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Comment Constructlab bâtit des «lieux pour penser le commun»

En 2014, Constructlab participait au chantier collectif Osthang Projekt de réoccupation d'un jardin en friche à Darmstadt, en Allemagne. © Kristof Lemp

Informel et «sans domicile fixe», le collectif international Constructlab mène des projets d’architectures éphémères partout dans le monde. Rencontre à Berlin avec Alexander Römer, membre fondateur.

Berlin, envoyé spécial

Constructlab est né en France de la rencontre avec le collectif Exyzt, mais est basé à Berlin. Alexander Römer, architecte passé par des années de compagnonnage, est l’un des membres fondateurs de ce collectif international de constructeurs d’architectures éphémères. Rencontre à Berlin, à l’occasion de la mise en ligne de leur nouveau site internet.

Comment est née la pratique collective de construction à l’origine de Constructlab?

Dès l’école d’architecture, j’ai raconté mon expérience de plusieurs années en compagnonnage de charpentier un peu partout en Europe et fait part de mon envie de projets de construction. Grâce à cette expérience et aux deux ans que j’ai passés en objection de conscience chez Pierre Rabhi, au Carrefour international d’échanges de pratiques appliquées au développement (Ciepad), dans le sud de la France, j’avais déjà un certain nombre de contacts. Notre premier projet de trois chantiers chez les sœurs grecques orthodoxes du Monastère de Solan, près d’Uzès, une communauté religieuse parmi les premières engagées dans l’écologie, a fondé l’idée de ce qui est ensuite devenu Constructlab : partager une manière de faire et constituer un « groupement d’intérêt » (en allemand Interessegruppe). Nous étions 5 à 7 personnes, pas toutes compétentes en matière de construction, certaines venaient des sciences humaines, mais toutes avaient envie d’apprendre. De la même manière, Constructlab n’est pas un groupe clairement délimité, plutôt un rassemblement de personnes qui se retrouvent sur des projets précis. C’est quelque chose d’évolutif, non fermé, qui fédère autour de l’intérêt partagé.

Après le réseau Pierre Rabhi, je me suis investi dans le projet d’expérimentation pour l’habitat de Cantercel sur le plateau du Larzac. En 1990, des architectes issus de l’École spéciale d’architecture à Paris et de l’atelier Sens et Espace créé dans les années 1970 par l’architecte Hervé Baley, dans l’esprit de l’architecture organique de Frank Lloyd Wright, ont créé l’association Sens Espace Europe et monté ce lieu expérimental d’architecture. J’y ai construit ma petite cabane et y ai encadré la plupart des réalisations sur place de 1998 à 2012. 

Osthang Projekt, occupation d’un jardin en friche en juillet 2014 en Allemagne, à l’initiative du collectif berlinois Raum Labor, avec la participation de Constructab. © Constructlab

Comment le nom Constructlab a-t-il pris forme?

J’ai travaillé avec Raum Labor sur Der Berg (la montagne), une montagne artificielle construite avant la démolition du Palast der Republik de Berlin. Je m’étais occupé de l’auberge, le camp de base pour ceux qui la construisaient. J’y ai rencontré Nicolas Henninger du collectif français Exyzt, qui avait été invité à monter une équipe de constructeurs de montagne. Il y avait des Serbes, des Autrichiens, les Français de Directeur Général (Gonzague Lacombe et Daginsky).

Der Berg (la montagne), projet Raum Labor à Berlin, 2006:

Le collectif Exyzt m’a ensuite proposé de participer au projet Metavilla pour Patrick Bouchain à la biennale d’architecture de Venise en 2006, qui était pensé en compétences, le Graphic Lab, le Vidéo Lab, et donc le Construct Lab – la compétence que je pouvais apporter. Le nom vient de là.

«Metavilla», biennale d’architecture de Venise 2006, collectif EXYZT:

A quel moment avez-vous pris le «virage» du recyclage des matériaux des actions menés?

À Venise en 2008, le projet Rebiennale, en organisant des workshops sur le désassemblage des sites de la biennale et la récupération pour l’auto-construction, a attiré l’attention sur l’énorme quantité de matériaux jetés par les biennales d’art et d’architecture. Exyzt s’est impliqué avec des jeunes de centres sociaux, avec le collectif Stalker Osservatorio Nomade et les Hollandais de 2012 Architecten, qui constituaient des cartes pour repérer le trajet des matériaux et qui aujourd’hui, sous leur nom Superuse Studios, gèrent le projet Harvest Map, une marketplace pour les upcyclers professionnels en Hollande.

C’était la première fois qu’on pensait le ré-usage des matériaux, avec l’idée de constituer un pavillon pour le peuple kurde pour la biennale d’art de 2009. Nous avons décidé de ne pas nous focaliser sur l’idée d’un Etat-nation kurde, mais de réfléchir à l’identité kurde, à sa diaspora sur la Planet K, la planète Kurdistan.

J’ai également participé à un autre projet sur le recyclage avec Patrick Bouchain et le philosophe Michel Onfray à Argentan (Normandie), la ville natale de Michel Onfray qui y organise son Université populaire du goût. Entièrement construit en récup, sur la base de deux containers en fin de voyage et d’une charpente déclassée de notre aimable hôte et charpentier à Argentan, Benoît Budin, le Manable a servi autant d’abri et de rassemblement pour les jardiniers du projet de réinsertion écologique que de cuisine pour les séances de l’Université populaire. 

Le Manable, lieu collectif pour l’Université populaire du goût de Michel Onfrey, a été bâti en 3 mois en 2007. © Constructlab

D’un collectif à l’autre, à quel moment le Constructlab s’est-il «construit»? 

