Makery

Hommage à l’artiste maker Antoine KiK

Antoine KiK en session sur «Droned in Key» sur le Steinway Grand concert de l'Ircam. © DR

On était sur le point de publier sa première chronique pour Makery quand on a appris la terrible nouvelle. Antoine Bonnet aka KiK, circuit-bender, artiste faiseur d’électronique, bioDiY, design textile et sonore, venait de mourir. Voici son texte.

Il ne manquait que son dernier « go » pour poster son premier épisode d’un journal de création. J’avais rencontré Antoine KiK pour l’exposition Do it Yourself le labo des bricodeurs numériques à Tourcoing en 2012 (son interview par ici), où il avait notamment concocté Prünô, sa propre recette musicale augmentée de l’alcool fermenté que l’on fabrique en milieu carcéral. En avril dernier, Antoine était venu me voir à Makery et nous avions longuement discuté de ses projets et envies en tant qu’artiste-maker-prototypeur pour convenir qu’une chronique régulière pourrait structurer sa démarche tout en apportant un regard inédit sur la façon de « faire » des artistes de sa trempe. Ont suivi des échanges de mails, photos et discussions pour caler ce que je voyais comme sa première chronique pour Makery. Le 16 juin, alors que nous allions la publier, l’affreuse et définitive nouvelle de la mort d’Antoine est tombée. En hommage, pour sa petite fille, sa compagne et tous ses amis, voici son texte, qu’on aurait dû titrer « chronique d’un artiste maker émancipé par le faire ». So long, Antoine…

(Annick Rivoire, rédactrice en chef de Makery)

Jouer avec la technologie

Apprenti musicien devenu circuit bender puis bidouilleur et maintenant maker (j’essaierai de définir à ma façon ce mot à tiroir au fur et à mesure de mes chroniques), je réalise des projets électroniques qui jouent avec la technologie ou touchent des domaines tels que le design sonore, le design textile, le bioDiY, en passant par la fabrication de contrôleurs, disrupteurs, extensions qui utilisent des normes technologiques existantes.

«Fibrextatiques», prototype de capteur textile développé à Villette Makerz fin 2016. © DR

Je me présente comme un artiste contemporain qui réalise des œuvres avec de la technologie, avec la volonté de dissimuler cette technologie pour n’en garder que l’aspect créatif ou novateur. Après presque dix ans à animer, créer et développer des ateliers en fonction de la demande, j’ai commencé il y a environ trois ans à répondre à des appels à projets pour participer à des résidences, expositions collectives, etc. Cela m’a permis d’aller plus loin dans ma pratique artistique de l’électronique et d’avoir aujourd’hui l’envie de porter tout ou partie de mes projets plus loin.

Ni incubateur ni crowdfunding

J’ai envie de toucher de nouveaux acteurs de l’art ou d’ailleurs, et pourquoi pas aller jusqu’à l’industrialisation de mes projets, si cela est possible, en collaborant avec des marques ou en intégrant un labo de recherche indépendant, interdisciplinaire ou pourquoi pas privé.

Je suis persuadé que tout est possible, dès lors qu’on sait ce qu’on veut ou ne veut pas. Par exemple, je ne souhaite pas recourir aux campagnes de financement participatif. Cela vaut quand le projet est déjà prêt pour l’industrialisation et qu’il faut remplir le carnet de précommandes pour en lancer la fabrication.

Je suis désireux de mettre en valeur l’innovation de manière directe, quitte à la financer personnellement. Et s’il est possible d’éviter de passer par la case incubateur, start-up, etc., c’est encore mieux. Je préfère vendre un concept, une technologie, continuer de la développer pour qu’elle soit utilisée de manière spécifique au sein d’un produit. Je ne tends pas à réaliser de produits finis, plutôt à fournir des solutions technologiques.

Je me retrouve donc à démarcher des centres d’art, des entreprises ou des centres de recherche pour mener à bien mes projets, par envie d’abord et par défi ensuite, pour me prouver que je suis compétent dans ces domaines et que ma formation initiale de comptable est bel et bien loin derrière moi. Cette rubrique sur Makery devrait me permettre de documenter mon parcours, et pourquoi pas aider ceux qui désirent se lancer dans une voie similaire.

Ce qui me motive, c’est de chercher là où je n’ai jamais mis les pieds, faire jouer un réseau de personnes avec qui j’ai travaillé sur des projets mais avec qui je n’ai pas forcément entretenu de contacts réguliers. En d’autres termes démarrer à zéro, se remettre en question, faire de nouvelles rencontres et avancer petit à petit. L’important n’est pas la chute, mais l’atterrissage. En l’occurrence mener un projet jusqu’au bout ou lui donner une nouvelle direction, à l’inverse de ce que j’ai pu faire jusqu’à maintenant, en enchaînant les projets sous forme de prototypes, faute de temps, de budget, de soutiens extérieurs et j’en passe.

Dans mon sac à projets

Parmi mes multiples projets, le premier consiste à faire évoluer des capteurs textiles triboélectriques, à charge électrostatique, dont la réaction peut ressembler à celle des disques piézoélectriques. Tribo Electrique a été développé en 2016 chez Zinc à la Friche la Belle de Mai à Marseille, puis au festival Databit.me d’Arles dans le cadre de Chronique-s. J’ai amélioré et décliné ces capteurs lors de la première résidence de Villette Makerz à Paris cet hiver.

«Tribo Electrique» au festival Databit.me (2016):

Lorsqu’on applique une contrainte sur le capteur, un faible courant électrique est généré. Des actions comme le toucher, l’impact, le frottement, la déformation sont reconnues, et par extension, avec quelques améliorations, l’énergie produite pourra être utilisée pour illuminer des LEDs ou du fil électroluminescent en se passant d’alimentation électrique.

Les applications sont multiples, depuis des capteurs textiles pour faire du motion tracking dans le sport, la danse ou le spectacle vivant, réaliser des installations cinétiques et par extension pour toute application nécessitant des capteurs analogiques mous et « incassables » (j’ai pensé le système pour qu’il soit possible de le passer à la machine à laver).

Le second est un projet soutenu par le Collectif Mu en duo avec Rodolphe Alexis et financé par le Dicream (dispositif pour la création artistique multimédia et numérique) du ministère de la Culture. Il consiste à préparer un piano à queue pour en faire un générateur de musique expérimentale drone (fréquences qui se superposent entre elles), au moyen d’un système électromagnétique développé pour l’occasion. Le système se veut modulaire et adaptable à n’importe quel piano à queue.

«Droned in Key», tests, 2017:

Le prototype fini (fabrication des circuits imprimés, pièces découpées au laser) n’attend plus qu’une date pour sa première représentation publique.

Le dernier est un projet de recherche autour de l’écriture numérique, des moyens de mêler papier et reconnaissance numérique simultanée. Des marques ont déjà développé des systèmes, coûteux, qui fonctionnent avec des caméras, du papier spécial et toutes sortes de technologies complexes pour reconnaître l’écriture. Je souhaiterais développer un système à moindre coût et avec une approche simple et directe. Pas d’accessoire connecté, juste un stylo et du papier, et beaucoup d’ingéniosité.

N’ayant pas peur de m’investir dans plusieurs domaines à la fois ni d’explorer de nouvelles pratiques, il est très probable que je vous parle prochainement de nouveaux projets en cours. J’ai déjà des embryons d’idées et d’expérimentations en sérigraphie, bioDiY… Et puis, potentiellement, à très court terme, je risque même de mettre les pieds dans l’univers du théâtre. Comme quoi, mes pratiques mènent à tout…