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Making girls en fabfestival

Le mouvement maker au féminin à Toulouse. © Montage Makery

Adélaïde Albouy-Kissi rêve d’un «Erasmus des fablabs»

#Fablab Festival. Dans les conférences, les barcamps et les tables rondes à Toulouse, ça manquait furieusement de femmes. Makery a quand même rencontré quelques makeuses, des projets plein les poches.

Toulouse, envoyées spéciales (pardon Victor)

Quand les tables rondes sont majoritairement masculines, quand le hackathon Airbus avec les étudiants d’Epitech Toulouse ne fait monter sur scène que deux étudiantes sur une promo entière de fringants futurs ingénieurs, quand le Drone Challenge Trophy n’attire que des hommes, on en vient à chercher les femmes au Fablab Festival ! Makery a choisi de mettre en valeur quelques-unes d’entre elles.

Avec Peggy Ravin, la Martinique aura son fablab

Peggy Ravin, fondatrice du 1er fablab de Martinique. © Pauline Comte

La Martinique va enfin avoir son premier fablab. Et c’est une femme qui en porte l’initiative. Peggy Ravin, 42 ans, avoue avoir découvert l’univers des fablabs un peu par hasard. Avec un parcours professionnel qui l’a vu passer par le monde des start-ups et les ressources humaines, elle a compris le potentiel des fablabs en termes de formation et d’insertion.

« J’avais envie de créer une activité d’utilité sociale. Pour moi, un fablab est avant tout un lieu d’émulation où la dimension humaine prime », explique-t-elle. Son lab, elle le veut ouvert aux personnes les plus éloignées du numérique et de l’emploi, et en particulier aux femmes. « En Martinique où il y a beaucoup de chômage, seules 30% des petites et moyennes entreprises ont un site internet. Le problème, c’est qu’il y a des débouchés mais pas de main-d’œuvre formée au numérique », constate-t-elle.

Après un cycle de formation en modélisation et fabrication numérique chez Artilect en 2016, elle se lance dans l’aventure. La même année, son projet baptisé Up & Space Martinique est lauréat de l’appel à projets sur l’économie sociale et solidaire lancé par le ministère de l’Outre-mer. Un succès qui lui ouvre la porte d’autres financements, notamment européens. Mais aussi de partenariats comme avec l’école de code Simplon. « L’une de mes priorités est de développer nos formations, notamment celle de référent numérique des entreprises. Nos apprenants vont évoluer dans un environnement fablab mais aussi bénéficier d’un titre professionnel délivré par Simplon. »

L’ouverture est prévue pour mai 2018, mais les locaux sont déjà choisis, pour la grande joie de Peggy. Car le premier fablab de Martinique va s’installer à Sainte-Luce… dans une ancienne discothèque.

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Hélène Carrel, en piste pour un fablab de montagne

Hélène Carrel, photographiée en Suisse et non à Toulouse, d’où les sapins… © Sebastien Hintz CC-by-SA

« On y est presque… Nous avons essayé de récolter un maximum de soutiens avant de faire une demande officielle à la mairie pour mettre toutes les chances de notre côté. Et nous avons assez bien réussi : plusieurs institutions (école, musée…), associations, collectifs et indépendants nous ont fourni un soutien de principe écrit. » On a fait la connaissance à Toulouse d’Hélène Carrel, ingénieure design indépendante qu’avaient croisée en Suisse nos chroniqueurs de Dcalk, à l’occasion du festival de jeux Ludesco.

Ils sont dix à porter le projet Ici Autour, un fablab pour La Chaux-de-Fonds, 38000 habitants. « Nos profils sont partagés entre des métiers d’art et de communication (graphiste, designer…) et des métiers techniques (ingénieur, horloger, physicien, électronicien,…) », un mélange qui « reflète assez bien la région qui doit son caractère à l’industrie horlogère ».

« Le problème, ce ne sont pas les machines, tout un tas de gens nous en promettent, ni la communauté (on a 408 personnes qui soutiennent le fablab). Mais en Suisse, il fait plutôt froid l’hiver : il nous faut donc un local pas trop grand ni trop gourmand en énergie. » Quand on s’étonne que la communauté maker soit aussi grande, avant même l’ouverture du lieu, Hélène, 28 ans, rigole franchement. La Chaud-de-Fonds a un passé ouvrier et une tradition collective autonome bien ancrée. Les habitants sont mobilisés, qui fournissent « plus de la moitié des soutiens », mais « le reste est pas mal dispersé entre les communes à proximité ainsi que Neuchâtel, où les gens connaissent déjà le concept ». D’ailleurs, la diplômée de la Haute Ecole ARC de Neuchâtel a l’expérience de « labmanager » au fablab de Neuchâtel. « C’était bien notre objectif de base : offrir un fablab pour les communes des montagnes neuchâteloises ». Le projet Ici Autour, elle l’espère, pourrait aboutir à la rentrée.

