Makery

Coloco jardine la Nation

Le collectif Coloco souhaite transformer la place de la Nation à Paris en parc traversé par des voitures. © Coloco

Coup d’envoi cette semaine des actions expérimentales du collectif Coloco pour réaménager la place de la Nation à Paris. Avant la réduction de moitié des voies routières mi-avril, Makery a fait un tour de la place avec le collectif.

Dans les trois années qui viennent, Paris va réaménager sept de ses grandes places, dans l’objectif de réduire drastiquement la circulation routière et de rendre les places de la Bastille, des Fêtes, Gambetta, d’Italie, de la Madeleine, de la Nation et du Panthéon aux piétons.

C’est à des collectifs rassemblant architectes, sociologues, paysagistes et artistes que la Ville de Paris a confié cette mission. Genre et Ville, Emma Blanc Paysage et le Collectif Etc ont la responsabilité de la Madeleine et du Panthéon. Le collectif Quatorze commence à intervenir place des Fêtes et bientôt à Gambetta. L’équipe créée par Julien Beller, l’architecte du lieu d’accueil des migrants à la porte de la Chapelle, est responsable de la Bastille. Enfin, les mains vertes de Coloco auront à penser la place d’Italie et s’attaquent déjà, en pleine période électorale, aux grands espaces de la Nation.

La mairie a également choisi une configuration expérimentale en faisant appel à deux maîtrises d’œuvres pour chaque site : la première, confiée à ces collectifs, s’occupe de la prise en compte de l’expérience usagers, et les intègre à la conception et à la réalisation des ouvrages de surface (plantations, mobilier…) tandis que la deuxième s’occupe du plateau technique (tuyauterie, voirie, sous-sols, matériaux de surface…).

L’équipe Coloco place de la Nation lors d’une permanence dédiée à la médiation. © Victor Didelot

Ce mercredi 1er mars, nous avons rendez-vous à la permanence de Coloco place de la Nation. Un modeste container, installé début février côté boulevard Diderot, y présente une carte de préfiguration. Ils sont cinq de l’équipe à nous accueillir pour nous présenter le projet Jardination.

Deux fois moins de voiture à la mi-avril

Jusqu’à la mi-avril, l’occupation de la place de la Nation est légère et festive (un container pour assurer la médiation, des opérations artistiques pour mobiliser les habitants). Mais le chantier de trente-six mois prévoit une restriction drastique de l’espace dédié à la voiture : 3 000m2 reconquis pour les piétons en une seule nuit, dans la semaine du 10 au 14 avril ! Pour Pablo Georgieff, architecte-paysagiste aux manettes du collectif Coloco, « c’est une décision courageuse de la part de la mairie, techniquement et politiquement, parce qu’on ne sait pas très bien comment le trafic va se comporter et qu’on est sûr qu’il y aura des détracteurs qui s’empresseront de commenter les potentiels embouteillages ».

Le container Coloco place de la Nation, près du kiosque à musique. © Victor Didelot

Dès le début, le rond central sera réduit de 14m (sur les 26 actuels), puis les contre-allées seront récupérées. « L’idée est de faire de Nation un parc traversé par les voitures, explique Pablo Georgieff. De lui donner une symbolique verte forte dans Paris. » En ligne de mire, la reconnexion du jardin central au reste de la place, « l’apaisement des contre-allées » pour ouvrir des perspectives et renforcer l’attractivité du lieu par la présence de l’eau et du végétal.

«1000 plantes du monde entier, adaptées au climat parisien, seront plantées. La sécurisation des traversées, la signalétique, le mobilier et l’éclairage permettront d’harmoniser l’ensemble et de retrouver le plaisir de marcher, de jouer et de cultiver sur la place.»

Pablo Georgieff, Coloco

Pendant la période de transition, Coloco travaille avec la street-artiste Daginsky sur un dispositif qu’ils appellent le Play-Round dans la boucle récupérée sur le rond-point de Nation : « Ce sera un espace pour faire des courses, des jeux, des prototypes, etc. Nous testerons des systèmes de guidage au sol, des passages piétons, des guides pour les mal-voyants, un grand laboratoire du marquage au sol, à la fois ludique et expérimental », précise Daginsky tandis que nous tournons autour du rond-point. « On veut aussi repenser le rond-point central, sortir du fleurissement cimetière. Regardez moi ça, ci-gît l’art des jardins », plaisante Pablo Georgieff.

