Makery

J’ai exploré le désert d’Atacama comme si c’était Mars (2/2)

L'équipe M.A.A.R.S. à 5837m, dans le refuge n°3 près du volcan Nevado Ojos del Salado, à la frontière Chili-Argentine. © Benjamin Pothier

Expérimenter la très haute altitude pour préparer l’exploration spatiale: l’artiste-chercheur Benjamin Pothier raconte pour Makery son expédition sur les hauts plateaux chiliens.

Le Français Benjamin Pothier, artiste-chercheur sur la vie dans des conditions extrêmes à l’université de Plymouth en Angleterre, a été sélectionné pour l’expédition M.A.A.R.S (Mars Atacama Research & Simulation) Analog dans le désert d’Atacama au Chili, en février 2017. Après une période d’acclimatation au manque d’oxygène à des altitudes intermédiaires, l’équipe artistico-scientifique s’est engagée sur les hauts plateaux, direction le Nevado Ojos del Salado, le plus haut volcan du monde qui culmine à 6893m. Deuxième partie du journal de bord de Benjamin Pothier pour Makery.

Une partie de l’équipe de M.A.A.R.S (de gauche à droite) : Thomas Edunk, Jason Reimuller, Chris Lundeen, Benjamin Pothier, Etsuko Shimabukuro, Casey Stedman. © Sebastian Gonzalez Martin

A 4000m, le désert salé de la Laguna Santa Rosa

« Nous avons été chaleureusement accueillis par les gardes du parc naturel à notre arrivée au refuge de la Laguna Santa Rosa, un magnifique salar peuplé de flamands roses andins. Nous avons même eu la visite d’un renard du désert ! Le paysage est digne d’un film de Star Trek. Magnifique, la géologie du lieu me trouble cependant. Nous sommes en effet à 4000m d’altitude mais comme nous sommes sur un plateau, je n’ai pas du tout la même sensation que sur les montagnes de l’Himalaya où il nous avait fallu cinq ou six jours pour arriver à pied à la même altitude… La prise de Diamox, un diurétique prescrit en cas de mal d’altitude, débutée hier, s’avère cependant bien nécessaire.

Flamands roses andins sur la Laguna Santa Rosa. © Thomas Edunk

« Après quelques jours d’acclimatation à 4000m et différents treks et études de terrain, nous partons vers notre camp de base n°1.

A 4350m, le camp de base de Laguna Verde

« Nous sommes restés quelques jours pour nous acclimater à Laguna Verde. Le lieu est utilisé comme camp de base pour les ascensions environnantes. Le camp de tentes est peuplé d’alpinistes chiliens, népalais, anglais, allemands, russes et américains. Certains viennent partager un thé et discuter avec nous. Une partie de nos journées se passe à faire des treks de préparation. J’ai sorti mon équipement d’escalade : chaussures de glacier de 2,5kg, casque, sac chargé de mes équipements photo et vidéo et de survie.

« La sensation d’isolement est un facteur psychologique à prendre en compte : mon terminal satellite Iridium Go a ainsi servi à aider une famille chilienne victime d’un accident dans les environs. Ici, seuls les téléphones satellites permettent de communiquer avec le “reste du monde”. La maîtrise de ce facteur psychologique en milieu extrême est sans aucun doute ce qui rapproche notre expérience d’un entraînement d’astronaute. Chacun est très concentré tout en restant très sociable, et nous vérifions mutuellement les capacités de nos coéquipiers à supporter l’isolement, la fatigue et la très haute altitude, pour la sécurité de l’ensemble du groupe.

Vue du camp de base de la Laguna Verde. © Thomas Edunk
Test d’identification des sols (pH, etc.) et recherche de vie au bord du salar de la Laguna Verde. © Thomas Edunk
L’équipe utilise un spectromètre pour étudier l’environnement similaire à Mars. © Thomas Edunk

A 5255m, le refuge n°2 de l’Ojos del Salado

« L’arrivée au refuge n°2 de l’Ojos del Salado, à 5255m d’altitude, ne s’est pas faite sans encombres : un des 4X4 est resté ensablé sur le trajet, qui de route est devenu piste pour devenir… un désert avec quelques traces de voitures ici et là… Nous nous sommes arrêtés pour essayer de dégager la voiture, et j’en ai profité pour prendre des vues à 360° et apprécier le paysage… Impression de solitude et de vastitude tant l’horizon est large et incroyable, un désert entouré de volcans plus ou moins éteints…

Le camp de base du refuge n° 2. © Thomas Edunk

« Ici, à 5255m, le caractère extrême de l’expérience n’est plus à mettre en doute. Notre équipe de neuf personnes est totalement isolée, le froid se fait encore plus mordant dès que le soleil se couche, le bruit du vent est incessant. Si nous trouvons quelque répit dans le refuge en dur où nous nous réunissons pour les repas, c’est à la promiscuité que nous devons faire face !

