Makery

Quels sont les mondes virtuels les plus makers?

Un décor du film «Ready Player One» recréé dans le monde virtuel «Sansar». © CC BY-NC-SA 2.0 Inara Pey

Éclipsés par les casques de réalité virtuelle et le jeu vidéo, les mondes virtuels persistent en proposant des expériences DiY, collaboratives ou sociales. Passage en revue des plus makers-compatibles.

La sortie sur les écrans de Ready Player One le 28 mars prochain consacre la résurrection de la réalité virtuelle (VR), entamée en 2012 avec le casque Oculus Rift. Le film réalisé par Steven Spielberg d’après le roman d’anticipation éponyme d’Ernest Cline, paru en 2011, ne traite pas d’un casque mais d’un monde virtuel. Si les lunettes ressemblent à la technologie actuelle, elles s’effacent au profit d’Oasis, une simulation totale dont les visiteurs se réclament citoyens.

La dernière fois qu’on a entendu pareil vocable dans ce contexte, c’était pour parler des « résidents » de Second Life, un monde virtuel né en 2003, dont les contenus sont conçus par ses utilisateurs. Le documentaliste allemand Bernhard Drax a réalisé une série de portraits de « slifers », intitulée World Makers. S’il ne fait pas directement référence à la culture maker, ces bidouilleurs 3D poussent à faire un parallèle avec le mouvement maker.

«World Makers», épisode 45, Bernhard Drax (2017, en anglais):

Second Life comme Minecraft sont des sandboxes (bacs à sable) qui désignent ces jeux vidéo sans trame narrative qui offrent des outils créatifs. Leur attractivité repose sur l’inventivité de leurs utilisateurs, dont c’est parfois le premier contact avec la modélisation 3D ou la programmation. L’attachement à l’environnement, la variété des contenus DiY et des usages qui en découlent les font sortir du registre du jeu vidéo pour entrer dans celui des mondes virtuels. Ils gardent cependant l’empreinte vidéoludique en restant des logiciels propriétaires, même si aujourd’hui, au même titre qu’il existe des clones open source de Minecraft, le client (navigateur) de Second Life, sous licence libre depuis 2007, a permis l’émergence des open simulators, des mondes virtuels open source.

Si les mondes virtuels ont peu été associés à la nouvelle vague de la réalité virtuelle, c’est notamment parce que les fabricants de casques VR se sont appuyés sur l’industrie du jeu vidéo pour accélérer l’adoption de leur technologie. Mais le regain d’intérêt pour la VR sociale et le succès du modèle de développement de l’ARKit pourraient changer la donne. De nouveaux mondes virtuels et plateformes créatives, compatibles avec les casques, ont vu le jour. Passage en revue des anciens et des modernes de la réalité virtuelle par le faire.

High Fidelity: le plus expérimental

Open source, Javascript, blockchain: «High Fidelity» est maker-compatible. © High Fidelity

High Fidelity a été créé en 2013 par Philip Rosedale, qui n’est autre que le fondateur de Linden Lab, architecte de Second Life dix ans plus tôt, dont il a quitté la direction en 2008. Capitalisant sur l’engouement pour la VR immersive à partir de 2012, Philip Rosedale propose avec High Fidelity une vision plus ouverte du monde virtuel, sous architecture open source (Apache 2.0), compatible avec les outils de modélisation 3D et les dispositifs d’immersion. Philip Rosedale va axer ses premières démos (encensées) sur la détection de mouvements et la reconnaissance faciale.