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Adélaïde Albouy-Kissi, enseignante en Auvergne. © Victor Didelot

Adélaïde Albouy-Kissi, maître de conférences en informatique à l’IUT du Puy-en-Velay, en Auvergne, dirige le fablab de l’IUT, le Lab’ du Pensio, ouvert début 2016. Pour sa première visite au festival toulousain, Adélaïde est venue annoncer lors d’une conférence, le vendredi 12 mai, une grande première : une formation « maker » qui débutera en septembre pour les bac+2, et donnera accès à un diplôme universitaire.

Le Lab’ du Pensio, qui a déménagé en début d’année dans un ancien pensionnat à deux pas de l’IUT, n’est pas que le fablab des étudiants : il est ouvert à tous. « J’aimerais démocratiser le mouvement maker », dit l’enseignante. Pour ce faire, au-delà de l’accès aux machines et de l’aide apportée aux porteurs de projets pour intégrer une dynamique d’innovation, le Lab’ du Pensio proposera dès la rentrée en exclusivité au sein de l’IUT une formation « maker ».

Il s’agit d’un cursus de 400 heures de formation accessible à bac+2, en fabrication numérique (CNC, impression 3D, etc.), en conception avancée (modélisation, conception assistée par ordinateur, simulation, etc.) et en réalité virtuelle et réalité augmentée.

A l’avenir, Adélaïde Albouy-Kissi souhaite ajouter une formation « maker » en master et en alternance. Et pourquoi pas un « Erasmus des fablabs » ?

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Céline Berthoumieux, directrice de Zinc, pôle artistique et culture de la Friche la Belle de Mai. © Pauline Comte

Pour sa première visite au Fablab Festival, Céline Berthoumieux est venue en presque voisine. La directrice de Zinc, le centre de création arts et cultures numériques de Marseille, était invitée pour la rencontre « Fablab et inclusion sociale ».

« La question de l’inclusion sociale et de l’ouverture au plus grand nombre est au cœur de notre démarche », explique Céline. Sa structure installée à la Friche la Belle de Mai copilote un fablab labellisé Fablabs solidaires de la fondation Orange : le LFO. Stages de jeux vidéo, ateliers de field recording pour enregistrer un portrait sonore de la ville ou encore de construction de manette DiY… Grâce aux actions du fablab, les enfants du quartier délaissent un instant leur skate et l’aire de jeux de la Friche pour découvrir le code et la fabrication numérique.

« Depuis quelque temps, nous avons entamé une réflexion sur la création d’une dynamique living lab qui pourrait s’étendre à tout le centre-ville de Marseille, autour de l’axe de la Canebière, ajoute Céline Berthoumieux. Le principe serait de requalifier ce quartier grâce à une démarche de codesign autour de nos modes de consommation ou nos pratiques de réparation et de recyclage par exemple. » Autour de la table se rassembleraient des acteurs culturels et numériques locaux comme la Fabulerie, Urban Prod, Seconde Nature ou Indé Touch, mais aussi la mairie, plutôt réceptive à cette initiative mixant médiation sociale et développement durable. « En même temps, on ne propose rien d’autre que du bon sens », conclut-elle.

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Delphine Bézier sur le stand de My Human Kit. © Pauline Comte

Déjà deux ans que Delphine Bézier fait partie du projet My Human Kit. L’association qui fait du « handicap le moteur de nouveaux projets » est connue pour la prothèse Bionicohand. Amputé de la main suite à un accident du travail, Nicolas Huchet a conçu une main bionique imprimée en 3D, élément déclencheur de la création de l’association en 2014. Une année de bénévolat, et la quadragénaire « plutôt branchée musique expérimentale et noise » est embauchée en 2016, pour documenter les projets et, depuis janvier 2017, comme fabmanager de Humanlab, le fablab de l’association, ouvert à Rennes en janvier 2017.

Elle est aujourd’hui responsable du projet Binoreille, un casque à destination des personnes atteintes d’une surdité unilatérale. Ce prototype, constitué d’un casque à conduction osseuse, placé sur la tempe, permet au son de résonner à travers la boîte crânienne.

Le stand de My Human Kit, pour la première fois au Fablab Festival, n’a pas désempli. « On a rencontré des particuliers, des start-ups et des industriels très réceptifs et prêts à investir. C’est important pour nous d’être présents à un tel événement. On a d’ailleurs monté une table ronde sur le croisement entre handicap, numérique et social. » Un moyen d’avancer dans le projet de My Human Kit de cocréer un réseau international sur le développement d’aides techniques au handicap, en réunissant des acteurs du monde des fablabs, de la santé et de la rééducation.

