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Le Hacker Space Factory 2017 casse des briques à Toulouse

Thomas Bigot, Frédéric Villeneuve Séguier du collectif Mix'Art Myrys/Tetalab - Toulouse / Audioneural network. © CC @ChrisKs16

Plusieurs milliers de personnes du 24 au 28 mai pour la 8ème édition du Toulouse Hacker Space Factory. Benjamin Cadon (Labomedia) revient pour Makery sur les sources du hacking défendues par le festival.

Toulouse, correspondance

On a cassé des briques au sens propre lors de cette 8ème édition du THSF. On pouvait d’une part participer durant le festival à un tournoi d’Arkanoid (jeu d’arcade de type casse-briques créé en 1986). Il fut bien évidemment remporté par son instigateur qui s’y est entraîné sans relâche pour assurer sa victoire. D’autre part, Mix’art Myrys, lieu artistique autogéré qui organise le rendez-vous avec le hackerspace Tetalab, avait déplacé les murs de ses 4000m2 de hangar pour proposer au public une circulation inédite et favoriser ainsi la rencontre avec les artistes du collectif. Par ailleurs, au THSF, on sait faire tomber les murs entre les disciplines, les approches, les experts et les novices pour mieux mettre en partage et en question les joies et les peines qui traversent notre société de cyborgs mondialisés.

Concours Arkanoid: de dos, le futur vainqueur s’attaque à une débutante. © CC Mix’Art Myrys

«We Make Porn»

Sous couvert de cette affirmation triviale, les hackers se fédèrent derrière les principes de liberté d’expression, de libre circulation de l’information et des contenus dans un Internet neutre pour mieux cerner le monde dans sa complexité et ses différences. Le festival s’articulait ainsi cette année autour de six principes fondateurs du mouvement « hacker » : le faire soi-même (DiY), l’apprentissage et le partage du goût pour les logiciels libres, le droit à l’expérimentation et au questionnement, l’ouverture des champs d’exploration à toutes les disciplines, l’engagement militant et le vivre ensemble, la persévérance, enfin, face à la complexité technologique et à une frugalité de moyens.

Cela se traduit par une multiplicité de propositions et de formes durant ces quatre jours : du concert « traditionnel » à la performance impromptue, des conférences aux discussions informelles autour d’une bière artisanale, d’une résidence de hackerspaces issus de toute la France à des associations et artistes locaux venus présenter leurs réalisations, la plupart du temps de façon interactive avec le public.

Le fameux autocollant «We Make Porn», icône de la lutte pour la libre circulation des données sur Internet. © CC 01livier B

Conférences et présentations éclairs

Programme foisonnant donc, dont il me sera difficile de décrire toute la richesse et la diversité. On peut néanmoins souligner la variété des thèmes abordés et la qualité des interventions qui présentaient des approches parfois très techniques autour de la pratique de rétro-ingénierie pour comprendre comment fonctionne un appareil fermé ; des évolutions de la génétique avec ce cher CRISPR et sa capacité à réécrire le génome ; ou encore autour des services web libres tels que proposés par Framasoft ou des téléphones dits « intelligents » qui peinent eux à trouver leur liberté.

Ont été abordées également des questions plus technopolitiques et sociales avec les exégètes amateurs qui luttent sur le terrain juridique de nos libertés numériques, le concept de salaire à vie ou le hacking social de Pôle Emploi et les petits secrets de la redevance copie privée. On pouvait aussi se pencher sur le rapprochement de hackers avec des journalistes d’investigation, militants et avocats, ou sur le lien proposé entre l’achat de drogue sur le « darknet » et la réduction des risques.

