Makery

A Londres, les makers face à la gentrification

L'Institute of Making, ouvert en 2013 à l'University College London, est une matériauthèque et un makerspace de 3000 membres. © Elsa Ferreira

Comment se porte la scène maker dans la plus grande ville de l’Union européenne? Makery a fait le tour des espaces de fabrication numérique, moins fablabs que makerspaces. Visite.

De notre correspondante (texte et photos)

Si l’on devait résumer le Londres des makers, on en dirait ceci : c’est une ville chère et intellectuellement bouillonnante. C’est en tout cas le constat d’Elizabeth Corbin, chercheuse et designer à l’Institute of Making. Elle prépare un doctorat sur l’importance du « faire » dans les nouvelles formes de recherche, pour lequel elle a étudié tous les makerspaces de Londres et d’ailleurs.

« Les terrains industriels disparaissent à un rythme dramatique et qui s’accélère, explique-t-elle. Là où il y avait des usines et des industries, et où des individus avaient leurs propres studios, il y a désormais des appartements de luxe. Nous avons donc des artisans hautement qualifiés dans toutes les disciplines qui perdent leurs espaces et se tournent vers les makerspaces. » Un processus souvent terrible qui donne à Londres une place particulière dans le mouvement maker. La dynamique londonienne est du coup beaucoup plus orientée vers les professionnels.

Elizabeth Corbin devant la matériauthèque de l’Institute of Making.

Dans les universités de réputation internationale se forment aussi à Londres des designers, ingénieurs, artistes et artisans avec « une éthique très fortement critique, rappelle Elizabeth Corbin. Au fur et à mesure qu’ils obtiennent leurs diplômes, eux aussi se dirigent vers les makerspaces. Il y a beaucoup moins cette célébration du faire pour le faire. »

Loin des têtes de Yoda en impression 3D, suivez le guide des ateliers où se rencontre le gratin des makers.

La carte de la visite londonienne des labs:

Institute of Making: l’encyclopédie

Il y a du monde dans ce makerspace universitaire. L’Institute of Making (l’Institut du Faire), a été construit en 2013 au sein de l’University College London comme une matériauthèque (bibliothèque de matériaux) par Mark Miodownik, ingénieur spécialiste des matériaux, Martin Conreen, artiste et designer, et Zoe Laughlin, chercheuse et artiste multidisciplinaire. L’idée est alors de remédier « au manque de compréhension de ce qui construit une chose, explique Elizabeth Corbin, pas seulement leur caractère physique mais aussi comment elles sont fabriquées. »

Vue sur l’atelier. A gauche, une partie de la matériauthèque.

La matériauthèque, qui réunit plus de 2000 matières, est depuis devenue un atelier. Sur quelques centaines de mètres carrés, plusieurs espaces de travail (poterie, bois, métal, fabrication numérique), où près de 3000 membres sont accueillis.

La partie plus traditionnelle de l’atelier pour travailler la poterie, le bois, le métal, etc.
Et la partie numérique de l’IoM.

Si l’IoM n’est ouvert (gratuitement) qu’aux personnels et étudiants de l’université, le public peut guetter les événements ouverts à tous.

Institute of Making, University College London, Londres, WC1E 7JE. Ouvert selon les événements.

South London Makerspace: l’associatif

Sous les rails de la ligne de train Southern, dans une ruelle un peu sombre, se cache le South London Makerspace, antre du DiY et de l’esprit associatif. L’endroit a été créé il y a trois ans par trois copains. « Quand on est arrivés, il n’y avait pas de murs, l’eau coulait du plafond et le sol n’était pas recouvert », raconte Joe Atkin, l’un des plus anciens membres de l’association. Depuis, le lieu s’est fait refaire une beauté, grâce au travail bénévole des membres.

Danielle King, Joe Atkin et Barnaby Cooke, membres du makerspace, côté atelier bois.
La partie coworking de South London Makerspace.

Ici, la confiance et l’esprit de partage priment. L’atelier est ouvert 24h/24, 7j/7 grâce à un système de clés laissées à disposition des membres (sous condition d’être parrainé par un autre membre) et l’abonnement ne coûte que 20£ par mois (environ 23€). A ce prix-là, le travail effectué se doit d’être non-commercial (interdiction d’en tirer des bénéfices).

South London Makerspace, Arch 1129, 41 Norwood Road, Londres, SE24 9AJ. Ouvert tous les jours, 24h/24.

Hubworkshop: le maker solitaire

Avant d’être maker, Drew Munden travaillait dans la saisie de biens. Fatigué du « monde de l’entreprise », il décide de se lancer dans la fabrication. Après une visite à San Francisco et son Techshop, il se dit qu’il y a un marché à prendre en ciblant les artistes et designers. Son espace s’avère finalement trop petit pour accueillir plusieurs personnes et Munden change rapidement de business modèle. Surtout, « nous nous sommes concentrés sur la fabrication CNC. Ça nous a permis de travailler avec de plus gros clients et de changer du système d’adhérents qui est chronophage et implique beaucoup de différents projets et processus », explique-t-il.