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Amandine Garnier du Low-tech Lab à Toulouse. © Pauline Comte

Une expédition en bateau à toile de jute, un réchaud en boîtes de conserve, une éolienne domestique… Cet inventaire à la Prévert n’est qu’un tout petit aperçu des activités portées par Amandine Garnier et l’association Gold of Bengal, qu’elle est venue présenter au Fablab Festival.

A la fin de ses études de communication, Amandine Garnier a « préféré (s)’orienter vers le développement durable plutôt que de vendre des pots de yaourts pour la pub ». Elle a fait un stage chez Gold of Bengal… et n’a plus quitté l’association dont elle est aujourd’hui responsable coordination et développement. L’aventure de Gold of Bengal a débuté en 2009 avec l’expédition en mer Tara Tari, menée par Corentin de Chatelperron. L’ingénieur partait au Bangladesh à bord d’un voilier conçu en toile de jute. En février 2016, nouvelle expédition, nommée Nomade des mers, pour lancer le Low-tech Lab. La mission de l’équipage ? Prototyper, documenter en open source et proposer des solutions low-tech à des problématiques locales tout autour du monde.

Amandine Garnier présentait à Toulouse deux objets emblématiques du Low-tech Lab : une éolienne développée au Sénégal à partir d’un moteur d’imprimante et deux boîtes de conserve transformées en réchauds à pyrolyse.

Pour « que le mouvement maker soit véritablement mis au service du développement durable et qu’on ne se contente pas d’imprimer en 3D des têtes de Yoda », il s’agit de mobiliser les fablabs, leur proposer des challenges et fabriquer avec eux des outils. Dès juillet, le Low-tech Lab partira sur les routes de France à la rencontre des makers et des initiatives durables pour « redorer l’image du faire soi-même », dit-elle, et mettre à disposition une cartographie des acteurs low-tech.

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Véronique Gaildrat du CampusFab. © Pauline Comte

Avec trois éditions à son actif, Véronique Gaildrat est une habituée du Fablab Festival. Cette enseignante en informatique à l’université des sciences de Toulouse y présentait cette année le fablab CampusFab, ouvert depuis 2014 et accessible aux seuls membres de la faculté. Le fablab fait partie intégrante de la formation des étudiants en informatique toulousains.

Depuis deux ans, explique Véronique, le CampusFab travaille en collaboration avec l’Institut des jeunes aveugles (IJA) pour concevoir des dispositifs pour accompagner les enfants mal-voyants et non-voyants. Parmi les projets les plus fous : une Queen Elizabeth II imprimée grandeur nature pour apprendre l’anglais ou encore une photo de classe parlante.

La chargée de mission du CampusFab voudrait faire évoluer les pratiques pédagogiques. Elle estime que « l’apprentissage par le projet est un véritable levier de motivation pour les étudiants » et se réjouit des discussions autour de la pédagogie au Fablab Festival : « C’est intéressant de voir comment les fablabs associatifs cherchent des solutions d’apprentissage et réfléchissent notamment à la mise en place de badges de compétences. »

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France Affidi hacke le silence

France Affidi présente l’Hackoustilab. © Valérie Dagrain CC-by-SA 4.0

Silence, on hacke ! Affairée dans la pénombre de l’Hackoustilab, l’artiste France Affidi fait visiter ce micromusée dédié au hack de l’acoustique. Présenté pour la première fois au Fablab Festival, le projet est né en 2016 au sein du Lab d’architecture d’Artilect. L’idée ? Transformer l’acoustique en œuvre d’art en déployant une miniarchitecture, à mi-chemin entre l’installation sonore et le dispositif de médiation. « Le projet est porté à la fois par les équipes d’Artilect et par des entreprises partenaires, explique France Affidi. Notre démarche de co-making a permis d’arriver à cette idée de micromusée de l’art acoustique, modulaire et mobile, que l’on souhaite présenter dans sa forme définitive pour FAB14, pour ensuite le faire voyager d’expo en expo. »

Pour en expliquer le fonctionnement, France Affidi multiplie les références visuelles : « Imaginez un point noir sur un toile. Selon la couleur de la toile ou encore sa texture, la perception que l’on a du point sera différente. Eh bien, le point, c’est le son, et la toile, c’est l’acoustique. » Dans un parcours de 28m², le visiteur traverse plusieurs dispositifs qui le plongent graduellement dans un univers où le silence se fait de plus en plus dense et présent. « Le public expérimente l’influence du son sur la matière, avec, par exemple, des échos flottants avec des rebonds infinis. Mais vers la fin du parcours, on insère des plages de silence grâce à un système électronique de contrôle actif du bruit. Le son est comme effacé, en quelque sorte. A la fin, ils se retrouvent plongés dans un silence total, tout en observant l’extérieur par une vitre. »

