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Le festival Sonic Protest accorde les lutheries brutes au handicap

La «Cabane sonore» du luthier Glenn Marzin au festival Sonic Protest 2018. © Sonic Protest

Le festival parisien des musiques non conformes met en valeur pour sa 14ème édition les frictions créatives entre lutheries sonores, pratiques brutes de la musique et handicap. 

Musiciens, acteurs associatifs, éducateurs, soignants et personnes porteuses de handicap psychique et/ou mental en famille… il y avait foule dans les locaux exigus de la Médiathèque musicale de Paris ce mercredi 7 mars à l’occasion du vernissage de l’exposition autour des pratiques brutes de la musique, musique libre et handicap, portée par Sonic Protest dans le cadre de la 14ème édition du festival des musiques non conformes.

Dédié aux « musiques et formes créatives non normées et audacieuses », Sonic Protest s’est attelé depuis deux ans à valoriser le travail mené autour de projets musicaux réunissant des personnes psychiquement ou mentalement déficientes (de jeunes autistes par exemple), des musiciens, mais aussi des luthiers et inventeurs d’instruments. Une démarche propice à la découverte d’instruments improbables.

Les guitares maison des Troupes de l’Imaginaire. © Laurent Catala

Pour ces deuxièmes rencontres internationales autour des pratiques brutes de la musique, on a ainsi pu voir les guitares réalisées à partir de planches récupérées, de micros, de mécaniques de vieilles grattes et autres cordes achetées en pièces détachées des Troupes de l’Imaginaire, un duo rémois affilié à l’association d’usagers en psychiatrie HumaPsy, qui veut donner la parole aux soi-disant fous en soutenant leur expression.

«Cabane sonore», sculpture-instrument du luthier Glenn Marzin. © Sonic Protest

On a pu aussi se laisser aller à l’observation et à l’écoute de l’étrange Cabane sonore du luthier Glenn Marzin, elle aussi constituée de matériaux de récupération, équipée de longs manches se déployant de part et d’autre de sa structure cubique. Des cordes métalliques qui transforment l’instrument en une sorte de contrebasse démesurée dont la peau en bois serait recouverte d’objets sonores (ressorts, pianos à doigts, cymbales, métallophones, cithares, instruments à vent) offrant différentes modalités d’utilisation et de mise en vibration.

Extraits des perfs de Fabrice Foster, Glenn Marzin et les Troupes de l’Imaginaire au vernissage de l’exposition, Sonic Protest 2018:

« Avec Sonic Protest, nous voulons mettre en avant cet aspect lutherie DiY et le fait que ces instruments sont directement liés à une pratique brute de la musique avec et pour des personnes porteuses de handicap mental et/ou psychique », explique Frank de Quengo, l’une des figures historiques du festival. « Les membres des Troupes de l’Imaginaire sont eux-mêmes usagers de la psychiatrie. Glenn Marzin travaille régulièrement avec des jeunes en Institut médico-éducatif (IME). Ces instruments permettent rapidement à tout un chacun de s’aventurer dans le sonore. »

Les Harry’s en figure de proue

Si la conception de ces instruments provient d’un véritable travail de lutherie, elle procède aussi de la mise en place d’ateliers de création ouverts à tous les publics et derrière lesquels se retrouvent certains noms récurrents, comme celui de Julien Bancilhon, psychologue et musicien-luthier au sein des Harry’s, un collectif de six jeunes adultes avec autisme pratiquant l’improvisation bruitiste, dont le festival Sonic Protest a largement contribué à porter le projet artistique.

« Julien développe cette pratique d’ateliers depuis plusieurs années maintenant, poursuit Frank de Quengo. Au départ, il faisait des instruments pour lui, mais avec la création des Harry’s en 2013, il a développé ce principe de transmission vers d’autres (musiciens, jeunes en institutions, usagers de la psychiatrie, étudiants de l’Institut régional du travail social, éducateurs spécialisés, etc.). C’est une activité autonome, mais aussi directement liée au double projet Harry’s Radio Tisto, comme ce fut le cas lors des rencontres Encore Heureux de 2016, où Julien et les Harry’s ont initié plusieurs volontaires, parmi lesquels Mathieu et Fred des Troupes de l’Imaginaire. »

Pas étonnant que cette façon de relier pratiques sociales, musicalité et bricolage lo-fi à base de visseuses, perceuses, scies à bois et clous, soit devenue une marotte de l’équipe très touche-à-tout de Sonic Protest. « C’est une approche de travail qui nous intéresse particulièrement », confirme Frank de Quengo. « Nous avons organisé des ateliers circuit-bending avec le musicien Andy Bolus et les élèves du lycée autogéré de Paris, un atelier boîte à sons d’Anton Mobin avec des collègiens… Le tout participe du même désir de créer du lien avec des personnes souvent exclues des propositions artistiques expérimentales et de rendre ces pratiques accessibles à tout le monde. »

Sonic Protest 2018, exposition des deuxièmes rencontres internationales autour des pratiques brutes de la musique, Médiathèque musicale de Paris (Forum des Halles), jusqu’au 17 mars de 12h à 19h, entrée libre