Datavisualisation sur l’évolution des ventes de drogues sur le marché Hansa. © CC Alex Girard

Performances et concerts technologico-ludiques

Pour faire transition, on pourrait évoquer la conférence-performance du duo BCK qui a produit un album, МАТРЁШКA, en utilisant les principes de « l’audio-stéganographie », soit cacher à l’intérieur du fichier audio un fichier image qui lui-même contient un PDF qui contient un texte qui contient le programme utilisé pour réaliser cet emboîtement occulte… Les performances ont également consacré le retour à l’analogique avec plusieurs luthiers et praticiens de synthétiseurs modulaires ou les cassettes de données du groupe ProjectSinge. L’esthétique 8-bit était également à l’honneur : concert à base de Game Boy, performance musicale et vidéo-ludique consistant en un speed run par un joueur chevronné qui tente de finir un jeu vidéo le plus vite possible, encouragé par le public et accompagné par quatre musiciens, mais aussi l’explosive FIFA, Fanfare de praticiens du logiciel IBNIZ qui permet de produire avec très peu de caractères une partition sonore et visuelle corrosive car traduite directement par la carte son et la carte graphique de l’ordinateur.

Thomas Bigot / Synthé modulaire et spatialisation sonore + Nada / Visuels analogiques peints. © CC 01livier B
Poussette IBNIZ de la FIFA. © CC Gaziel

Installations et créations

Là aussi, la proposition était généreuse, avec une implication forte des artistes du collectif Mix’art Myrys qui fabriquent des vélos en bambou, des machines à bisous, un cabinet de curiosités numériques interactives, un réseau électronique neuronal autonome qui génère du son, une porte vers le monde des zombies, une machine à faire des lolcats, etc.

Fabriquer des vélos en bambou © CC 01livier B
Didier Bonnemaison, Loth, FRTK, Bisou magique / La machine à bisous. © CC 01livier B

Sprint vinyles sous la tente berbère

Sous une tente berbère, le collectif parisien Dix lignes de bling, dix lignes de blangs aligne des appareils pour faire de la musique (y compris une radio marine !) et propose au public de faire des sets de 4mn qui seront gravés « en live » sur une antique « machine à dubplates » rescapée des années 1940 afin que l’un des protagonistes reparte avec un plexiglas sérigraphié aux couleurs du THSF et lisible une centaine de fois sur une platine vinyle traditionnelle. Jam et émotions collectives garanties. Multiples autres stands à la Factory : l’association Entropie de Grenoble développe toujours plus d’objets du quotidien selon un design libre et donc reproductible par chacun à l’envie ; les locaux des Forces du Malt initient aux techniques de brassage de bière ; d’autres promeuvent les logiciels et savoirs libres (l’April, Toulibre, Framasoft, Zeste de savoir) ; certains s’intéressent aux droits des travailleurs informatiques, à la programmation de robots pédagogiques ; d’autres à la fabrication de modules électroniques ésotériques permettant d’écouter les chants du spectre électromagnétique, des plantes vertes ou des fantômes.

Dix lignes de bling, dix lignes de blangs, jam sonore collective et gravure de vinyles. © CC 01livier B
Projet Signum de Victor Mazon / amplificateur ondes lumières et bruits ésotériques. © CC 01livier B

Rencontre de hackers et hackerspaces français

Pour conclure, le THSF est aussi et avant tout un lieu de rencontres. Ce potentiel de rencontres s’incarnait par l’invitation d’associations « amies » et une résidence de hackers et hackerspaces issus de toute la France tout aussi foisonnante et généreuse. Un lieu trop rare en France car les événements estampillés « hack » sont désormais trop souvent hébergés par Mickey ou récupérés par des grandes entreprises qui, à force de « hackathons », trouvent à bon compte de l’inspiration pour leur bureau de Recherche & Développement ou pour leur service de recrutement. Alors peut-être est-ce le moment de puiser dans cette source l’énergie pour démultiplier ce type d’événements tout en restant connecté avec les racines du mouvement hacker. En tout cas, le public venu nombreux au THSF (plusieurs milliers de personnes cumulées au cours des quatre jours) ne s’y est pas trompé. Vivement le THSF#9 !

Les sculptures de Cromatix / Élie Cinqpeyres membre du collectif Mix’Art Myrys. © CC Cromatix

Le site du THSF 2017