Une manière de prendre conscience de l’agitation qui nous entoure selon cette compositrice de 35 ans qui a découvert Artilect et l’univers des fablabs il y a deux ans. « A la base, je compose de la musique hybride, c’est-à-dire une musique combinant des notes et des sons venant de la musique électroacoustique. » Pour cette diplômée en musicologie, spécialiste de la phénoménologie du son, la rencontre avec le monde des makers a été une véritable révélation. « Grâce à eux, je me suis ouverte à de nouvelles pratiques de médiation associant art, sciences et technologie. Cela a totalement transformé mon métier. »

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Ojasvi Gupta, du Workbench Projects, premier makerspace de Bangalore. © DR

Pour son premier voyage à l’étranger, l’Indienne Ojasvi Gupta n’a pas été déçue. « Je n’ai jamais vu autant de makers réunis en un seul endroit, s’enthousiasme-t-elle. Je suis stupéfaite par le nombre d’idées qui foisonnent ici et par la manière dont les nouveaux venus comme moi sont tout de suite acceptés. »

Il y a trois mois à peine, cette ingénieure de 23 ans passionnée par l’innovation frugale répondait à l’appel à participations du Fablab Festival. Invitée sur la table ronde « Hardware innovation ecosystems in Europe and Asia », Ojasvi Gupta est ainsi venue présenter Workbench Projects, un makerspace inauguré en 2015 en Inde… sous une station de métro de Bangalore ! Un lieu atypique de 460m2 où se côtoient un fabcafé, un incubateur de start-ups, un espace de coworking, un fablab et même un magasin d’outillage. Née dans une famille de la classe moyenne, Ojasvi Gupta avait été repérée l’an passé lors de la présélection indienne du concours international 25 Under 25 organisé par l’Internet Society. C’est lors de la compétition qu’elle découvre le mouvement maker et décide de s’y investir en rejoignant le Workbench Projects.

Ce qu’elle pense de l’innovation frugale ? « Ma vision n’est pas encore complète, mais je pense que l’innovation n’est pas une fin en soi. Dans la vie quotidienne, nous trouvons tous des astuces et des solutions pour régler des petits problèmes en un clin d’œil. Si un maker, un innovateur ou un entrepreneur doit chercher une solution à un problème, il doit prendre en compte trois facteurs : est-ce que ma solution est complète ? Est-elle optimisée ? Est-ce que quelqu’un en a besoin ? Et souvent, on en oublie un des trois ! » Une manière pour elle d’inciter les gens à davantage se poser la question du pourquoi, plutôt que celle du comment. En exemple, elle cite ainsi la futilité de certains wearables et « le gâchis de certaines prouesses technologiques déployées juste pour vous dire combien de calories vous devez brûler. » Et ce qu’elle pense de sa venue au Fabfest ? « J’avoue que j’avais une petite appréhension avant d’arriver, mais vu la chaleur de l’accueil, j’espère bien revenir l’année prochaine pour FAB14 ! »

Le site de Workbench Projects

Constance Garnier, la bonne fée du Fablab Festival

Constance Garnier, entre coordination et rédaction de thèse. © Carine Claude

Qui ne connaît pas Constance Garnier au Fablab Festival ? Depuis la première édition de l’événement en 2015, la jeune femme de 24 ans coordonne avec bonne humeur les relations avec les fablabs et les makers. Son rôle ? « Mettre de l’huile dans les rouages » entre les différents acteurs qui interviennent dans l’organisation et la programmation. « Petit à petit, l’équipe organisatrice s’est élargie, dit-elle. La transmission se fait bien et c’est une bonne chose de passer le relais pour avoir un regard neuf sur ce qu’on fait. »

Elle explique qu’après plusieurs années de Fablab conférences à Toulouse, destinées à faire connaitre le mouvement, le Fablab festival est né avec l’intention d’amener le public dans le Faire.  « C’était notre objectif. Maintenant, j’interviens surtout en support, même si je garde la coordination de la journée des fablabs du jeudi », explique cette doctorante à Télécom Paris Tech accaparée jusqu’en 2019 par sa thèse sur les makers et l’innovation frugale. L’occasion pour elle de prendre du recul tout en continuant à s’investir comme facilitatrice et médiatrice au sein du réseau des fablabs. « Je ne me vois pas arrêter, car cet univers me passionne. Pour moi, l’équilibre consiste à garder les pieds dans le concret tout en maintenant la distance scientifique nécessaire à ma thèse. »

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