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«Vies d’ordures»: quand le Mucem fait l’autopsie de nos poubelles

Le tri de la fripe en Tunisie mis en scène par une tente de t-shirts multicolores au Mucem. © Carine Claude

Jusqu’au 14 août, l’exposition «Vies d’ordures» au Mucem de Marseille décortique nos pratiques de recyclage à la loupe ethnographique. L’occasion d’aller y dénicher quelques projets d’upcycling.

Marseille, envoyée spéciale

Faire du neuf avec du vieux. L’adage semblait presque désuet. Mais ça, c’était avant. Le règne de l’obsolescence programmée est en train de changer la donne. Réparation, recyclage, réemploi… de marginales, ces pratiques redeviennent un mode de consommation courant. Voire une mode tout court.

A tel point que le Mucem, le rutilant musée des civilisations méditerranéennes de Marseille, a décidé de leur consacrer une exposition-événement en confrontant objets du patrimoine et collectes ethnographiques récentes pour comprendre l’impact des déchets sur notre environnement et sur notre quotidien. Mieux. L’exposition Vies d’ordures, de l’économie des déchets présente les résultats de trois ans d’une vaste enquête ethnographique conduite par le musée pour comprendre comment les déchets sont récupérés, traités puis transformés dans les pays du pourtour méditerranéen.

Ce triporteur d’un récupérateur du Caire sillonnait encore les rues de la mégapole en 2016 avant de rejoindre les collections du Mucem. © Carine Claude

Près de 50% des quelque 450 objets, œuvres d’art, témoignages et documents de l’exposition proviennent de ces collectes de terrain effectuées en Turquie, Albanie, Egypte, Tunisie, Maroc mais aussi en Europe occidentale.

Les vanneries en plastique d’emballages recyclés, une pratique courante au Maghreb depuis les années 1980. © Carine Claude

Alternant objets insolites et galeries typologiques assez classiques pour un musée ethnographique (les déchets électroniques, les textiles, le plastique, les pneus), l’exposition articulée en six sections présente un panorama de l’histoire économique et sociale du rebut, des filières de tri et de recyclage ou encore des mobilisations citoyennes, avec un focus sur le mouvement international Zero Waste. Le tout à grand renfort de panneaux pédagogiques sur l’économie circulaire et d’œuvres d’artistes ponctuant une scénographie hyper léchée.

Au Mucem, les sacs plastique trouvés dans les poubelles sont eux aussi exposés comme des œuvres d’art. © Carine Claude

La fin du tout-jetable. Vraiment?

Un panneau pédagogique du Mucem sur le circuit international du papier. © Carine Claude

Plutôt exhaustive, l’exposition du Mucem met l’accent sur les solutions alternatives au traitement classique des déchets et sur les tendances du DiY, tout en relativisant leur portée. Selon ses chiffres, seuls 20% des 35 millions de tonnes de déchets produits en France en 2016 ont été recyclés ou réemployés, alors que cette production ne cesse de croître. D’après l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), chaque Français génère désormais 590kg de déchets par an. Soit deux fois plus qu’il y a quarante ans.

Un rapport sur l’économie circulaire du ministère de l’Environnement de mars 2017 confirme cette tendance. Alors que la culture du « repair » et de l’upcycling semble reconquérir du terrain, les dépenses des ménages consacrées à l’entretien et à la réparation des biens de consommation marquent une nette régression : de 583€ par an et par habitant en 1990, elles sont passées à 530€ en 2015, soit une diminution de 9%. Ce qui veut dire que si l’on dépense moins en budget de réparation, c’est que l’on répare plus soi-même. Ou que l’on rachète davantage…

Dépenses de consommation par habitant consacrées à l’entretien et à la réparation. © Datalab, mars 2017

C’est le cas du matériel technologique (50€ de dépense de réparation par an par habitant, soit près de 10% des dépenses totales), au cycle de vie court, seule catégorie continuant d’augmenter depuis le début des années 1990. « La baisse du prix d’achat (…), le coût parfois élevé de la réparation, l’indisponibilité de pièces détachées ou encore l’obsolescence choisie (effet de mode) de certains appareils électriques et électroniques incitent les ménages à privilégier le renouvellement à la réparation », pointe le rapport. A l’échelle internationale, ce sont 39% des Européens qui considèrent que la complexité et le coût de réparation sont des freins à la réduction de leurs déchets.

Des initiatives low-tech un peu folles

Si l’exposition du Mucem, volontairement grand public, privilégie un exposé didactique et ludique pour décortiquer ce sujet aux ramifications socioéconomiques forcément complexes, artistes et makers n’ont pas attendu d’être scrutés par les ethnographes pour questionner nos modes de vie et nos réflexes de consommation.

«Ortawater», installation de Lucy et Jorge Orta (2017) exposée au Mucem. © Carine Claude

Un bon exemple de cette démarche : le duo d’artistes anglo-argentins Lucy et Jorge Orta avec leur série d’installations Ortawater, machines faites d’un bric-à-brac de jerrycans, de bouts de pirogues et de tuyaux qui permettent de pomper, filtrer et embouteiller à faible coût l’eau de sources polluées. Et pas des moindres puisqu’ils avaient lancé leur projet en purifiant l’eau du Grand Canal de Venise lors de la Biennale 2005.

Toujours dans le registre de l’eau low-tech, le catamaran-lab Nomade des mers a quitté le port de Concarneau début 2016 pour une expédition de trois ans autour du monde, avec pour objectif de répertorier et documenter en open source les solutions DiY, durables et anti-gaspi de débrouillards du monde entier. Une autre manière plus « maker » de faire du terrain ethnographique sur les flots.

«Vies d’ordures, de l’économie des déchets», exposition jusqu’au 14 août, Mucem, Marseille (entrée: 9,50€)