des matériaux. J’ai pour ce faire organisé trois ateliers de cocréation dont le but était d’aboutir à un maximum d’idées matériau et de protocoles d’expérimentation. Des architectes, des étudiants en génie mécanique, des doctorants en matériaux, un enseignant-chercheur, un responsable mécanique agricole, un représentant de la filière coton, des dessinateurs ont ainsi travaillé ensemble à l’école polytechnique d’Abomey-Calavi (EPAC).

Session d’atelier de cocréation à l’école polytechnique d’Abomey-Calavi.

Au menu de l’atelier, le premier exercice a pris la forme d’un brainstorming, où il s’est agi de manipuler les échantillons, d’exprimer ses intuitions et de se mettre d’accord en groupe sur des caractéristiques avérées de la matière, ses caractéristiques supposées, les projets référence qui font écho à cette matière. Le résultat s’est matérialisé par un grand tableau de Post-it.

Le deuxième exercice consistait à remplir en binôme une fiche-idée de matériau. Après la lecture d’un récit fiction, rédigé en fonction de besoins relevés lors de l’enquête de terrain, les participants devaient solutionner le problème par une réponse matériau adaptée. Pour faciliter ce travail, j’ai conçu des fiches. Qui détaillaient le processus : faire un schéma du matériau (sa forme, ses dimensions, son descriptif) ; lui donner un nom ; lister ses ingrédients comme une recette de cuisine ; coller les vignettes machines / vignettes outils de manière à communiquer les étapes de transformation du déchet au matériau ; enfin, noter des intuitions de résultats, des tests de caractérisation à effectuer, des remarques, etc. L’outil fiche-idée matériau a plutôt bien fonctionné : seize fiches ont été complétées, avec tout un tas de concepts à développer et tester !

Binôme en pleine réflexion sur le processus de fabrication de leur idée de matériau.

Au marché de recyclage des métaux

Pour fabriquer ces échantillons de matériaux et les éprouver, il nous faut désormais des machines-outils. Au programme : une presse à tuile transformée en thermopresse, un broyeur à adapter aux tiges de cotonnier et une défibreuse réalisée à moindre coût afin de nettoyer et étirer les déchets de fibres de coton.

Réunion machines avec les ingénieurs mécaniciens Bienvenu, Nawarath, Corneille et le professeur Chakirou Toukourou au tableau.

Les plans validés, nous sommes partis avec un collègue faire les achats de matériels, non pas chez Mr. Bricolage ou chez Leroy Merlin, mais au marché de recyclage des métaux, dans le quartier d’Akpakpa Midombo. Un impressionnant chantier. Du matin au soir, des pousse-pousse circulent dans les quartiers pour collecter les éléments métalliques dont les gens veulent se débarrasser. Les pièces sont ensuite acheminées dans ce genre de marché-atelier, où elles retrouvent une seconde vie en étant découpées, martelées, fondues, soudées, pour fabriquer des garde-corps d’escalier, des gongs de porte, etc.

Assis à même le sol, sous un abri de bois et de tôle, de très jeunes apprentis manient la masse avec une dextérité déconcertante et une expérience certaine. Le marché résonne, un bruit assourdissant, on peine à s’entendre. On trouve de tout ici, rien ne semble impossible. Nous repérons les tubulaires dont nous avons besoin pour les axes de la défibreuse, et aussi un format de plaque que l’on fait découper dans une porte de compteur la moins rouillée possible. Prix négocié imbattable. De retour au Potemat, nous attaquerons la fabrication, que je prendrai soin de documenter par un tutoriel tout en dessins.

On trouve tout au marché des métaux d’Akpakpa Midombo.

Et un peu de liant dans la colle

En parallèle, je me suis intéressée de plus près aux déchets de colle d’amidon, collectés lors de la visite de l’usine textile à Lokossa. Avec un collègue enseignant-chercheur, nous avons démarré des manipulations visant à connaître la teneur en amidon présente dans le résidu de colle, à déterminer son pouvoir collant et mieux comprendre ses potentiels à devenir un liant dans nos futurs matériaux.

Filtration des déchets de colle d’amidon.

Prochaine étape : quelques journées d’observation et d’échange dans un village de cotonculteurs, afin de valider les propositions esquissées durant les ateliers, et si possible, organiser ce même atelier sur site avec eux. Plus le projet avance, plus il semble pertinent que la fabrication des matériaux de construction s’opère le plus près possible du champ, par les villageois. Autant travailler en collaboration avec les principaux intéressés !

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