S’il laisse quelques anciens membres utiliser les machines en libre-service, il a surtout mis ses services à disposition de ses clients et s’est inscrit dans le réseau Opendesk. Il espère ouvrir bientôt un autre espace où il souhaite donner des ateliers à un public plus large.

Le Hubworkshop avec le maker James Green, collaborateur de Drew Munden.

Hub Workshop, Unit 9E2 133 Copeland Road, Londres, SE15 3SN. Non ouvert au public.

Blackhorse Workshop: l’hybride

Direction le nord de la ville, dans un quartier industriel en pleine régénération. Le Blackhorse Workshop (à ne pas confondre avec le Blackhorse Lane Atelier, à quelques centaines de mètres et spécialisé dans le jean) a lui aussi subi un coup de jeune : dans l’entrée, une extension vient d’être construite par les architectes collaboratifs Assemble, lauréats du Prix Turner.

Dehors, des membres de l’atelier donnent un coup de main pour peindre la barrière.

L’atelier était pourtant déjà immense. Un véritable labyrinthe de salles de machines, d’ateliers professionnels pour travailler le bois et le métal, de bureaux partagés et de studios pour accueillir architectes, scénographes, designers, artistes ou bricoleurs amateurs. Pour l’instant, pas d’outils de fabrication numérique mais « on y réfléchit » dit Lola Akodu, en charge du marketing et des événements, qui nous fait la visite.

Une petite partie de l’atelier.
A l’étage, les bureaux (qui ressemblent à des ateliers) et leurs espaces de stockage.

L’atelier est ouvert à tous, professionnels et amateurs, pour des durées allant d’une demi-journée à plusieurs mois. Pour les curieux, des visites sont organisées le samedi.

Blackhorse Workshop, 2 Sutherland Rd, Walthamstow, Londres E17 6BX. Ouvert du lundi au samedi, de 9h30 à 17h30.

Building Bloqs: le professionnel

On savait qu’il fallait parfois s’éloigner des sentiers battus pour se laisser surprendre. Building Bloqs nous en a donné la confirmation. Métro, train puis marche à pied à travers un parc national, nous voici à Building Bloqs, en plein cœur d’une zone industrielle un peu défraîchie.

Le café, lieu d’accueil ouvert au public de Building Bloqs.

Être excentré, c’est dans l’ADN de Building Bloqs : ses cinq fondateurs l’ont créé après s’être fait bouter hors de leur atelier à Hackney, dans l’est de Londres, qu’ils partageaient déjà entre amis et connaissances. Bien vite, ils comprennent qu’ils ne sont pas les seuls dans cette situation et que le besoin de partager un atelier est répandu. Ils décident finalement d’investir cette ancienne usine de meubles, éloignée certes, mais qui a de quoi accueillir près de 3500m2 d’atelier.

Ouverte en 2012, l’affaire tourne. Le business est à l’équilibre et fonctionne sans aide de l’Etat ou des pouvoirs publics. « Ça fait partie de notre ethos, être totalement indépendants », explique Al Parra, cofondateur.

Machines de pros.
L’atelier métal avec Rob Quirk, fabricant de vélos.

Ils sont aujourd’hui 300 membres, tous pros (les autres sont redirigés vers d’autres ateliers plus appropriés comme Blackhorse). Surtout, Building Bloqs est une « preuve de concept », explique Al Parra. L’équipe s’apprête à ouvrir un nouveau projet non loin de là, de l’autre côté du canal : 55000m2 pour « le plus grand atelier ouvert d’Europe », présente-t-il. On y trouvera des activités tournées vers l’électronique, le prototypage et l’assemblage, en plus d’un écosystème pour accompagner les makers (comptabilité, juridique, etc.). A suivre.

Building Bloqs, 4 Anthony Way, Londres N18 3QT. Ouvert du lundi au vendredi de 8h30 à 20h et le samedi de 10h à 19h.

Machines Room: le maker engagé

Retour au centre de la capitale britannique, à quelques pas du parc Victoria et ses canaux. Nous sommes dans le « maker mile », quartier où sont regroupées les entreprises technologiques affiliées au mouvement maker – les meubles open source d’Opendesk, la technologie ludique de Technology Will Save Us… – mais aussi des artisans (du café entre autres) et des fabricants plus traditionnels comme des métallurgistes.

Au cœur de ce centre névralgique de l’industrie nouvelle génération, Machines Room, un fablab dynamique fondé par Thomas Ermacora, architecte et entrepreneur intéressé par le futur de la ville. Dans ce fablab certifié MIT qui participe à l’initiative Fabcity, on s’intéresse donc « au futur de la fabrication, de sa distribution et sa redistribution », résume Nat Hunter, directrice de la stratégie.