Usage des capteurs de mouvements dans «High Fidelity» (2017):

En 2016, High Fidelity cumule près de 18 millions d’euros de financement. La plateforme fait reposer la charge serveur sur ceux qui veulent y arrimer des expériences avec un modèle économique. Cette charge est rémunérée au travers d’une cryptomonnaie non spéculative. La blockchain est aussi utilisée pour sécuriser l’identité des avatars et leurs créations qu’ils peuvent proposer sur un marché. High Fidelity embarque un outil de création 3D basé sur le voxel – qui est à la 3D ce que le pixel est à la 2D – et intègre le son spatialisé. Enfin, High Fidelity permet de coder en Javascript dans l’environnement 3D à l’aide d’une console flottante qui répercute le résultat en temps réel. De belles heures de bidouillage en perspective, en compagnie des développeurs d’High Fidelity, souvent présents en ligne.

Second Life: le plus communautaire

Deux millions d’objets virtuels ont été créés par les utilisateurs pour se bâtir une identité. © CC BY-NC-SA 2.0 Eve Kazan

En 2003 à San Francisco, Linden Lab ouvre la beta de Second Life. La plateforme propose d’emblée un outil de modélisation et son propre langage de programmation. Les objets peuvent être copiés ou modifiés par d’autres. On se téléporte les uns chez les autres, sur un territoire d’un seul tenant et persistant, une révolution à l’époque. Après quelques années à poser les bases d’une société de partage, la monnaie locale devient convertible. Les ambitions s’aiguisent et la spéculation sur les terrains virtuels fait rage. Les utopies ne fuient pas pour autant, à l’image de Burn2, le pendant virtuel du festival Burning Man.

Dans «Second Life», on peut jouer à la dînette avec une imprimante 3D (qui fonctionne). © DR

En 2006, Second Life est sous le feu des médias et, malgré son odeur de souffre (communautés SM, etc.), les entreprises s’y installent. Linden Lab compte sur la communauté pour jouer les petites mains. Mais une technologie inadaptée comme la montée en puissance des réseaux sociaux mettront fin à l’offre pro de Linden Lab en 2010. Le studio va devoir reconquérir les utilisateurs envoyés au casse-pipe : serveurs plus stables, ouverture aux outils 3D externes, gestion des ombres, etc. Second Life n’est pas fini pour autant : selon Wagner James Au, blogueur historique de Second Life, Linden Lab aurait engrangé en 2017 entre 48 et 57 millions d’euros, soit au moins autant que ses utilisateurs (48 millions d’euros). La communauté a développé des navigateurs concurrents qui permettent de se connecter aux opensims, des mondes virtuels open source dont le représentant français le plus connu est la Francogrid.

Minecraft: de l’enfance à l’intelligence artificielle

«Minecraft» et fabrication additive, c’est possible. © Mineways

On ne présente plus Minecraft, le monde cubiste aux 57 millions d’utilisateurs imaginé en 2011 par le game designer suédois Markus Persson aka Notch, pas plus que ses vertus éducatives. Il possède un mode VR compatible avec presque tous les casques VR. Le logiciel open source Mineways permet même de convertir les créations en fichiers d’impression 3D et certains fablabs s’en servent pour bâtir leur communauté. Minecraft, racheté par Microsoft en 2015, n’a pas fini de grandir : la firme de Richmond l’utilise dans la recherche sur l’intelligence artificielle au travers du projet open source Malmo.

VRChat: au bonheur des trolls

En s’arrimant à VRChat, les créateurs d’environnement sous Unity bénéficient d’un public frénétique. © UploadVR

Fondé en 2014, VRChat se veut un hub d’expériences 3D statiques ou interactives créées sous Unity (moteur 3D). VRChat met en avant sa compatibilité avec les casques Oculus Rift et HTC Vive, et privilégie la voix pour communiquer. En 2017, VRChat reçoit un financement de 3,2 millions d’euros, notamment de la part d’HTC, et devient disponible sur Steam, la plateforme numéro un de distribution de jeux vidéo. Les gamers vont trouver dans VRChat le défouloir social qui manquait à la réalité virtuelle des casques. La plateforme fait les belles heures de Twitch.tv qui permet de diffuser des parties de jeux vidéo en live.

