Makery

Chronique d’une makeuse en matériaux (25)

Des matières à perte de vue, il y a de quoi faire avec la filière huile de palme au Togo. © Caroline Grellier

Mise à jour de rentrée pour notre makeuse et son agence en matériaux biosourcés Termatière. Ou comment adapter sa stratégie pour concilier aspirations makers et entrepreneuriat social.

De retour en France, le calme estival m’a permis de me recentrer sur la stratégie de mon entreprise de création de matériaux biosourcés à cheval entre la France et l’Afrique de l’Ouest. Je vais pouvoir envisager la suite par rapport aux trois offres de Termatière : conseil, formation, R&D collaborative.

Côté conseil, les devis envoyés en Afrique n’ont finalement rien donné. Quant aux projets internes de R&D collaborative, ils rencontrent des points de blocage. Pourquoi ? Parce que j’ai cru m’entretenir avec de potentiels clients ou partenaires, qui en réalité se sont révélés non solvables.

L’offre, la demande et le financement

Pourtant, en cinq mois à sillonner le Togo, j’ai largement validé les besoins sur le terrain et la pertinence de ce que proposait Termatière : valoriser des déchets en matériaux locaux biosourcés. D’un côté, la gestion des déchets agricoles est une vraie problématique et ceux-ci sont souvent brûlés, faute de réflexion sur leur valorisation. De l’autre, l’offre en matériaux sains, économiques et durables est quasi inexistante, malgré la demande. Il y a également un vrai challenge quant à la formation professionnelle des jeunes en milieu rural, à la création d’emplois pour éviter la désertification de ces territoires reculés. J’ai rencontré de nombreux acteurs solides, emballés par la démarche, désireux de diversifier leurs activités, mais tenus par de fortes contraintes financières. Les sous, les sous, toujours les sous…

Construction et matériaux dans les villages africains: l’inspiration ne manque pas! © Caroline Grellier

J’ai aussi fait le constat suivant : Termatière propose bien plus qu’une solution technique sur la manière de passer d’un déchet à un matériau, elle met en œuvre toute une démarche de design social basée sur les matériaux locaux biosourcés pour valoriser les ressources (humaines et matérielles) d’un territoire et contribuer à son développement durable. Difficile d’envisager cette démarche sous forme de prestation chiffrable en jours. De plus, avec des moyens limités, réaliser un suivi de projet dans une logique d’empowerment s’annonçait délicat. Et le problème allait se répéter pour chaque projet, pour chaque bénéficiaire…

Pas question d’abandonner ! Encore une fois, le positionnement et le modèle économique de Termatière étaient donc à revoir, pour les adapter à ce marché africain, aux challenges qui me motivent à bloc !

Retour (temporaire) à la fac

J’ai donc planché sur une nouvelle stratégie : diviser Termatière en deux morceaux. Je poursuis d’un côté les deux offres de prestations de services qui tournent, le conseil et la formation, afin de contribuer à l’autofinancement du deuxième volet. Celui-ci plus proche de l’association. J’ai déjà en tête une programmation sur deux ans pour deux ou trois projets pilotes, parmi ceux que j’ai identifiés lors de ma prospection terrain. Objectif : lancer en 2018 une campagne mécénale et créer un pool de financeurs.

Un retour temporaire sur les bancs de la fac en master design innovation société me permet pendant quatre petits mois de me mettre à jour sur les méthodes du design social pour coconcevoir avec les bénéficiaires d’un projet. Une vraie source d’inspiration qui me motive à réviser la méthodologie d’action de Termatière, dans le but d’y réinjecter toutes mes aspirations de makeuse que j’avais un peu mises de côté…

Quelques outils et beaucoup d’huile de coude et de créativité pour le lab de Termatière. © Caroline Grellier

Après une première phase de diagnostic sur le terrain, avec le partenaire et les bénéficiaires (interviews, étude socio-économique des impacts de valorisation de déchets sur le territoire, enquête documentaire sur les potentiels techniques des déchets, etc.), l’idée est d’installer in situ un fablab éphémère, équipé de machines low-tech fabriquées par les labs du territoire, afin de veiller à travailler à partir de procédés de transformation économiques et locaux.

Renouer avec mon ADN de makeuse

Différents acteurs seront invités à participer à cette deuxième phase : étudiants architectes, makers, artistes, artisans, salariés des coopératives agricoles et bien sûr, les hommes, femmes et enfants de la localité. A partir de cette matériauthèque collaborative et open source, la phase trois consiste à codévelopper (avec le soutien d’un comité technique) la ou les recettes de matériaux, puis à transférer le savoir-faire via des formations.

Revenir aux sources, comme ici avec la matériauthèque d’origine de Termatière, des matériaux 100% d’origine viticole. © Caroline Grellier

Un peu théorique tout cela ? Je m’active à concrétiser ce projet avec l’aide des partenaires et bénéficiaires que j’ai rencontrés ces derniers mois pour deux projets pilotes, au sud et centre du Togo. Et j’ai quand même l’impression de toucher (enfin ?) au but avec ce nouveau fonctionnement en retrouvant davantage mon approche de makeuse en matériaux, qui fait partie de l’ADN de Termatière, en la partageant, l’essaimant, en formant et en éveillant d’autres makers en matériaux pour avoir un impact positif sur le territoire.

Retrouvez les précédentes chroniques d’une makeuse en matériaux