Au cœur de Machines Room, la fabrication numérique.

Ici beaucoup de projets, à commencer par les « makers en résidence », invités par le fablab pour développer leurs projets et les partager avec la communauté. La proximité avec Opendesk fait aussi des makers de Machines Room des partenaires idéaux.

Conception d’un fauteuil roulant imprimable en 3D par le maker en résidence Kang Cheng, venu de Chine grâce au programme Hello Shenzhen.
La CNC pour réaliser les meubles en kit d’Opendesk.

Si le fablab tourne pour l’instant grâce au soutien financier d’Ermacora, il va falloir trouver bientôt l’équilibre. D’autant que le bâtiment a été racheté et que Machines Room a désormais un an pour déguerpir. Les lois de Londres…

Machines Room, 45 Vyner St, Londres E2 9DQ. Ouvert du lundi au vendredi de 10h à 18h et le mercredi de 13h à 21h.

Fablab London: le technique

Fablab London aussi est en plein déménagement. Après trois ans passés en plein centre-ville, à Bank sur les berges de la Tamise, les deux fondateurs Tony Fish et Andrew Gregson ont eux aussi dû chercher de nouveaux locaux. C’est dans le chic Notting Hill, à l’ouest, que le fablab a trouvé refuge.

Fablab London dans ses nouveaux locaux à Notting Hill.

Installé dans une pièce attenante à Eagle Lab, un espace de coworking sponsorisé par une banque où la plupart des entreprises fabriquent du hardware (objets connectés, purificateur d’eau…), le fablab est à la disposition des coworkers comme du grand public.

Dans l’espace de coworking, on sait visiblement se servir d’une imprimante 3D.

D’ici quelques mois, le fablab devrait s’installer à Here East, gigantesque hub technologique dans le parc olympique, inauguré en janvier 2017.

Fablab London, 81 Palace Gardens Terrace, Notting Hill, Londres W8 4AT. Ouvert du lundi au vendredi, de 9h à 17h.

London Hackspace & Biohackspace: les mystérieux

Le problème avec les hackers, c’est qu’il faut suivre des règles bien précises. Quand on est allée au London Hackspace sans demande formelle d’interview, on nous a gentiment dit de revenir avec une autorisation. On attend toujours une réponse… Si vous ne prévoyez pas d’importuner les membres du hackerspace, on vous recommande tout de même d’aller y faire un tour. Il y a du monde et de quoi bidouiller. What else ?

On a tout de même visité le Biohackspace, au sous-sol, fondé en 2011, qui a pour but de « permettre à ceux qui n’ont pas accès à un lab d’apprendre les techniques fondamentales de la microbiologie moderne et à ceux qui travaillent dans un lab d’améliorer leurs connaissances », explique Nicholas Fitzroy-Dale, l’un des cofondateurs.

Le lab a une quarantaine de membres qui travaillent sur de nombreux projets : du groupage sanguin, de la modification génétique de bactéries ou encore de l’observation d’oursons d’eau (ou tardigrades). Le groupe a également commencé une série d’ateliers sur la biologie moléculaire.

Cours d’introduction aux règles de sécurité du Biohackspace.

London Backspace et Biohackpace, 447 Hackney Rd, Londres E2 9DY. Ouvert aux membres 24 h/24 et 7 j/7.

Makerversity: l’incubateur créatif

C’est dans un endroit emblématique du Londres créatif que nous finissons la visite : Somerset House, complexe de salles d’expositions, conférences, studios d’artistes et cafés sur les bords de la Tamise. C’est ici que se trouve Makerversity, sorte d’incubateur de start-ups de makers « au sens large », précise Esther Ellard, community manager.

Bureaux avec vue sur la Tamise.

L’endroit a été créé il y a quatre ans par quatre fondateurs, Paul Smyth, Andy Merritt, Tom Tobia, Joe Smith, tous impliqués dans l’écosystème des start-ups. Les locaux sont alors abandonnés et les fondateurs les obtiennent à bas coût pour les remettre à neuf, s’installer et contribuer au programme culturel de Somerset House, soit en aidant les artistes à fabriquer ce dont ils ont besoin, soit en exposant eux-mêmes leurs travaux.

La fabrique de makers accueille désormais 250 membres pour 80 entreprises, parmi lesquels Fairphone, fabricant de téléphones portables éthiques, une entreprise de lunetterie en impression 3D ou encore les organisateurs de hackathons Hackitarians.

Salle de découpe.
Salle d’assemblage.
Une collection d’imprimantes 3D.

L’équipe a aussi lancé une branche à Amsterdam en avril 2016.

Makerversity, Old Post Room, Somerset House, Victoria Embankment, Londres, WC2R 1LA. Ouvert aux membres seulement.