Makery

Mi-squat, mi-lab, DOC est une parenthèse pirate dans la ville

Université libre cet été à DOC, un espace culturel libre à Paris 19ème. © DOC

Des AG sportives, une gouvernance horizontale… DOC, qui regroupe depuis 2015 une centaine de membres, artistes, artisans, alternatifs, réinvente le squat dans un ancien lycée parisien.

A deux pas du métro Télégraphe, au 26, rue du Docteur Potain, à Paris 19ème, une centaine d’artistes, artisans et acteurs du milieu alternatif occupent depuis 2015 DOC, un ancien lycée professionnel. Avec ses longs couloirs, ses salles de classe ateliers, son gymnase white cube et sa cour de récré, on entendrait presque la cloche sonner tant le lieu a gardé son âme, jusque dans l’appartement privé du directeur devenu bibliothèque commune. Dans ce petit bout de ville au fonctionnement organique se mettent en place des formes de gestion et de gouvernance inédites. A l’instar des AG mensuelles, enlevées et sportives. C’est à l’une d’entre elles que j’ai dû présenter mon projet d’article à l’assistance. Vous l’aurez compris, j’ai eu feu vert…

La photo de classe des résidents à DOC. © Hugues Lawson-Body/DOC

Bénévolat et débrouille

19h, le premier mardi du mois. Quarante personnes (un vote en ligne est prévu pour les absents) sont réunies dans une salle aux murs noirs sur des strapontins de ciné. Les plus prévoyants ont amené de quoi s’alimenter et s’abreuver. Une personne sur deux craque une clope et le plafond commence à descendre dans les volutes de fumée. Entame tranquille avec la présentation des nouveaux membres. Une résidente évoque son projet de bibliothèque commune, une autre peste contre les chats. Une bonne vieille colocation ? Un « maître du temps » veille à l’ordre du jour.

On passe au bilan du mois précédent. Théo Carrère, trésorier, présente les comptes de l’asso. Chaque pôle revient sur les événements passés et évoque les projets. Certains demandent une enveloppe pour compléter leur budget, détaillent le format, précisent les postes de dépense, l’origine des recettes et soumettent la décision au vote. Le consensus se fait vite lorsqu’il s’agit de faire vivre DOC, d’autant que les économies sont légères et largement basées sur le bénévolat et la débrouille. Ce soir, un projet est pourtant refusé pour son budget mal détaillé.

«On s’écoute!»

Motifs de râlage et points de désaccords émergent. De petites contrariétés (l’état de la cuisine, de ponctuels débordements nocturnes) et de grands débats (le positionnement face à un possible conventionnement, la mise aux normes et ses coûts, le rapport aux partenaires)… La sempiternelle ligne de désaccord, c’est l’investissement sur courant alternatif des membres, et les déséquilibres entre membres plus ou moins actifs. Tout le monde est censé dédier deux jours par mois à l’association, notamment au travers des journées « Pimp My Doc » durant lesquelles tous les résidents mettent la main à la pâte pour un lifting du lieu (rangement, coup de peinture et ménage intensif). Une « fiche d’investissement » est d’ailleurs signée par chaque résident. Mais d’AG en AG, on revoit souvent les mêmes têtes.

Il est 22h. Le ton monte, la fatigue se fait sentir, on se comprend moins, on parle de la même chose en pensant être en désaccord, on se coupe la parole, l’AG devient un gros brouhaha que viennent percer les « On s’écoute ! » de Thibault Jacquin, responsable du pôle cinéma. On discute et on construit des compromis, en revenant aux bases, à ce qu’est DOC. On projette une réunion pour régler un problème en suspens. La régie évoque les travaux à venir. On ne comprend pas tout, mais on a le droit de vote. Certains demandent des éclaircissements, d’autres s’en remettent aux experts.

Naissance d’un collectif

Au commencement de DOC, en mars 2015, il y a César Chevalier, passé par les beaux-arts de Paris, et Renaud Devillers, du milieu squat parisien. Dans l’ancien lycée, ils sont bientôt rejoints par une douzaine de proches. Grâce au bouche-à-oreille, dès juillet, le collectif atteint la centaine : plasticiens, vidéastes, artisans, comédiens, musiciens… « A la base, DOC répondait à un besoin d’artistes d’avoir des espaces de travail », explique Justin Meekel, ancien trésorier et membre fondateur, mais l’« ADN de DOC », c’est la cohabitation dès le départ des artistes et d’une scène alternative.

L’entrée de DOC, rue du Docteur Potain. © DOC
L’atelier métal, ouvert aux résidents et au public moyennant abonnement. © DOC
L’ancien appartement du directeur a été transformé en bibliothèque commune. © DOC

Trois semaines après l’ouverture, la région, propriétaire du bâtiment, saisit la justice. Il faut pour le collectif sensibiliser à la démarche, montrer patte blanche, interpeller la presse et les pouvoirs publics et, à vitesse grand V, se structurer. L’association DOC est créée en juillet « parce qu’on a eu envie de placer le lieu sous couvert d’une structure qui ne recherchait pas profit et qui avait un but avant tout culturel », complète Justin.

