Makerfight ou les combats de robots d’utilité publique
Publié le 30 avril 2018 par Yann Paulmier
Le 21 avril, la communauté maker avait rendez-vous à Mulhouse pour le 4ème Makerfight. Un événement qui, à grand renfort de tôles froissées et de boulons sectionnés, démocratise la robotique.
Mulhouse, correspondance
Makerfight ! L’événement organisé par Technistub, et déjà couvert par Makery en 2016, consiste principalement en un tournoi de robots de combat, s’affrontant au cours de duels sans merci. L’objectif est simple : découper, écraser, projeter, renverser… bref, mettre son adversaire hors d’état de nuire. Et à ce petit jeu, les équipes (près de 34 robots inscrits !) ne manquent pas d’imagination. Roue à inertie, disqueuse, scie circulaire, mais aussi broche de barbecue, les options techniques sont nombreuses… et destructrices !
Ça se fight au #Makerfight, y a du copeau ! pic.twitter.com/09yKfMy7x6
— PvO ? (@vopbal) April 21, 2018
Nom de code DMC/MOTOCO
Mais résumer cet événement à une suite de combats de robots ne serait pas fidèle à la réalité. Car Makerfight, c’est bien plus que cela.
Il y a d’abord le lieu. Pour toute adresse, le site internet indique : DMC/MOTOCO @Mulhouse. Derrière ce nom de code intriguant se cache le bâtiment 75 d’une friche industrielle, ancien site de l’entreprise textile alsacienne Dollfus-Mieg et Cie (DMC).
Dès l’arrivée sur le site, on est happé dans un autre univers. Comme pour beaucoup de friches, ce qui frappe au premier regard, c’est l’immensité de ces bâtiments de brique, plantés en pleine ville. Nos vies urbaines nous ont habitués aux espaces étroits, aux passages étriqués, aux rues surchargées. Ici, de larges allées séparent de grands cubes de briques à quatre étages, surmontés des traditionnelles cheminées. Les vitres laissent deviner d’immenses halls vides, à l’exception de meubles qui semblent égarés. Le rouge des briques se marie au vert des arbres et de la végétation. Les cheminements sont bordés d’arbres magnifiques, de buissons, de bosquets. A certains endroits, la nature a repris ses droits, ailleurs, on lui a laissé prendre toute sa mesure pour habiller le lieu et lui donner son cachet.
Devant le bâtiment 75, baptisé MoToCo pour More To Come, deux grands arbres abritent un petit salon de jardin, parfait pour prendre l’air entre deux matchs. Le site constitue la première « brique » d’un large projet de réaménagement porté par la ville de Mulhouse et la communauté d’agglomération. C’est au rez-de-chaussée qu’a lieu Makerfight 2018, dans une halle immense.
Combat de boxe clandestin ou/et fête de village
Pour restituer l’ambiance, partez d’un concept se rapprochant des spectaculaires Robot Wars, qui voient s’affronter des robots de combat enfermés dans une arène protégeant les spectateurs des étincelles, débris de bois et de métal, et autres projectiles, et voyez plus vaste. Car la forme que prend aujourd’hui ce rendez-vous des makers est bien plus riche. Le temps d’une journée, on peut voir se côtoyer des associations de médiation scientifique comme Les Petits Débrouillards, l’École nationale supérieure de chimie de Mulhouse (Enscmu), ou encore l’association des constructeurs francophones de R2-D2 ! Si l’on y ajoute les équipes venues pour le tournoi, quelques entreprises bien connues des makers, et les représentants de pas moins de sept fablabs (à la Machinerie d’Amiens, on était venus en force à quatre), on obtient un joyeux mélange de technique, de découverte et de plaisir d’être ensemble.
En attendant un retour plus complet, voici quelques une des photos prises par @unquentin pour @makerfight68 by @technistub pic.twitter.com/2f51tiZA4J
— stephane laborde (@steph_laborde) April 22, 2018
Il faut avoir été présent vers midi ce samedi ensoleillé d’avril, et avoir senti ce délicieux mélange de saucisse grillée et de plastique fondu pour saisir l’essence de ce type d’événement qui réconcilie technologie et culture populaire. La meilleure formule pour résumer ça est empruntée à un participant : « A Makerfight, on est à mi-chemin entre un combat de boxe clandestin et une fête de village. »
Les cris et les rires des enfants, makers en herbe, occupés à personnaliser de petits véhicules et à les faire dévaler la piste de course en bois, se mêlent à ceux des commentateurs et des spectateurs des matchs dont les yeux brillent quand surgissent des gerbes d’étincelles. Tous les âges se retrouvent dans un grand bain de bonne humeur.
Désacraliser la technologie
Derrière l’aspect ludique et léger de l’événement se joue ici bien plus qu’une bataille de robots télécommandés. L’impact social et culturel de cet après-midi festif de Makerfight est de fait un grand moment de désacralisation de la technologie.
Ces dernières années, et particulièrement ces derniers mois, on a vu la thématique de la technologie envahir le débat public, à base de révolution ou transition numérique, d’ère des algorithmes, de big data, et de plus en plus d’intelligence artificielle. Certains discours alarmistes ou menaçants promettent que l’IA va faire disparaître les emplois de millions d’humains. On va jusqu’à parler de « guerre des intelligences », en opposant l’humain et la machine. Derrière ces discours se dessine l’ombre menaçante d’une technologie magique, omnipotente, incontrôlable. Or, comme le rappellent Dominique Cardon (A quoi rêvent les algorithmes ?), Laurence Devillers (Des robots et des hommes) ou encore Serge Tisseron dans son émission Matières à penser sur France Culture, ce sont toujours les humains qui orientent, contrôlent, programment une technologie. Et même si leurs concepteurs tentent de nous le faire oublier, ce sont bien des entreprises qui décident pour nos machines.
Le mouvement maker a un rôle fondamental à jouer pour contrer ce mouvement de sacralisation des technologies. Apprendre à tous comment fonctionne un robot, de quoi est composé un drone, comment démonter et réparer les machines qui accompagnent notre quotidien, voilà l’une des missions d’utilité publique que remplissent les fablabs. Et quoi de mieux pour faire descendre un robot de son piédestal que de lui laisser tomber une masse sur les engrenages ?
Retrouvez les précédentes chroniques de Yann Paulmier (la Machinerie, Amiens) pour Makery