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Qui veut manger du poulet rose fluo?

Du design-fiction pour transformer tous les poulets de la planète en volaille rose fluo. © Pink Chicken Project

Le «Pink Chicken Project» veut rendre roses tous les poulets de la planète par forçage génétique CRISPR. Oui, c’est une provocation.

Vous vous souvenez du lapin fluo d’Eduardo Kac ? C’est un peu un débat similaire que souhaitent soulever les biodesigners suédois Linnea Våglund et Leo Fidjeland de l’équipe iGEM Stockholm 2016 avec leur scénario de design fiction Pink Chicken Project. Mais si Eduardo Kac souhaitait questionner le statut de l’animal de laboratoire produit par manipulation génétique, les Suédois veulent pointer notre regard sur la réelle « nature » de l’alimentation carnée produite industriellement et sur l’ambivalence actuelle du débat entre conservation de la nature et biologie de synthèse. Particulièrement depuis l’émergence de la biotechnologie CRISPR-Cas9 qui ne cesse de susciter des spéculations scientifiques positivistes et négativistes.

La bande-annonce du «Pink Chicken Project» (en anglais):

Bienvenue dans l’Anthropocène?

La technique du forçage génétique est en effet devenue en quelques années un enjeu économique considérable. Elle pourrait avoir des applications médicales très bénéfiques, en éradiquant par exemple le paludisme grâce à la modification du code génétique du moustique. Mais elle suscite également de grandes inquiétudes concernant son détournement par des biohackers (on vous en avait parlé avec l’affaire Odin) ou une industrie biotech hors contrôle et sans éthique écologique, ou par un terrorisme international qui pourrait tenter de développer une nouvelle génération d’armes biologiques terrifiantes.

La biotechnologie CRISPR contribuerait donc à polariser le débat écologique ? D’un côté, les conservationnistes s’inquiètent d’une modification sans retour du vivant et de l’entrée dans le temps de l’impact irrémédiable de l’homme sur son environnement en général, qui qualifierait l’époque d’Anthropocène dans l’échelle des temps géologiques. De l’autre, les biologistes de synthèse sont impatients de pouvoir utiliser le génie génétique afin d’élaborer une nouvelle biodiversité pour le « bénéfice de l’humanité », défendant en ce sens un « bon Anthropocène ».

Un seul poulet au gène rose permettrait de propager la couleur à toute l’espèce en 12 à 19 générations. © Pink Chicken Project

Que propose alors le Pink Chicken Project ? Le projet, qui se présente comme une entreprise de bio-ingénierie et de sensibilisation écologique sérieuse, envisage de modifier le code génétique des poulets communs de l’espèce Gallus gallus domesticus afin de rendre leur plumage et leur squelette d’un rose franc et fluo. L’opération, sans danger pour le poulet précisent-ils, sera menée à partir du forçage génétique d’acide carminique dans le patrimoine génétique du poulet. L’acide carminique ou carmin est produit naturellement par la cochenille et a été synthétisé en 1991. Il est connu comme colorant alimentaire courant sous le nom E120.

Introduction du gène carmin dans les œufs de poules par édition génomique. © Pink Chicken Project

Poulet de six semaines

Pour les biodesigners, un seul poulet suffirait à répandre le gène rose. Et le Pink Chicken Project a choisi intentionnellement l’espèce de poulets d’élevage destinés à l’alimentation carnée courante pour deux raisons essentielles : d’abord parce que leur vie très courte (six semaines) permettrait de « rosir » l’intégralité de l’espèce en quelques années seulement. « Pour la première fois, nous avons la possibilité d’altérer entièrement une espèce », écrivent-ils. Ensuite parce que cela permet de sensibiliser massivement à l’aspect irrémédiable de l’impact anthropogénique car l’accumulation des os des millions de poulets consommés chaque année dans le monde pourrait laisser une trace stratigraphique rose dans les carottes géologiques futures.

Fossilisation des os roses de poulet. © Pink Chicken Project
Spéculation sur une carotte géologique de l’année 4796. © Pink Chicken Project

Vous voyez-vous manger des chicken wings ou du poulet tandoori aux os roses ? Les designers voient également dans cette image la possibilité de sensibiliser à l’impact de notre consommation de poulets sur l’environnement.

L’acide carminique combiné au calcium rend les os roses. C’est parfaitement comestible, affirme le «Pink Chicken Project». © Pink Chicken Project

La poule ou l’œuf?

Mais puisque l’origine des poulets roses pourrait se perdre dans une société amnésique de son impact sur son environnement, le projet prévoit de laisser un message aux générations futures encodé dans l’ADN du poulet :

« Nous, les humains de la planète Terre, écrivons ce message à l’aube de l’Anthropocène, en l’année 2017. La dévastation actuelle de la planète n’est pas le fruit des activités de l’ensemble de l’espèce Homo sapiens : elle procède d’un petit groupe d’humains au pouvoir. Nous vous exhortons à lutter contre cette oppression, qui aggrave la violence anthropocentrique exercée sur le monde non humain. Ce message est envoyé dans l’espoir que l’humain sera réinventé, en tant qu’espèce biologique en symbiose avec les autres organismes de cette planète. »

Pour stimuler la réflexion sur la controverse soulevée par la biotechnologie CRISPR, le Pink Chicken Project incite à la participation en proposant d’acheter des œufs roses sur leur site. Seriez-vous prêts à accélérer la dissémination des poules roses ?

Le site invite à donner son opinion sur l’achat ou pas de l’œuf génétiquement modifié. © Pink Chicken Project

Acheter (ou pas) un œuf au Pink Chicken Project