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L’Afrique à l’assaut du biohacking pour la santé

Les participants au séminaire sur le biohacking dans la santé à Yaoundé. © Goethe Institute / D. Niwalo

Ils ont organisé en mai à Yaoundé un séminaire sur le biohacking. Thomas Hervé Mboa Nkoudou et Jérôme Avom expliquent en quoi la science ouverte faciliterait l’accès aux soins dans les pays en développement.

Yaoundé, correspondance

Du 23 au 24 mai 2017, l’Association pour la promotion de la science ouverte en Haïti et en Afrique (Apsoha) et l’Institut supérieur de technologie médicale (ISTM) de Yaoundé, avec le soutien du réseau international Global Open Science Hardware (Gosh), organisaient dans la capitale camerounaise le premier séminaire consacré au biohacking et au matériel open hardware dans la santé : « Biohacking in the medical field: perspectives for developing countries ». La première journée a présenté les différentes avancées, usages et applications du DiYbio dans le domaine médical, la seconde était consacrée aux ateliers où les participants ont été amenés à pratiquer et à contextualiser les connaissances acquises.

Thomas Hervé Mboa Nkoudou, modérateur du séminaire. © Goethe Institute / D. Niwalo
Un public de chercheurs en médecine, biologie, biochimie, chimie, environnement, d’ingénieurs, d’enseignants et d’entrepreneurs. © Goethe Institute / D. Niwalo

À la découverte du biohacking

Les travaux se sont déroulés en présence d’un public multidisciplinaire, essentiellement constitué de chercheurs camerounais en médecine, biologie, physique, chimie, informatique, électronique, sciences humaines, etc., mais aussi de pays environnants (Niger, République centrafricaine, Tchad). Les présentations par visioconférence ont permis au public de découvrir plusieurs facettes du biohacking : appareils et objets qui en sont issus, applications industrielles, enseignement du biohacking, comment créer un biohackerspace ainsi que les fondements du biohacking.

Le projet OpenBCI part de cette casquette hackée d’un étudiant de la Parsons. Depuis, il a sacrément évolué… © DR

Plusieurs présentations ont tracé le sillon des possibilités insoupçonnées de fabriquer certains outils diagnostics soi-même. D’entrée de jeu, André Maia Chagas de Open Neuroscience nous a fait découvrir de nombreux objets et appareils actuellement utilisés en médecine et que nous pouvions fabriquer nous-mêmes, notamment des appareils de diagnostic (microscope, stéthoscope, OpenBCI) comme des prothèses en impression 3D. Par la suite, le pionnier suisse du biohack Marc Dusseiller a introduit la bioélectronique et l’hématimétrie, puis le microscope, ses fondements optiques et les différentes façons de le fabriquer soi-même.

Les participants ont aussi fait connaissance avec certains biohackers qui ont fabriqué ou conçu leurs propres appareils. L’ingénieur Luc Jonveaux a expliqué comment construire un appareil d’imagerie médicale à ultrasons pour moins de 500$. Le biochimiste Tobias Wenzel a présenté une adaptation du système d’électrophorèse sur gel. Le chercheur camerounais Tabi Ebanda a montré les plans de l’appareil qu’il a conçu pour suivre l’évolution des cellules hépatiques chez les malades.

Microscope DiY à base de Scotch et de Lego et sa version imprimée en 3D par GaudiLabs. © CC Hackteria et GaudiLabs

Se former et créer son lab

Il existe plusieurs supports, modes de formations et d’informations sur le biohacking. Marc Dusseiller a ainsi présenté une cartographie de plus de 100 workshops organisés dans le monde par le réseau Hackteria. Le wiki de cette association regorge également de protocoles de fabrication d’objets DiYbio. Le neuroscientifique allemand André Maia Chagas est revenu sur l’utilisation des appareils DiY dans l’enseignement de la biologie et de la médecine. Tobias Wenzel a également mentionné le répertoire d’expériences de DiY en biologie Docubricks. L’existence d’une académie de biohacking aux Pays-Bas mentionnée par Xiamyra Daal de la Waag Society a également suscité beaucoup d’intérêt de la part des dirigeants de l’ISTM.

A la découverte des possibilités en matière de matériel ouvert pour la santé. © Goethe Institute / D. Niwalo

Dans leur présentation, Pierre Padilla et Don Andrès du réseau Syntechbio d’Amérique latine ont donné toutes les ficelles nécessaires pour créer son propre laboratoire. Des informations et stratégies qu’ils diffusent gratuitement dans le monde entier à travers le manuel The Essential Biohacker’s Guide accessible en plusieurs langues. De même, Marc Dusseiller dans son intervention nous a promenés de l’Asie en Europe, en passant par les Amériques et l’Afrique, pour nous présenter différents espaces de travail consacrés au biohacking. Il s’est ensuite attelé à nous relater des expériences concrètes de mise en place de biolabs, pour qu’on s’en inspire pour créer les nôtres.

On passe aux essais pratiques lors de la deuxième journée. © Goethe Institute / D. Niwalo

Quelques défis pratiques

Grâce à la communauté Gosh (qui nous a dotés de certains matériels), nous avons pu réaliser des ateliers microscopie, Arduino, Raspberry (RPi3), soudure et bio-impression. Cependant, les mêmes inquiétudes et interrogations sont revenues, des présentations à la phase pratique. A maintes reprises, les différents intervenants ont mentionné l’usage des imprimantes 3D, du Raspberry Pi et d’Arduino. Qu’on ne trouve malheureusement pas sur le marché local, à moins de les commander à partir de l’Europe, de la Chine ou de l’Amérique du Nord, ce qui triplerait leur coût et rendrait impossible l’idéal de low cost.

Tests de kits en bioélectronique fournis par le réseau Gosh. © Goethe Institute / D. Niwalo

Cependant les participants ont clairement vu l’intérêt du biohacking pour notre contexte, qui serait très utile pour résoudre les problèmes locaux du secteur de la santé. Surtout, avec l’utilisation des objets DiYbio qui serviraient à orienter les diagnostics, à faire de la santé communautaire. Et si les compétences en biohacking sont encore très rares au sein des professionnels africains, il est important que les jeunes générations soient formées tôt, de manière à ce que les pratiques se répandent avec eux.

Les questions de la formation comme de l’accès aux kits électroniques demeurent centrales au développement de la santé ouverte en Afrique. © Goethe Institute / D. Niwalo

Le futur du biohacking au Cameroun et en Afrique

L’ISTM de Yaoundé va ouvrir un département transversal d’open science (DOS) qui aura pour vocation, d’une part, d’appuyer, d’accompagner, de former ses enseignants et ses étudiants à la science ouverte et d’autre part, de soutenir les autres départements de l’ISTM dans l’intégration, le développement et l’adoption de la science ouverte dans leurs pratiques. L’action du DOS sera orientée vers le biohacking, le libre accès, les sciences citoyennes, la culture informatique libre et les ressources éducatives libres, le développement et la diffusion en Afrique.

Après le succès de ce premier séminaire, nous avons senti le besoin de reproduire cette expérience dans plusieurs pays d’Afrique. L’idée a alors émergé d’organiser une série d’ateliers similaires groupés sous le nom d’Afrobiohacking Tour. A suivre !

Le manifeste Global Open Science Hardware

Qui sont les deux auteurs de cette tribune? Thomas Hervé Mboa Nkoudou, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université Laval (Canada), était le modérateur du séminaire ; Jérôme Avom, enseignant à l’Institut supérieur de technologie médicale (Cameroun), en était le facilitateur.