Makery

Sexy Cyborg versus Make: «Je n’entre pas dans leur vision du monde»

Naomi Wu, alias Sexy Cyborg, makeuse jusqu'au bout des cils. © Naomi Wu

Du sexisme dans le mouvement DiY? La makeuse chinoise Naomi Wu, alias Sexy Cyborg, se défend dans Makery face au fondateur de Make, qui a «ruiné sa réputation» en l’accusant de n’être qu’un personnage.

« Je me demande qui elle est vraiment. Naomi est un personnage, pas une vraie personne. Elle est plusieurs ou beaucoup de personnes », s’interrogeait publiquement Dale Dougherty, fondateur et patron de Make Media, le groupe qui publie Make Magazine et organise les Maker Faire, dans un tweet publié le 5 novembre… et effacé depuis. Naomi Wu avait rétorqué le jour-même, toujours sur Twitter, qu’elle pourrait bien obtenir le « privilège d’être la première femme à être “gamergatée” par le patron d’un groupe de médias tech » (le Gamer Gate regroupe un aréopage de joueurs misogynes antiféministes).

Le différend de Naomi Wu avec Make (ou vice versa) n’est pas une première. Déjà en 2016, la makeuse s’étonnait que les organisateurs de la Maker Faire Shenzhen, sa ville natale, aient préféré se passer de makeuse chinoise plutôt que faire appel à elle. Dans Makery, elle critiquait le discours égalitariste et inclusif tenu uniquement « pour le spectacle ».

Dale Dougherty a retiré le tweet polémique, et s’est depuis excusé. « J’ai eu tort », proclame-t-il dans une lettre ouverte à Naomi publiée sur Make Magazine le 6 novembre. Sauf que le « mal est fait », estime Naomi Wu. Interview.

Make vous a-t-il contactée depuis les accusations de Dale Dougherty?

Dale a fait des excuses vagues et sans conviction. Le mal est fait. Cela a eu un effet dévastateur sur ma réputation ici, en Chine. Les gens ne vont pas se rappeler qu’il a présenté des excuses bidon, mais seulement que le fondateur du mouvement maker a déclaré que j’étais factice. C’est partout désormais, c’est attaché à mes projets.

Vous avez déclaré avoir perdu des clients à cause de cette affaire. En quoi cela les a-t-il influencés?

Je suis dans de nombreux groupes WeChat d’impression 3D et hardware et le ton a réellement changé. J’essaie d’être prudente, je ne veux pas que les gens aient peur de travailler avec moi. Que je sois “fake” ou une équipe à moi toute seule est désormais perçu comme une réalité. Et je ne peux pas changer ça, je peux juste essayer de les convaincre de travailler avec moi malgré tout.

Pourquoi Dale Dougherty, fondateur et patron de Make Media, vous a-t-il accusée publiquement d’être factice? Comment l’expliquez-vous?

Cela fait un an que je me bats pour une meilleure inclusion à Make et à la Maker Faire. L’an dernier, il n’y avait pas de femmes makers. Cette année, à nouveau, je n’étais pas invitée, alors que des hommes moins qualifiés l’étaient des mois avant. A la dernière minute, ils m’ont offert un créneau secondaire, après que tous les hommes ont parlé. Mais ils ont refusé de donner aux femmes une exposition et une publicité égales à celle des hommes. Make a résisté mais n’a jamais vraiment été clair. Il s’avère que le problème, c’est qu’ils pensent que je suis factice ! Une femme, et particulièrement une femme chinoise, qui fabrique ce que je fais, ça leur paraît incroyable.

Si vous cherchez une théorie du complot sur Google, il y aura toujours quelqu’un, quelque part, qui pensera comme vous. C’est ce que Dale a fait. Il a trouvé la page d’un étranger en colère contre moi parce que j’avais refusé de lui donner mon contact privé et qui a construit une page pour “prouver” que je suis factice. C’est fou. Et c’est très facile de prouver le contraire. Mais les gens qui sont arrivés sur cette page voulaient y croire. Dale a cité cette page diffamatoire comme étant vraie, et a dit aux gens de le contacter en privé pour plus de “preuves”, qu’il n’avait bien sûr pas…

Je me suis aussi adonnée à un peu de tech disruptive en hackant le réseau sans fil des organisateurs de la Maker Faire Shenzhen depuis leur toit grâce à mon drone. Je n’ai pas aimé être exclue par des gens qui ne savent pas se servir d’un tournevis ! Make ne pouvait pas contester que j’étais la plus qualifiée pour prendre la parole, alors ils ont décidé de discréditer publiquement mon travail.

En janvier déjà, vous nous disiez que Make (et Raspberry Pi) vous ignoraient. Pourquoi, selon vous? 

Je n’entre pas dans leur vision du monde. Les Chinois ne sont pas censés être créatifs, c’est supposé être un talent occidental. Une partie de ce dénigrement est qu’il doit y avoir un homme blanc derrière moi – ce qui est fou quand j’ai une ville entière d’ingénieurs chinois qui seraient ravis de faire ce que je leur demande. Que mon anglais soit “trop bon” est un autre critère insensé.

Malgré les centaines d’heures de vidéos prouvant que je fais mes propres fabrications, malgré des douzaines de professionnels du hardware qui m’ont rencontrée en personne et ont vérifié que je suis qui je dis être, je n’entre simplement pas dans leur réalité et donc ne peux pas être acceptée.

L’égalité hommes-femmes dans le mouvement maker n’a donc guère avancé depuis notre dernière interview selon vous?

Cette année, la Maker Faire était bien plus inclusive à Shenzhen. Bien sûr, les étrangers sont toujours en première ligne, mais au moins y avait-il plus de femmes. Sauf qu’ils ne voulaient pas leur donner la même exposition… comme si on les embarrassait.

Vous regrettez que personne ne parle du coup de votre dernier projet. De quoi s’agit-il?

Je trouve que ce hack par drone d’un makerspace “fake” à Shenzhen est vraiment drôle…

«Hacking par drone d’un faux makerspace à Shenzhen», Naomi Sexy Cyborg, novembre 2017 (en anglais):

Pour en savoir plus sur le contexte de la controverse et l’impact sur la réputation et le travail de Naomi Wu, Naomi recommande cet article du hacker américain Andrew «Bunnie» Huang (en anglais)