Mais c’est récemment, à l’occasion d’une histoire de vrai malaise d’un avatar, que la plateforme fait parler d’elle. En janvier 2018, au cours d’une session de VRChat, un avatar s’écroule – son utilisateur, équipé d’un système de capture de mouvements, est victime d’un malaise. Les autres avatars l’entourent et lui prodiguent des conseils. En quelques semaines, VRChat va engranger près de 3 millions nouveaux utilisateurs. Parmi eux, certains s’initient à Unity pour ajouter une expérience aux mille actuellement disponibles.

Sansar: trop beau pour être DiY?

«Sansar» peut accueillir jusqu’à 35 avatars sur une même zone. © CC BY-NC-SA 2.0 Ciaran Laval

Sansar est la nouvelle proposition de Linden Lab, la société éditrice de Second Life. Ouverte en juillet 2017, la plateforme a été pensée pour concurrencer les moteurs Unity ou Unreal en simplifiant la création d’expériences de réalité virtuelle grâce à son outil de modélisation (mais reste ouvert à l’importation). Sansar est évidemment comparé à Second Life, sa rentabilité ayant servi à le financer. Mais ici, pas de constructions amateurs. Sansar est beau sur toute la ligne, des créatifs expérimentés de Second Life ont été débauchés pour créer les premiers contenus. C’est beau… mais on s’y ennuie un peu. Sansar a toutefois décroché un contrat avec la Warner pour récréer le garage d’Aech du film Ready Player One. A suivre ? Si Sansar ne trouve pas son public, Linden Lab sera face à un dilemme : miser à nouveau sur Second Life ou fermer sa poule aux œufs d’or pour espérer un exode vers Sansar.

Decentraland: la blockchain en bandoulière

Développée par deux Argentins installés à San Francisco, Decentraland est une architecture destinée à héberger des expériences VR en s’appuyant sur la blockchain de la cryptomonnaie Ethereum. Le but est notamment que les utilisateurs puissent tirer profit de leurs créations sans que le fournisseur de la technologie ne se sucre au passage.

«Decentraland», bande-annonce (2017, en anglais):

Les développeurs ont toutefois imaginé le moyen de financer leur projet. Le 17 septembre 2017, ils ont organisé « la plus grande vente aux enchères de terrains virtuels jamais réalisée ». Quelque 3.000 acquéreurs ont acheté plus de 70.000 parcelles, appelées « Land », dont ils pourront revendiquer la propriété depuis un cadastre virtuel inscrit sur la blockchain. A partir de là, ils contrôleront le contenu sur leur Land qui pourra aller de la 3D statique à des jeux ou encore des services. On ne sait pas quand les premières expériences seront ouvertes au public mais le partenariat conclu par Decentraland avec Otoy, un acteur important de la réalité virtuelle, rassure sur le potentiel technique du projet.

Elysium VR: devenir citoyens

Un monde virtuel low poly qui surprend par la variété de ses options. © Elysium VR

Encore à l’état de projet, Elysium est un monde virtuel très avancé dans sa conception qui propose à ses utilisateurs d’inventer leurs propres scénarios. Il est d’ores et déjà possible d’en devenir citoyen contre une donation (à partir de 12€). L’aspect communautaire ne s’arrête pas là : tout contenu proposé fera l’objet d’un vote avant d’apparaître dans Elysium. Lui aussi basé sur une cryptomonnaie (toujours la blockchain), il permet via une application smartphone d’y être connecté en permanence.

Occupy White Wall: le galeriste virtuel

Occupy White Wall (OWW) propose à ses utilisateurs de créer des galeries d’art 3D et d’en offrir la visite à un avatar. Le projet des Anglais de Stiki Pixels se présente ainsi : « Dire que c’est un jeu de construction sur PC, un MMO piloté par l’IA où les gens jouent avec l’Art, développé par des gens qui aiment vraiment l’architecture et les personnages abstraits… serait un peu exagéré. » C’est pourtant ce qui fait l’intérêt de cette plateforme en alpha qui dispose d’un catalogue d’œuvres dans lesquelles piocher pour construire une expérience d’exposition partagée. Les avatars sont à l’image du concept, basés sur les mannequins de bois des modèles anatomiques pour le dessin.