« L’adaptation à la très haute altitude se passe plus ou moins bien selon les membres de l’équipe. J’ai la chance de partager ma tente depuis le début avec Thomas Edunk. Son professionnalisme, sa fraternité et ses compétences d’alpiniste sont plus qu’appréciables.

Déjeuner dans le refuge n°2 pour se protéger des vents violents. © Thomas Edunk
L’équipe en route vers le refuge n°3. © Thomas Edunk

A 5837m, le refuge n°3 de l’Atacama

« En plus d’une nouvelle journée d’acclimatation et d’une matinée de test de terrain en géologie (malgré les vents extrêmes), nous avons fait deux allers-retours jusqu’au refuge n°3 pour emporter les équipements nécessaires à l’ascension finale.

L’équipe redescend vers le refuge n°2, au loin le container du refuge n°3. © Thomas Edunk

« Une des composantes de cette expédition est l’exposition à la très haute altitude. Comme me l’avait indiqué à plusieurs reprises le médecin spécialiste de la haute altitude (voir partie 1), une bonne préparation physique et la prise de Diamox la journée précédant l’arrivée à 4000m protège efficacement de certains symptômes du mal aigu des montagnes, mais les dangers restent bien réels. Malgré une certaine fatigue, j’avais réussi à atteindre 5500m sur un glacier inexploré au Népal en 2016 sans endurer aucun des symptômes les plus alarmants : le mal aigu des montagnes frappe environ 20% des individus et peut aller d’un simple mal de crâne et une certaine fatigue jusqu’à l’œdème pulmonaire ou cérébral, qui peut être rapidement fatal. Cette prise de risque intéressait les candidats astronautes toujours avides de performances et de dépassement de leurs limites. L’exposition au manque d’oxygène (hypoxie) est en effet commune aux entraînements des astronautes (apprendre à réagir en cas de fuite d’oxygène par exemple) et à l’alpinisme de très haute montagne.

L’équipe redescend vers le refuge n°2 après une première montée au refuge n°3 pour emporter une partie du matériel d’escalade. © Thomas Edunk

« Tout s’était relativement bien passé pour moi jusqu’à la veille de l’ascension prévue de l’Ojos del Salado. Après une nuit à 5255m, nous sommes remontés jusqu’au refuge n°3, une marche de cinq à six heures avec des charges d’environ 25kg. Quelques heures après l’arrivée, je subis une rétinopathie vasculaire de l’œil droit. En termes non scientifiques, un vaisseau sanguin a pété dans mon œil droit, sans doute à cause de la fatigue, de l’effort et d’une montée trop rapide à 5837m. Malgré tout, le moral reste plutôt bon, ainsi que l’usage de mes facultés mentales, la très haute altitude pouvant également être propice à la désorientation et au délire (notamment à cause de l’hypoxie).

Epuisés par la très haute altitude et les efforts, l’équipe se repose au refuge n°3. © Thomas Edunk

Art en conditions extrêmes

« Je n’ai pas pu participer à la tentative d’ascension du sommet de l’Ojos del Salado. Ayant atteint la même altitude qu’un pilote de l’Air Force et qu’un candidat astronaute très bien entraîné comme Casey Stedman, j’étais néanmoins plutôt satisfait de cette nouvelle performance. J’en témoigne ici aisément puisque tout est redevenu normal depuis mon retour.

« J’ai participé à cette nouvelle expédition autant du fait de mon intérêt pour l’exploration et la performance extrême que pour développer des projets artistiques. En plus de mon habituel travail de photographe et de réalisateur, j’ai collaboré avec le studio de production immersive 360° HERVE.io pour réaliser différents projets immersifs pendant l’expédition. Une première version du film, actuellement en postproduction, sera présentée lors de la conférence internationale Balance-Unbalance à Plymouth (Grande-Bretagne) en août 2017, organisée conjointement par le Sustainable Earth Institute, la réserve Biosphere Unesco du Nord Devon, Beaford Arts et la communauté Fulldome UK.

Premières prises de vue en 360° du désert d’Atacama, photo Benjamin Pothier:

« Aujourd’hui, grâce à une bourse de recherche de l’université de Plymouth, je travaille à développer un projet avec les artistes Daniela de Paulis et Lee Nutbean. Nous prévoyons d’envoyer vers la Lune, sous forme d’ondes radio, des images du terrain de test de la sonde Mars Curiosity depuis le radiotélescope de Dwingeloo (Pays-Bas) et de récupérer ces images depuis un autre radiotélescope après un rebond des ondes radio sur la surface de la Lune.

Benjamin Pothier en plein travail à la Laguna Verde. © Thomas Edunk

Retrouvez la première partie de ce journal de bord et le site de Benjamin Pothier