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L’image qui a fait 800.000 kilomètres dans l’espace

L'image et son rebond revenu de la Lune lors de la performance «Visual Moonbounce». © Daniela de Paulis / Benjamin Pothier / HERVE

Mars, la Terre et la Lune réunies par la magie d’une image… L’artiste-chercheur Benjamin Pothier vient de participer à une performance d’art spatial depuis le radiotélescope de Dwingeloo, aux Pays-Bas. Récit.

Ce n’est pas tous les jours qu’on se prépare pour un voyage aller-retour vers la Lune, même virtuellement. Voilà à quoi je songeais dans le Thalys m’emmenant de très bon matin vers La Haye. Le 20 janvier 2018, j’ai en effet participé à une performance d’art spatial intitulée Visual Moonbounce, en collaboration avec l’artiste Daniela de Paulis et une équipe d’opérateurs radio du radiotélescope de Dwingeloo, au nord des Pays-Bas.

Le radiotélescope de Dwingeloo, aux Pays-Bas. © Benjamin Pothier

Mais qu’est-ce donc que ce Visual Moonbounce ? Un incroyable projet mis en place par l’Italienne Daniela de Paulis, artiste en résidence depuis 2009 dans ce radiotélescope à parabole unique qui accueille l’Institut néerlandais de radioastronomie (Astron). Le radiotélescope avait été mis au rebut en 1998, mais la fondation Camras (C.A. Muller Radio Astronomy Station, du nom de l’observateur radio ayant œuvré au radiotélescope de Dwingeloo) l’a remis en service pour des projets éducatifs, artistiques et radio-amateurs.

Daniela de Paulis a imaginé cette application artistique d’un ancien programme secret américain. « Communication Moon Relay » était un programme militaire de la marine américaine utilisant la technologie moon bounce également appelée radiocommunication Terre Lune Terre (EME, Earth-Moon-Earth). Il s’agit d’une technique mise au point un peu après la Deuxième Guerre mondiale qui permet d’envoyer des signaux radio sur la Lune et de les recevoir par rebond (bounce) à un autre endroit sur Terre. Ce projet faisait partie de nombreux projets de radio-espionnage développés après-guerre pour suivre les émissions radio venant des pays de l’Est et de l’URSS.

Daniela de Paulis et son équipe ont mis au point une méthode pour envoyer des photos par le même procédé depuis le radiotélescope, dans un but purement artistique et poétique. Daniela m’a invité à me joindre au projet du fait de mes précédentes expéditions en compagnie de candidats astronautes dans des environnements extrêmes (Arctique, Himalaya, désert d’Atacama, etc.) et d’articles universitaires que j’ai publiés sur l’exploration spatiale et la performance humaine en milieux extrêmes.

Un radiotélescope dans l’histoire

Le radiotélescope de Dwingeloo fait partie autant de l’histoire de l’astronomie que de l’histoire de l’expression artistique, puisque qu’il était le plus grand radiotélescope au monde jusqu’en 1956, et que du côté de la science-fiction certains fans de Star Trek savent peut-être qu’il a été utilisé en 2010 pour envoyer vers le système solaire d’Arcturus une invitation au premier opéra klingon organisé sur Terre à La Haye !

Notre performance s’est déroulée en présence d’un groupe de radio-amateurs et de chercheurs du SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence, « recherche d’une intelligence extraterrestre ») fortement intéressés par la perspective de découvrir une application artistique d’une technologie encore très confidentielle il y a une soixantaine d’années…

Pour ce projet, j’ai sélectionné une photo réalisée dans le désert d’Atacama lors de ma participation à un entraînement de candidats astronautes dans ce désert du Chili, un des lieux les plus similaires à Mars sur Terre, où a été testé le rover de la sonde Mars Curiosity. Cette image d’une simulation de Mars a donc réellement voyagé dans l’espace le 20 janvier ! Partie d’un radiotélescope en Italie, ma photo a parcouru 400.000km dans l’espace avant de rebondir sur la Lune et de revenir au radiotélescope de Dwingeloo où elle est apparue petit à petit, comme un fax, sur l’écran de contrôle de Jan, l’opérateur radio. L’équipe utilise en effet la technologie SSTV (Slow Scan Television), une technique de transmission d’images par ondes radio assez similaire à celle utilisée notamment par les astronautes du programme Apollo 11 pour envoyer vers la Terre les images de la Lune.

Glitchs et imperfections radio de l’image d’Atacama. © Benjamin Pothier

Difficile d’expliquer la sensation procurée par l’apparition d’une de vos photos revenant de l’espace et d’un voyage de 800.000km ! Les imperfections et les glitchs sur l’image revenue de la Lune rajoutent de la poésie et un parfum de nostalgie à la course à l’espace des années 1960. Un grand merci à Daniela de Paulis, Jan et Harry et les équipes de l’Astron et du Camras pour ce moment inoubliable.

Merci Daniela, ce petit voyage dans l’espace était fabuleux. © Benjamin Pothier

Je prépare de nouvelles expéditions et des projets en lien avec l’art spatial pour 2019. Mais je retrouverai Daniela de Paulis dès mai 2018 pour un projet encore plus surprenant : Cogito consistera en effet en l’envoi d’ondes cérébrales dans l’espace… Ad Astra !

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