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Engineer Lolo: «Dans mon Micro P Lab, les machines tournent 24h/24»

Léonce dans son lab de poche, ou plutôt de chambre d'étudiant. © Léonce Atanley

Le maker togolais Léonce Atanley multiplie les projets du Micro P Lab depuis sa chambre d’étudiant au Ghana. Entretien avec un défenseur de l’impression 3D pour l’Afrique.

A toute heure, des étudiants se forment au Micro P Lab. © Léonce Atanley

Léonce, nous avions fait un portrait de toi il y a un peu plus de deux ans, après avoir discuté de tes mille et un projets et de l’amorce de la création de ton propre lab. Où en est Micro P Lab?

Micro P Lab, pour “micro-projects for people”, est toujours dans ma chambre. Il y a eu des hauts et des bas, certains projets dont je t’avais parlé n’ont pas encore abouti, comme les 1001 radios, mais on continue et on y croit — un crowdfunding est en préparation. Mon lab a gagné en équipements et en reconnaissance et depuis, je me suis passionné pour l’impression 3D. J’imprime sans arrêt car, en imprimant, ça me donne plus de créativité. J’ai aussi officiellement immatriculé le lab en tant qu’entreprise en juillet 2016 : je développe des activités de formation en impression 3D, j’imprime des pièces et je continue à fabriquer mes propres projets.

Pour faire tourner mon lab, je suis obligé de sécher quelques cours dans la semaine. Je ne dors pas beaucoup car je suis en contact avec des fournisseurs de matériels chinois et américains en non-stop via ma page Facebook et ce ne sont pas les mêmes fuseaux horaires… Pour gagner du temps et de l’argent, j’ai tout un réseau de relais sur place qui m’envoient les colis. Ça demande une grande organisation !

Au-delà des machines, tout ce que je veux dans ma chambre, c’est mon ordinateur, l’électricité, Internet et à manger. Pour être sûr d’avoir tout le temps du courant pour faire tourner mes machines, j’ai installé des panneaux solaires sur le toit de la résidence. Mes machines tournent presque 24h/24. Demandez à mes voisins, je les empêche de dormir !

Tu restes donc enfermé dans ta chambre de maker?

(rires) Non ! Je sors de mes murs souvent même ! Je sillonne l’Afrique de l’Ouest pour aller à la rencontre de makers afin de savoir réellement ce qu’ils font et voir comment travailler ensemble pour trouver des solutions à des problèmes que l’on a tous en Afrique. Alors qu’on a tout pour faire nous-mêmes, les solutions viennent trop souvent de l’extérieur.

Mon premier voyage, c’était au Niger. J’entendais parler du pays comme étant sous-développé, mais j’y ai trouvé un atout de taille : le soleil comme source d’énergie. De retour au Ghana, j’ai suivi des cours pour connaître le fonctionnement des panneaux solaires et en percer les secrets. Ça m’a donné envie d’aller observer ailleurs encore. J’ai parcouru le Ghana, le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Mali et le Burkina Faso. Et même si certains pays sont limités par l’éducation ou l’accès à l’Internet, ils réalisent des choses géniales. A la frontière Togo-Burkina, j’ai vu un vendeur de jus qui avait transformé sa petite charrette avec un frigo et un panneau solaire connectés. Je photographie chaque invention DiY en voyage. Je vais bientôt dépasser les 3.000 clichés ! Pour les financer, j’ai réparé des climatiseurs pendant un an. En ce moment, je projette un voyage en Afrique de l’Est pour partir découvrir les labs du Kenya, de l’Ouganda et si possible, faire un saut en Chine aussi.

Comment t’es-tu passionné pour l’impression 3D?

J’ai démarré mes projets avec surtout de l’électronique. J’étais toujours obligé de me tourner vers un menuisier pour réaliser des boîtiers en bois et avoir une bonne finition. Je récupérais mes composants sur de vieux appareils. On ne regardait pas le projet pour sa finition ! Sur Internet, j’avais trouvé des sociétés en Angleterre et en Chine qui proposaient de bonnes finitions de contenants en aluminium ou plastique mais qui fabriquaient des séries de 10.000 pièces. Acheter quelques éléments allait me coûter trop cher. J’ai cherché un moyen de les fabriquer moi-même et découvert l’imprimante 3D. Et ce qui m’a tout de suite plu, c’est que c’était open source. Malheureusement, ça restait trop cher pour que je puisse m’en offrir une. J’ai donc étudié son fonctionnement en téléchargeant des vidéos et en me mettant en réseau avec des makers d’autres continents. J’ai découvert la RepRap et j’ai adhéré.