Etre ou ne pas être hors la loi

Deux postures partagent l’association : évoluer vers un conventionnement pour continuer à exister ou revendiquer le format squat et rester dans l’illégalité. A ce jour, les débats en interne continuent de diviser les résidents et même si le lieu est reconnu et soutenu en off par nombre de collectivités et d’institutions culturelles, le collectif est toujours expulsable en 48h.

Côté fonctionnement, chaque résident est automatiquement adhérent et s’engage, en contrepartie de cotisations dérisoires (5€ du m2), à s’investir bénévolement dans le projet commun. Aucune exception à la règle. Chacun est libre de choisir l’un des pôles qui correspond à la généreuse programmation du lieu (expos, théâtre, concerts, jardin, cinéma, université libre, résidences…) ou de rejoindre l’un des ateliers ouverts au public (bois, métal, post-prod, sérigraphie, photo). Constitués autour d’un noyau dur de quatre à six personnes, les pôles et ateliers sont entièrement indépendants dans leur gestion et leur programmation. Seule règle à respecter : une charte des événements qui précise les obligations, horaires, ménage… 

Spectacle dans la cour. © DOC

C’est ainsi que DOC propose l’une des programmations les plus grisantes de Paris avec des concerts pointus (Bader Motor récemment), un club de lecture anarchiste, un ciné-club, un festival de moyens-métrages (le Flimm fin septembre), un autre dédié au spectacle vivant en octobre et des expositions de haut vol chaque mois. Le tout en misant sur le prix libre.

L’édition 2016 du festival de spectacle vivant de DOC Bruits de galop. © DOC

Aucun événement ne déroge à ce principe. « Le prix libre est dans la droite ligne de l’utopie de DOC. C’est aussi une forme d’engagement : on ne paye pas de loyer, on ne fait donc pas payer nos événements », assume Jean-Philip Lucas, administrateur et âme de DOC.

Inventer ensemble une gouvernance

Ces principes et ce fonctionnement bien huilé font de DOC un lieu singulier, un laboratoire. Le collectif teste et expérimente continuellement ses modes d’agir : « On avance chaque jour et l’on fait évoluer le modèle », dit Jean-Philip. Une façon de fonctionner à « l’échelle du bâtiment », selon Justin, pour ne pas répliquer des modèles tout faits, ou, ajoute Rafaëla Lopez, présidente de l’association, de s’affranchir des schémas connus pour inventer ensemble une gouvernance.

« On a surtout pris le temps de définir les choses qu’on avait envie de voir ici », rappelle Justin. Même son de cloche chez Jean-Philip : « On se construit par rapport à nous-mêmes, on est notre propre référentiel. » D’ailleurs, dit-il amusé, ce n’est pas un hasard si la question de la conformité à l’esprit de DOC est souvent soulevée en AG : « C’est drôle, il y a cent visions différentes du DOC mais malgré tout, il y a un socle commun, une idée collective de ce qu’est DOC. »

Rafaëla Lopez, Théo Carrère et Justin Meekel dans l’atelier de ce dernier. © Arnaud Idelon

DOC est un laboratoire de formes nouvelles de gouvernance, au carrefour d’une réflexion sur les communs (ateliers mutualisés, travail collectif), de la communauté et de l’anarchisme. C’est d’ailleurs de l’anarchisme que se réclame Théo, trésorier, tout en précisant : « Mais ça ne veut pas dire “pas de gouvernance”. DOC s’est monté de manière autonome et anarchiste dans le sens ou il n’y avait pas d’autorité, dans l’idée de mettre en commun nos moyens et nos savoirs. ». Justin complète : « Chacun est libre de prendre des responsabilités à partir du moment où il les assume. » Et Rafaëla synthétise : « DOC est une forme collégiale, une base de volontés. »

Une place pour chacun

L’énergie du milieu des squats parisiens les ont menés, disent-ils, à trouver les solutions en termes de gouvernance, afin de laisser la place à chacun pour s’investir, et ajuster le dosage entre grandes gueules, charismatiques et besogneux. L’asso est assez classiquement structurée sur une trilogie AG-CA-bureau. L’une des spécificités de DOC, c’est que tout, des croquettes du chat au respect des normes de sécurité, doit être voté par l’AG mensuelle, assurant ainsi l’horizontalité totale des prises de décision. On ne s’étonne pas que chacune d’entre elles soit un moment d’anthologie et un temps fort dans la jeune histoire du lieu.

23h. Fin de l’AG, la fatigue se lit sur les visages. Poursuite de la soirée au bar. Quant à moi, je sors enfumé mais certain d’avoir assisté à une parenthèse pirate dans la ville, à un moment d’expérimentation de nouveaux communs. « C’est ça l’esprit libertaire de DOC, conclut Jean-Philip. Ne dépendre de personne, montrer que l’on peut faire les choses autrement et déployer un projet culturel et sociétal par nous-mêmes. »

En savoir plus sur DOC: devenir résident, participer aux ateliers ouverts (bois, métal, post-prod, sérigraphie, photo) pour 12€ la journée ou 60€ la semaine, suivre la programmation