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Teamlab à la Villette, l’expo qui nous transforme tous en êtres magiques

Les visiteurs font partie de l'installation dans «Au-delà des limites» à la Grande Halle de la Villette. © Annick Rivoire

C’est la première grande exposition de l’art immersif du collectif japonais Teamlab à Paris. «Au-delà des limites» ouvre les portes d’un «nouveau monde». Qu’il faut apprendre à explorer.

Expo de la démesure, Au-delà des limites du collectif Teamlab porte merveilleusement bien son nom. Inaugurée à la Grande Halle de la Villette, à Paris, le 15 mai, et prévue pour durer tout l’été, elle déborde de partout. Du cadre de l’œuvre d’abord, puisque les projections se font du sol au plafond et en trois dimensions. Du cadre même de l’exposition puisque le visiteur est intégré au dispositif : en tant qu’individu (ses gestes, ses déplacements ou ses dessins ont une influence sur l’environnement en temps réel), et en tant que groupe (les images générées en direct réagissent au nombre de personnes présentes et à leurs mouvements).

Elle déborde aussi des façons de produire l’exposition, en tout cas en France, en termes d’investissement technique et financier. La Villette, associée à la Japan Foundation et au collectif Teamlab lui-même, avance sans plus de précision un budget qui se chiffre « en millions ». Une exposition d’un collectif japonais à peu près inconnu du grand public par chez nous (mais star au Japon et ailleurs dans le monde) et qui parvient à ce niveau de budget et de technologies, c’est aussi assez rare pour être souligné : pour 2.500m2 de surface d’expo et 2.000m2 de surface de projection, 1,5km de ponts alu ont été installés, dont certains « ont dû venir de Pologne », 116 vidéoprojecteurs et 230 ordinateurs de capteurs de mouvement fonctionnent en permanence, tandis que la Grande Halle de la Villette et sa verrière impossible pour les expositions multimédias a été totalement aménagée grâce à la construction façon boîte dans la boîte, pour une occultation et une climatisation totales.

Installation géante pour monde apaisé

Cette démesure est à mettre au crédit du collectif Teamlab, dont on vous a déjà parlé, qui parvient, où qu’il passe, à séduire et embarquer dans son imaginaire les visiteurs de tous les continents. Teamlab est un mystère en soi, qui produit les installations interactives géantes les plus coûteuses et énergivores qu’on puisse imaginer tout en défendant une vision d’un monde apaisé, poétique, magique. Le 21 juin prochain, ce collectif né en 2001 ouvrira son musée d’art numérique 3D, le Mori Building Digital Art Museum: teamLab Borderless, sur 10.000m2 à Tokyo (avec encore plus de matériel, soit 520 ordinateurs et 470 vidéoprojecteurs…).

Toshiyuki Inoko, l’un des quatre membres fondateurs de Teamlab. © Makery

Ce collectif compte aujourd’hui quelque 500 personnes, des architectes, des designers, des infographistes, dont « une majorité de profils techniques », nous explique la production à Paris. De façon collective, il décide et produit des mondes à part entière, avec un savoir-faire et une maîtrise des technologies les plus puissantes pour l’immersion et le temps réel. Le côté XXL et démesuré de l’expo parisienne pourrait paradoxalement masquer l’immense talent de ce collectif qui construit à chaque installation, brique à brique (virtuelles, les briques), un « nouveau monde », comme l’explique en souriant Toshiyuki Inoko, cofondateur de Teamlab, en ouverture de l’exposition à la Villette.