Boîtier imprimé en 3D au Micro P Lab pour un colorimètre DiY. © Léonce Atanley

Je suis allé au fablab de Takoradi au Ghana pour utiliser leur découpe laser. Chaque matin, je regardais des vidéos pour apprendre à monter la machine, je ne dormais plus tellement ça me passionnait. Maîtriser cette machine n’était pas aussi simple que je le pensais.

Pourquoi miser sur l’impression 3D en Afrique?

C’est l’avenir ! Un outil très puissant !

«Au-delà de pouvoir fabriquer à petite échelle en petite série nos propres objets, bien finis, sans dépendre d’industriels étrangers et qui n’ont rien à envier à des objets venus d’ailleurs, cette technologie a un fort potentiel. Comme dans le secteur de la médecine.» 

Léonce Atanley

Je suis en discussion avec le département médecine de mon université, Kwame Nkrumah University of Science & Technology (KNUST). Les enseignants ont des pièces moulées pour enseigner l’anatomie qu’ils ont du mal à remplacer. L’idée serait de modéliser des kits pour les étudiants, de véritables outils pédagogiques imprimés, pour permettre la pratique, sortir un peu de l’imaginaire.

Test prometteur d’impression d’un T.rex à assembler pour un enseignant. © Léonce Atanley

J’apprends aussi à une étudiante du département d’art de l’école, qui dessine des pièces en 3D sur des logiciels pour visualiser l’aspect final de son projet, à imprimer en 3D. Faute d’outils pour fabriquer ses pièces, elle faisait jusqu’à présent tout à la main.

Et les filaments en plastique, quand on sait que le continent africain est pollué par ce matériau, qu’en penses-tu?

Ah, grande question ! Je continue à importer de Chine mes filaments et je vais te dire pourquoi. La machine que j’ai repérée pour les fabriquer coûte presque 50.000 dollars et produit 2.000kg de filaments par mois. Il n’y a clairement pas assez de débouchés ici. J’ai étudié le processus des filaments pour fabriquer une machine moi-même, mais la finition est trop médiocre encore. Je continue à y travailler, même si la concurrence des Asiatiques niveau prix est bien là. J’ai un projet de maquette de cette machine de 4m de long, complètement DiY, qui produira 2kg de filaments par jour. Juste pour montrer que c’est possible. Le projet sera open source mais il me manque encore un peu de financement. Le filament sera en PET recyclé, puisqu’il y a assez de matière plastique en Afrique.

D’ici cinq à dix ans, la demande de fil sera plus forte. Ça me laisse le temps de me lancer pour investir dans une micro-usine ! Pour l’instant, j’achète le fil en gros et je le revends au détail sans faire de marges. Je ne veux pas m’enrichir sur le dos de ma communauté, mais diffuser un maximum les technologies. Si vous avez de l’essence trop chère, votre voiture ne roulera pas.

Depuis ta chambre, tu organises en quelque sorte un véritable business?

Micro P Lab est plus qu’un hobby pour moi. Je finis mes études en 2018, mais je ne veux pas attendre. Je fais des prestations auprès des étudiants de l’école pour les aider à réaliser leurs projets. Il y a beaucoup de demandes sur des contenants pour de belles finitions. Ces revenus me permettent d’investir encore dans du matériel. Je donne aussi des formations car tout le monde peut acheter une voiture mais tout le monde n’est pas forcément bon conducteur.

Je manque vraiment de temps en réalité : j’emploie même un étudiant en art pour les modélisations car je veux me concentrer sur mes propres projets de maker. Je viens d’obtenir un local à Accra (la capitale du Ghana, ndlr) où je compte installer un lab et une boutique qui présentera des projets utiles, des prototypes qui répondent à nos besoins. Eh oui, je vais bientôt devoir rendre ma chambre d’étudiant (rires)…

Ambiance studieuse avec Engineer Lolo. © Léonce Atanley
Après des heures de travail, le prototype de tondeuse à gazon roule! © Léonce Atanley

Ton prochain challenge?

Pour ma dernière année d’études, j’oriente mon projet de diplôme sur la question de l’intelligence artificielle. Pour le moment avec un ami, nous avons réalisé un prototype de tondeuse à gazon autonome, mais j’ai envie d’aller plus loin. Rendez-vous en juin !

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