Makery

Chronique d’une makeuse en matériaux (24)

Un village à 15km de Sokodé, au centre du Togo, où je cherche l'inspiration en matériaux locaux. © Caroline Grellier

Bientôt cinq mois que notre makeuse en matériaux est en Afrique avec Termatière, son entreprise en matériaux biosourcés. Les moments clés à l’heure du retour.

Lomé, correspondance (texte et photos)

Je me demande toujours si c’est le temps qui ralentit en Afrique ou si c’est en France qu’il s’accélère. J’ai parfois l’impression d’avoir deux cerveaux, ce qui est à la fois troublant et stimulant. Le maître mot : l’adaptation. De toute façon, je suis incapable de ne faire qu’une seule chose à la fois. C’est pourquoi travailler dans deux pays et deux cultures en parallèle m’épanouit. Cette gymnastique me permet sans cesse de prendre du recul, relativiser et rebondir avec un regard neuf.

Au final, les différents projets sur lesquels j’ai travaillé n’ont pas tous pu voir le jour. Un workshop « maker en matériaux » pour des étudiants en architecture a été reporté après plusieurs semaines de discussions, un projet de design produit local n’est pas terminé faute d’organisation. Mais j’ai réussi des missions de conseil, acquis une meilleure compréhension du marché pour Termatière, ajusté les modèles économiques des trois activités de l’entreprise (R&D collaborative, conseil, formation) et engrangé beaucoup de rencontres prometteuses qui agrandissent le réseau de Termatière ici. Ce qui paraît simple est parfois le plus difficile à mettre en œuvre ici, et vice versa.

En venant au Togo, en dehors des projets et missions en vue, j’avais trois objectifs en tête pour faire évoluer Termatière, tester le conseil en valorisation locale de matériaux, ajuster le modèle économique de l’entreprise et chercher des partenaires pour le projet de bloc de terre comprimé.

La nouvelle offre de Termatière

J’ai travaillé à tester sur le marché africain la nouvelle offre de Termatière : du conseil en valorisation de ressources locales en matériaux. Au fil de mes rencontres, j’ai pu identifier des potentiels clients, comprendre leurs attentes et surtout valider leurs besoins pour ajuster mes propositions.

A Aného, ville frontalière Togo-Bénin, une coopérative d’huile de coco encombrée de ses bourres de noix de coco, stockées à perte de vue faute de valorisation!
A Assahoun, au nord-ouest de Lomé, les fibres de coques de noix de palme sont triées mais peu valorisées.

De villes en villages, j’ai pas mal circulé à l’intérieur du pays pour m’informer sur les résidus de production et transformation agroalimentaire. Bourres de noix de coco, peaux d’ananas, noyaux de mangues, tourteaux de soja, coques de karité… les matières ne manquent pas. Même si certains s’interrogent justement sur la valorisation de ces sous-produits, faute de temps et d’idées, ils sont brûlés ou jetés dans des bennes. J’ai envoyé quelques devis pour appliquer la méthodologie « maker en matériaux » de Termatière. Affaire à suivre donc.

Ajuster les modèles économiques

Les matériaux locaux et qui plus est, biosourcés, sont véritablement mon dada. Je tiens à développer via Termatière mes propres projets de création de nouveaux matériaux, issus de mes bricolages de garage. En France, j’ai travaillé pendant presque deux ans à la mise au point d’un composite de sarments de vigne 100% biosourcé, tout en cherchant en parallèle le modèle économique, les clients et en façonnant une entreprise ! En réalité, ce projet de matériau n’est désormais qu’une partie de Termatière et a permis d’essuyer les plâtres pour structurer l’entreprise.

Désormais, les projets R&D by Termatière se font en collaboration avec des partenaires dès le départ qui coportent le projet et en sont les bénéficiaires. C’est le volet « innovation sociale » de Termatière que je tends à développer, au sein duquel toutes mes valeurs et convictions se retrouvent.

A la recherche de partenaires

Alors qu’en France, j’ai adopté une approche filière afin de valoriser la ressource (les sarments de vigne) au sein de la filière viticole (un composite destiné à la fabrication de caisses de vin), au Togo, j’ai adopté une approche territoriale : une analyse des besoins du territoire en matériaux et des ressources locales disponibles permet de statuer sur le projet.

Ici, la mise au point d’un bloc de terre comprimé stabilisé avec des résidus agricoles s’avère pertinente : il permet de diversifier le revenu de l’agriculteur tout en proposant un matériau durable, économique et de qualité qui facilite l’entretien de la construction et réduit l’impact environnemental. Ce projet dont je suis convaincue qu’il aura un impact social considérable en milieu rural est le fil rouge de mes séjours en Afrique.

Découverte dans la brousse au cœur du Togo: la sève de karité est très élastique et collante. Un liant intéressant? 
Le néré, un arbre magique. Les décoctions de néré sont traditionnellement utilisées dans l’entretien des habitats en terre au Togo.

J’ai déjà effectué il y a quelques mois des prototypes de brique aux résultats très intéressants. L’objectif était de trouver de bons partenaires locaux. C’est chose faite ! Deux options s’ébauchent auprès d’ONG togolaises et internationales avec cette brique by Termatière. Là encore, affaire à suivre !

Encore deux jours dans la fraîcheur togolaise (oui oui, ici c’est l’hiver, la pluie, la boue, le vent, le rhume, les pulls) et je serai de retour au pays des fromages avec de nouveaux rebondissements en perspective à la rentrée. J’évolue en même temps que Termatière se façonne. Sensation très agréable de modeler un projet professionnel à son image, de faire ce qu’on aime.

Et comme au Togo, on ne dit jamais « au revoir » mais plutôt « à tout à l’heure » : « Eyizandé » !

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