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Ayiyikoh, le fablab de Yopougon, joue l’insertion des jeunes Ivoiriens

Photo de famille des makers geeks libristes d'Ayiyikoh (avec quelques filles !). © Caroline Grellier

Visite chez les codeurs d’Ayiyikoh à Abidjan, qui défendent depuis 2014 l’open source pour l’autonomie économique en Afrique. Le fablab forme les jeunes au code et à l’entrepreneuriat.

Abidjan, envoyée spéciale

Il est 11h, me voilà coincée en plein embouteillage dans un taxi, zouglou dans les oreilles, à l’arrêt sur un pont dans une chaleur humide en ce début de saison des pluies : bienvenue dans la capitale économique ivoirienne, Abidjan.

Abidjan, ses lagunes, ses ponts, et… ses embouteillages. © Caroline Grellier

Une heure plus tard, j’arrive à Yopougon, quartier populaire plein de vie au nord-ouest de la ville. Le taxi me dépose devant le collège Saint-Augustin où m’attend Loulou Beugré, ingénieur informaticien et président du fablab Ayiyikoh (signifiant « associons-nous » en godié, langue vernaculaire de Côte d’Ivoire).

Derrière ces portes bleues, le fablab de Yopougon, Ayiyikoh. © Caroline Grellier

Les amis libristes

L’histoire démarre en 2014, sur les bancs de l’université et dans les clubs informatiques. D’événement tech en découverte de Linux se forme une bande de copains, qui se découvre l’envie de créer son propre lab. Puisque l’école manque de pratique technologique et qu’ils n’ont pas de cadre pour développer leurs projets, Loulou Beugré et Pacôme Kouakou N’dri s’associent pour lancer « @yiyokoh, incubateur et fablab ».

Pacôme Kouakou N’dri et Loulou Beugré, les deux cofondateurs d’Ayiyikoh. © Caroline Grellier

Depuis deux ans, c’est dans un local prêté par la famille que la vingtaine de jeunes aux profils variés qui forment la communauté Ayiyikoh se retrouvent. Le jour de ma visite, derrière les écrans dépassent une dizaine de têtes. Concentrées sur l’apprentissage de code. Je m’installe dans la salle de réunion. Sur les murs, le ton est donné : les logos des grandes communautés libristes ont été peints à la main.

Les préceptes du partisan de l’open source Florent Youzon sont ici à l’œuvre. D’ailleurs, le tonton des logiciels libres en Afrique ne cesse d’inspirer ces jeunes et les soutient avec enthousiasme.

Pour la plupart autodidactes, les codeurs d’Ayiyikoh affichent un haut niveau en informatique et réseaux. Ce n’est pas un hasard si la bande de geeks ivoiriens s’est fixée comme axe majeur de projets pour le lab la création de frameworks, ce socle d’applications qui leur permettra d’arrêter « d’être consommateurs mais plutôt producteurs », explique Moussa Coulibaly, infographiste. Le premier prototype en cours de développement se nomme Soutra, comprenez « faut m’aider » en nouchi (le jargon ivoirien tant chéri dans le pays).

«Nous voulons inculquer la culture du libre, partager cette philosophie qui réunit nos valeurs et est adaptée à notre contexte africain.»

Loulou Beugré, cofondateur d’Ayiyikoh

Ambiance studieuse au lab, ça code… © Caroline Grellier

Le fablab a choisi le statut d’association. Son modèle économique ? Ayiyikoh effectue des prestations de développement d’applications mobiles et de sites web. Le dernier projet en date est né lors du Festival de promotion des activités génératrices de revenus (FePro AGR) : Blikoto (« palabre de brousse terminé ») est une application de gestion des conflits fonciers, sujet très sensible en Afrique où ils sont source de nombreuses querelles et escroqueries. Le fablab de Yopougon participe aussi à des hackathons et a d’ailleurs été deux fois lauréat de l’Africa Web Festival.

Ce modèle économique permet de financer en partie l’achat de matériels et de proposer des formations aux jeunes de Yopougon en Arduino, en sécurité informatique, etc. La plupart des ateliers sont basés sur l’apprentissage du code, jusqu’à des niveaux avancés. Ce qui n’empêche pas les makers de s’intéresser au montage d’imprimantes 3D et à l’impression de circuits imprimés pour développer de nouvelles compétences. Un projet de Jerry-cyber est aussi en réflexion. Bref, les envies et idées ne manquent pas.

Redonner confiance aux jeunes

Une centaine de jeunes du quartier et des alentours fréquentent le lab, âgés de 20 à 30 ans. Ayiyikoh défend avec ferveur l’autoformation et a un objectif en tête : le développement local à travers la montée en compétences des jeunes.

« Le lab revêt un rôle éducatif très important, dans la continuité de l’école, explique Loulou Beugré. Ici, nous voulons bannir l’esprit de concurrence et apprendre aux jeunes à travailler ensemble, à mutualiser et partager pour évoluer ensemble. Nous travaillons beaucoup en collaboration avec les autres labs ivoiriens et africains, les clubs informatique des grandes écoles. Développer une attitude autodidacte est primordial car face à nos problèmes, qui mieux que nous-mêmes pour trouver des solutions pertinentes ? Nous avons les réponses mais manquons de confiance en nos potentiels. »

Bonne humeur au programme d’Ayiyikoh. © Ayiyikoh

Donner confiance aux jeunes, les encourager à entreprendre est l’une des préoccupations du lab. Sont ainsi en préparation des formations pour apprendre à s’exprimer en public, pour en ligne de mire créer un incubateur.

Un tremplin pour l’insertion professionnelle

Le rôle social du lab a fait ses preuves. Les entreprises ivoiriennes ont bien repéré le fablab comme un pôle de compétences, un vivier de jeunes dynamiques, motivés, autodidactes et de haut niveau. « Le lab a changé la vie de certains qui sont passés par ici », dit Josué Romba, administrateur système. Autour de l’incontournable garba, rituel culinaire convivial de la communauté pour sceller la fin de la discussion, les makers d’Ayoyokoh s’amusent : « Le lab se fait piller ! On commence à manquer de main-d’œuvre car les gens montent en compétences et les entreprises les recrutent ! Ils reviennent quand même pour réinvestir leurs connaissances dans le lab. Et s’ils ne viennent pas, au bout de trois semaines, on leur tire les oreilles ! »

La page Facebook et le compte Twitter d’Ayiyikoh