«Graffiti nature – Montagnes et vallées», la première installation de Teamlab à la Villette. © «Au-delà des limites», 2018, Grande Halle de la Villette, Paris – teamLab
«Les fleurs et personnes ne peuvent être contrôlées mais elles vivent ensemble – Une année en une heure». © «Au-delà des limites», 2018, Grande Halle de la Villette, Paris – teamLab

Une nature de pixels

La démesure du projet, « au-delà des limites » donc, c’est cette ambition portée par ce collectif d’artistes virtuoses du numérique imprégné de culture japonaise (animisme et cycle de la vie, en très gros résumé). Ni plus ni moins que « revoir les frontières entre l’art, les êtres humains et le monde qui nous entoure : nous essayons de relier les hommes entre eux et avec le monde », dit Toshiyuki Inoko. En repoussant les limites de l’immersion (et sans casque…), en nous faisant toucher du doigt une nature artificielle en trois dimensions, faite de pixels et de temps réel interactif, d’intelligences artificielles décidant du cours des milliers de gouttes d’eau d’une cascade vertigineuse (11m). Une nature artificielle qui nous transporte ailleurs.

«Vie transitoire: Les personnes créent de l’espace et du temps, à la rencontre de leur espace-temps naît un nouvel espace et un nouveau temps». © «Au-delà des limites», 2018, Grande Halle de la Villette, Paris – teamLab

Dit autrement, l’expérience de Teamlab et ses onze installations gigantesques à la Grande Halle (qui se côtoient et se chevauchent parfois, sans fin, en boucle, explosant là aussi les limites de l’œuvre) en appelle à tous les sens. Elle « agit » sur le visiteur. On pourrait sourire du lyrisme un peu naïf des titres à rallonge (Marcher, marcher, marcher : rechercher, dévier, réunir – Personnes et animaux dansants au-delà des frontières) ou s’agacer de la musique un peu trop japonisante du compositeur Hideaki Takahashi. On conseille plutôt de laisser aller. Lâcher prise et oublier tous ses réflexes pour aller à la rencontre d’un monde peuplé de papillons à attraper qui font naître des fleurs, d’oiseaux que notre présence fait dévier, de tournesols foisonnants et autres cerisiers en fleurs. Les titres sont plutôt à prendre comme l’entame d’un conte, le sésame pour décrypter l’énigme que le collectif nous propose.

Danse avec les lucioles

L’interactivité n’est jamais évidente, sauf dans la toute première installation Graffiti nature –Montagnes et vallées, où on commence par faire un coloriage de formes simples (fleur, poisson, grenouilles…), qu’on scanne pour les voir apparaître en version animée dans l’espace. Parfois, il suffit de choisir l’immobilité pour que se dessinent des ondes de lumière circulaires, ailleurs, on danse littéralement avec des nuées de lucioles pixellisées (il faut toucher le mur, sautiller et vibrer avec les éléments). Plus loin, il faut chercher pour entrer dans la danse : la parade de danseurs translucides avec leurs tambours, flûtes et shamisen (dont on apprend qu’elle s’inspire de la danse des fous du festival Awa-odori dans la ville de Tokushima au Japon) semble infinie. Ils avancent, dansent, seuls et a priori distants. Il faut en toucher un pour qu’il interrompe sa marche et tourne son visage vers nous. Avant de repartir.

Les personnages défilent (mi-humains, mi-cochons) dans «Marcher, marcher, marcher…» © «Au-delà des limites», 2018, Grande Halle de la Villette, Paris – teamLab
«Le chemin de la mer» fait de nous l’un des milliers de poissons d’un banc en pleine circonvolution. © Makery

Teamlab explore toutes les facettes de l’interactivité avec des dispositifs visuels immersifs, qu’elle soit passive (ne pas bouger/bouger), ludique ou poétique. Ces jeux visuels sont calculés en temps réel (des millions de particules recréent l’illusion de la cascade et vous transforment en simple caillou autour duquel l’eau continuera à s’écouler, si vous cessez de vous déplacer), et jamais identiques. Dans ce « nouveau monde », à chacun d’inventer son expérience avec Teamlab, qu’elle soit introspective ou collective…

«Au-delà des limites», exposition du collectif Teamlab à la Grande Halle de la Villette à Paris, du 15 mai au 9 septembre