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Libre contre open source aux Rencontres mondiales du logiciel libre

«Dans Rencontres mondiales du logiciel libre, le mot le plus important est "rencontres"», dit Jérôme Avond, organisateur. © Elsa Ferreira

Du 1er au 7 juillet se tiennent à Saint-Etienne les Rencontres mondiales du logiciel libre. Une édition où l’activisme est de mise et où les fablabs pointent leur nez.

Saint-Etienne, envoyée spéciale (texte et photos)

Retour en force pour les Rencontres mondiales du logiciel libre (RMLL). Après une année de baisse de régime (faute de ville candidate, une version allégée avait eu lieu sur le thème de la sécurité), la rencontre née en 2000 reprend de l’épaisseur en 2017. Ce week-end, ouvertement grand public, environ 600 personnes se sont frottées aux libristes à Saint-Etienne.

Sous l’impulsion de l’association Alolise, c’est donc la préfecture de la Loire qui accueille la manifestation du 1er au 7 juillet, à cheval entre l’école d’ingénieurs Télécom Saint-Etienne et la « Manu », l’ancienne manufacture d’armes. Une ville dont « la culture ouvrière et associative forte » se prête bien à l’événement, vante Jean-Noël Cornut, chargé du numérique à la mairie, venu visiter le village des associations avec quelques députés de la région. Le rendez-vous a d’ailleurs été l’occasion pour l’association organisatrice et la métropole de découvrir un tissu libriste plus étendu qu’il n’y paraissait, qui a même organisé un festival off, Faîtes du libre, du 5 au 9 juillet.

Rencontre entre libristes et élus.

Le libre, les objets connectés et le mythe de Sisyphe

C’est sous le thème « Libre et change » que se rencontrent toute la semaine intervenants et spectateurs aux RMLL. En tête d’affiche, le héraut du libre Richard Stallman. Après une première conférence dimanche 2 juillet, le voici qui remet le couvert dès ce lundi, devant un amphi plutôt bien rempli. Retour aux basiques, le hacker historique définit les contours du logiciel libre, un logiciel « qui respecte ses utilisateurs » et garantit quatre libertés fondamentales :

– Utiliser le logiciel comme on le souhaite et dans n’importe quel but ;
– Modifier le logiciel (il faut dès lors que le développeur donne à l’utilisateur la possibilité de le faire en donnant accès au code source) ;
– Faire des copies exactes et les redistribuer ;
– Faire des copies des versions modifiées et les redistribuer.

Si l’une de ces libertés manque à l’appel, « alors l’utilisateur n’a pas vraiment le contrôle du programme, c’est le programme qui a le contrôle des utilisateurs », conclut Stallman avant d’énumérer les attaques quotidiennes des logiciels propriétaires contre nos libertés : Amazon qui, en 2009 effaçait à distance chez ses clients Kindle le fichier de 1984 (ironie de l’histoire, c’est sur le roman d’Orwell que tombait le « trou de mémoire » d’Amazon), Apple qui enferme ses utilisateurs dans un système propriétaire à moins que ceux-ci ne le débrident par un jailbreak (évasion de prison, en VF), Fitbit dont le modèle économique consiste en partie à proposer à ses utilisateurs d’acheter leurs propres données, ou encore les téléphones capables d’écouter leurs propriétaires à leur insu (et bientôt avec leur consentement, puisque Echo d’Amazon propose de donner l’autorisation à la machine de mettre sur écoute certains appareils…).

L’ordinateur de Richard Stallman sait faire plein de choses, mais pas encore faire pousser des fleurs.

Des attaques qui font écho à la table ronde qui se tenait quelques heures plus tard avec une autre figure historique du mouvement, le cofondateur de Gandi et de La Quadrature du Net Laurent Chemla, accompagné d’Olivier Desbiey de la Cnil, de Jean-Louis Lanet, directeur du Laboratoire de haute sécurité (LHS) de Rennes, et de Chantal Bernard-Putz, cofondatrice de l’hébergeur indépendant Lautre Net, à l’animation (et l’une des trois femmes à la tribune ce lundi). Ici aussi, le constat est pessimiste : la « sécurité par design » n’existe pas dans le monde des objets connectés à bas coût, les hackers qui divulguent les failles de sécurité s’exposent à des poursuites judiciaires et nous donnons bien souvent notre consentement à la diffusion de nos données sans même y prendre garde. La solution : « conscientiser les gens sur les conséquences de leurs comportements » face aux objets connectés, évoque Jean-Louis Lanet.

La communauté des libristes est-elle condamnée à recommencer l’éducation à la culture numérique encore et encore ? C’est la théorie avancée lors de sa conférence par l’essayiste Yann Moulier-Boutang, « Le numérique libre : Sisyphe ou Prométhée délivré ? ». « Le pouvoir d’adaptation du capitalisme est extraordinairement astucieux et il s’empare de tous les espaces communs créés », constate-t-il. Depuis la Déclaration d’indépendance du cyberespace en 1996, la situation a bien changé, souligne-t-il : le hacker est devenu un cracker ou travaille avec les Gafa, le libre est devenu l’open source et le but du mouvement social est de reconquérir le statut de salarié.

Face à ce constat, c’est dans l’éducation à la culture numérique que la solution réside, estime le professeur en sciences économiques à l’université de technologie de Compiègne (UTC). Et d’annoncer son initiative pour contrer le réseau mondial de l’université de la singularité (une fondation privée soutenue entre autres par Google) : la « trans-université des cultures numériques », collaboration entre l’UTC et Sorbonne universités (Paris 6, 4, 2), où les sciences dures se confronteraient aux sciences sociales.

Fablabs, Autodesk et open source

Cette année, le fablab Chantier Libre, lab associatif et groupe d’utilisateurs de logiciels libres autour de Roanne fondé par Matthieu Dupont, a contribué aux Rencontres. Jérôme Avond, l’organisateur des RMLL, prévient pourtant : « La jonction n’est pas encore faite. Le mouvement fablab nous aide parce qu’il pousse les gens à réfléchir à des problèmes électroniques. Il n’y a plus qu’un pas pour ensuite penser à l’automatisation des tâches et donc aux logiciels. » Mais il grince des dents lorsqu’il voit les partenariats entre makers et entreprises propriétaires comme Autodesk ou Lego. « Pour moi, Lego pourra faire du fablab lorsqu’il laissera les utilisateurs fabriquer leurs propres briques compatibles avec les leurs. »

Jérôme Avond, président d’Alolise, organisateur des RMLL 2017.

Deuxième point noir de la communauté maker : souvent, c’est l’open source qui a droit de cité dans les tiers-lieux alors que le libre est sacrifié sur l’autel de la facilité d’accès. La différence a beau être philosophique, dans le monde des libristes, elle est fondamentale : « Le but de l’open source est de faire un meilleur logiciel, celui du libre est de faire un monde meilleur », résume Matthieu Dupont.

Si l’alliance n’est pas encore faite, les ponts se créent. Jeudi, Dimitri Ferrière alias Monsieur Bidouille viendra donner quelques conseils pour se mettre au DiY, tandis que Sylvain Denis, fabmanager à YourLab en Belgique présentera le concept du fablab et que Matthieu Dupont défendra un fablab libre. Le Réseau français des fablabs (RFFLabs) est également annoncé parmi les associations présentes (on ne les a pas croisés). A Saint-Étienne comme ailleurs, l’union fait la force.

Franc succès pour l’impression 3D de clitoris pour l’assemblée (principalement masculine) de libristes.

Le site des Rencontres mondiales du logiciel libre 2017

Le programme du off