La visite d’une galerie dans «Occupy White Wall»:

Styly: la VR japonaise DiY pour la mode

Styly, un portail d’expériences VR à créer gratuitement depuis le Web. © Styly

Styly est, comme Sumerian d’Amazon, une plateforme qui permet de créer des expériences VR sans une ligne de code, directement depuis le Web, et les héberge gratuitement sur un serveur. Développé depuis 2016 par Psychic VR Lab, un studio japonais spécialisé dans la création d’applications AR/VR dans la mode, Styly propose des éléments de base plutôt fun, voire carrément kitsch. La différence avec Sumerian, c’est que Styly est très ouvert : on peut y intégrer des éléments des réseaux sociaux mais aussi de Sketchfab, 3D Warehouse, Unity, YouTube, SoundCloud, Maya, Blender, SketchUp et même Google Tilt Brush et Google Blocks.

TheWaveVR: le plus musique live

TheWaveVR est une plateforme pour des expériences musicales immersives et interactives au travers des casques de VR. Le studio installé à Santa Monica en Californie travaille avec des artistes pour créer des concerts live en VR. En août 2017, alors que Trump a déclenché la crise des visas, le musicien d’origine iranienne Ash Koosha se produit devant un public américain grâce à TheWaveVR. La plateforme restreinte au marché américain (droits musicaux en discussion oblige) propose aussi de créer et d’animer ses propres évènements musicaux au travers de l’application disponible sur Steam.

Ash Koosha en concert dans «TheWaveVR» (août 2017):

TheWaveVR, financé à hauteur de 3,2 millions d’euros, vient tout juste de se distinguer à double reprise pendant le festival américain des médias interactifs SXSW : le 15 mars, il a proposé une expérience musicale live en VR autour du film Ready Player One, et assuré le 17 le concert de clôture de la partie jeu vidéo de SXSW.

Sumerian: la VR pour tous d’Amazon

Amazon simplifie la création d’expériences VR/AR sur le web. © Amazon

Sumerian est une plateforme de création d’expériences multi-plateformes pour des casques comme l’Oculus Rift et HTV Vive lancée par Amazon en novembre 2017. Pour l’instant uniquement accessible sur inscription, Sumerian permet de créer son projet depuis un navigateur web et d’y convier des visiteurs. Selon Amazon, nul besoin de connaissances spécialisées puisqu’on choisit et agence des éléments mis à disposition : personnages, mobiliers, paysages, scripts et animations. L’environnement VR ou AR est stocké et publié dans le cloud Amazon et accessible via une URL. En concurrence directe d’Unity, la solution d’Amazon s’adresse avant tout à des expériences de formation ou de commerce. Pas très maker…

Google Maps: son API pour des terrains de jeu

Les développeurs en rêvaient mais peu de chance que les tarifs soient accessibles aux indépendants. © Google

Google vient d’annoncer l’ouverture de son API Google Maps aux développeurs de jeux vidéo en même temps qu’un kit de développement logiciel (SDK) compatible avec Unity. Car il ne s’agit pas uniquement de géolocalisation mais aussi de contenus 3D : près de 100 millions de bâtiments 3D et de routes pourront être importés dans Unity pour les revêtir de nouvelles textures. Sur son blog, Google voit déjà les studios de jeux « revisiter notre monde en fantaisie médiévale, en terre de bonbons et bubble-gums ou en ville post-apocalyptique infestée de zombies ». Sont annoncés des jeux sous licences hollywoodiennes (Ghostbusters, Walking Dead…). On imagine que les tarifs (non communiqués) ne seront pas à la portée de toutes les bourses. Pas forcément l’annonce la plus maker de l’année !