Graphisme de Daginsky pour Jardination. © Coloco

Un nouveau réseau du faire

Dans les contre-allées, Coloco prévoit douze stations, des petites installations entre mobilier et contenant végétal. Ces « douze travaux de la Nation » doivent permettre de « réapprendre des gestes de perception comme regarder le ciel, écouter son cœur, siffler son air préféré, se retrouver un peu avec soi-même et avec la ville », raconte Pablo.

«Nous concevons la transition comme un espace expérimental ouvert au citoyen qui veut dans la journée vivre et penser différemment la Nation.»

Pablo Georgieff, Coloco

Nation, avec et sans métaphore, car Coloco souhaite valoriser ses idées du faire autrement, et peut-être faire jurisprudence dans les marchés publics. Même s’il y a encore beaucoup de travail pour que les services municipaux comprennent la démarche des collectifs. « La mairie pense même à un guide », raconte Pablo. L’architecte-paysagiste Benoît Coppens, chef de projet chez Coloco, précise : « Ce nouveau réseau du faire, c’est aussi ce que la Ville nous demande. Les équipes parlent beaucoup d’intégration sociale et ont des attentes et des désirs, mais ne savent pas concrètement ce que cela peut donner. Il n’y a finalement pas autant d’acteurs de quartier, de récepteurs et d’opérateurs, que l’on peut imaginer. Et pendant les trois années qui viennent, qui va réellement animer sur place ? Quels types de personnes peuvent être formées pour agir lors des événements ? Ce sont aussi des choses que nous devrons évaluer et qui serviront de preuves sur ce qu’il est bon de faire dans un espace public regagné. »

Les habitants curieux viennent se renseigner sur le futur réaménagement. © Victor Didelot

Changement d’échelle pour les collectifs

C’est un changement d’échelle important pour des collectifs qui depuis des années défendent l’utopie de construction et d’aménagement d’espaces pour faire vivre et penser les communs. Pablo Georgieff en a conscience : « On est confrontés là à une question que je me pose depuis une dizaine d’années. Est-ce que les collectifs représentent réellement un mouvement suffisamment cohérent pour avoir une représentativité politique ou syndicale ? Est-ce dans leur nature de le faire ? Est-ce que cela a un sens ou est-ce qu’on ne le fait pas par manque de temps ou de capacité ? Est-ce un mouvement qui nécessite d’autres modalités de gouvernance et de représentation ? »

Pablo Georgieff reste très « circonspect » sur la normalisation et l’idée d’une charte sur les activités des collectifs. « Derrière ce que l’on appelle les collectifs, il y a beaucoup de réalités très différentes, avec des agendas différents. Si nous avons fondé un collectif en 1999, c’était pour sortir des vieilles pratiques et nous affranchir des procédures administratives classiques de projet. Si c’est pour retomber vingt ans après dans ce que l’on critiquait, est-ce que cela fait vraiment sens ? » Coloco se dit prêt à mettre ses actions à l’épreuve de l’échelle dans les trois années à venir, à argumenter et intégrer les éventuelles critiques : « Ce n’est pas parce que l’on mène cela en “collectif” qu’on va éviter le débat. »

Brouettes, bal et opération divan

Ce mercredi 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Coloco entame une longue journée d’action « Place aux féminins » pour célébrer les femmes au sein de l’espace public parisien. Une journée rythmée de temps d’action, de parole, avec un parcours de brouettes « Desti-Nation » et un bal « Nous les femmes » en fin de journée, près du kiosque à musique et du container de médiation. On pourra par exemple suivre le Piit (Peloton d’investigation informel du territoire), un outil mobile de créations communes constitué d’une flotte de vélos customisés et d’un vélo atelier.

Ces actions visent aussi des objectifs opérationnels liés au diagnostic des usages, qui vont se traduire par la récolte de données. Les 9 et 10 mars, Coloco et l’Agence nationale de psychanalyse urbaine (ANPU) mettront en place une « Opération Divan » dans le cadre de leur analyse sensible de la place de la Nation.

En savoir plus sur «Place aux féminins», le 8 mars toute la journée, et sur l’«Opération Divan» ANPU, le 9 mars (15h-19h) et le 10 mars (17h-21h)

En savoir plus sur le collectif Coloco et le blog de Jardination