Le Southwark Lido à Londres en 2008 a constitué un grand moment fédérateur. Avec Exyzt, nous avons construit toute la structure sur place, nous habitions en faisant, beaucoup de monde y passait, les futurs Assemble et les Practice Architecture y sont venus en stage… Constructlab a véritablement pris son envol au Portugal en 2012, sur le projet de Guimarães, capitale européenne de la culture.

Réunion de travail du collectif Exyzt lors du projet Southwark Lido en 2008. © Exyzt

Exyzt était devenu une structure compliquée à gérer. Beaucoup ne voulaient plus perdre leur énergie à tourner en rond dans des réunions. Avec Nicolas Henninger, nous avons proposé d’ouvrir l’invitation faite par le Curators’ Lab de Guimarães (un projet de résidence dans l’ancienne usine Asa, ndlr) à des jeunes de Guimarães. Nous avons impliqué une trentaine d’étudiants locaux sur le chantier Construir Junto. Même si notre intervention était prévue pour trois mois seulement, nous avons créé les conditions pour qu’ils puissent y travailler toute l’année. C’est ce qui s’est passé. La grande structure a servi de lieu de présentation du Curator’s Lab toute l’année, la cabane de chantier est devenue le café, et en septembre, je suis revenu pour penser la suite. 

Construir Junto à Guimarães, capitale européenne de la culture 2012. © Constructlab

Nous avions construit l’ensemble avec des planches de 2,40m sans les tailler, ce qui représentait 40m3, soit environ 12km en linéaire. Nous savions que nous pourrions récupérer le bois. La commissaire Ligia Afonso nous a présenté à des villageois de Cova do Vapor, un village d’implantation sauvage très particulier, informel. Avec l’association des habitants pêcheurs qui ont construit eux-mêmes le drainage des eaux, nous avons conçu un projet de ré-usage du bois et obtenu un permis pour construire une cabane de plage temporaire. La Casa do Vapor incluait des programmes proposés par les villageois eux-mêmes, autour d’une cuisine, d’une école de surf, d’une bibliothèque, d’activités pour les enfants. Nous avons eu un peu de soutien de la triennale d’architecture de Lisbonne pour l’équipement de la cuisine mais dans l’ensemble, le projet était totalement basé sur une économie contributive.

La Casa do Vapor près de Lisbonne en 2013. © Constructlab

Au bout de six mois s’est posée la question du démontage. On nous a proposé de déplacer le projet dans un village de type favela, sans eau courante. Le projet a pris la forme d’une structure montée avec le même bois sur une petite place pour centraliser l’usage de l’eau autour d’une cuisine. Pour le mener à bien, nous avons transmis le projet à des jeunes de la région. Nous sommes toujours impliqués avec l’association créée pour Casa do Vapor, notamment autour de Plataforma Trafaria, une initiative de laboratoire temporaire dans une ancienne prison. Lors de la dernière triennale, nous avons encore mené avec eux des activités de construction.

Atelier Constructlab à la Plataforma Trafaria, triennale d’architecture de Lisbonne, automne 2016. © Constructlab

L’un des plus importants projets réalisé par Constructlab s’est déroulé en Belgique dans le cadre de Mons capitale européenne de la culture 2015. De quoi s’agissait-il?

Nous avons été invités par le département de la jeunesse et des actions locales dans le cadre de Mons capitale européenne de la culture 2015, avec un budget réduit autour du thème « Mon(s) idéal ». La question qui s’était déjà posée à Guimarães était aussi au cœur de multiples projets locaux, à savoir : qu’est-ce qu’une année capitale européenne de la culture artificiellement construite peut générer par la suite ? Un nombre conséquent d’initiatives devaient avoir lieu tout au long de l’année, nous devions nous retrouver à l’automne pour questionner l’après. Notre offre était de construire un lieu qui pense le commun. Nous avons trouvé un site, une sorte de parc public au-dessus de casemates militaires, abandonné depuis une quinzaine d’années. Nous l’avons réouvert et équipé de toilettes, d’une cuisine, de cabanes pour y habiter. C’est pour nous le meilleur moyen de comprendre la situation, le quartier, de gérer la proximité, les besoins des habitants, d’être réactifs à ce qu’il se passe autour de nous. Nous avons pensé Mon(s) Invisible – Jardin suspendu autour d’une typologie qui compte beaucoup pour nous, l’agora, conçue comme un lieu de débat, de rencontre, de présentation, de rituels, de performances, etc. Pendant les trois mois d’activation du lieu, nous y avons accueilli des concerts de musique africaine, des classes de yoga, des banquets médiévaux, etc. Les Compagnons du levain, des habitants qui avaient monté un four à pain dans notre jardin, proposaient des ateliers hebdomadaires pour apprendre à faire du pain. Avec entre autres les pétanquistes qui jouaient dans les casemates en-dessous, ils ont créé une association et ont pu réouvrir le lieu l’année suivante.

Agora de Mons Invisible, Mons capitale européenne de la culture 2015. © Constructlab

Comment voyez-vous l’avenir du collectif?

En décembre, nous avons organisé une rencontre sur deux jours où nous étions près d’une trentaine autour de la structuration de Constructlab, qui jusque-là est restée assez informelle. La première journée était consacrée à la présentation des différents projets, près de 35 en 2016. Cela nous a permis de voir les différentes manières dont ils ont été menés, quelles genres de réponses on donne à l’invitation d’une école, d’un festival, d’une biennale, d’une municipalité, etc. Pour le moment, nous fonctionnons sur le regroupement d’intérêt. Dans cette dynamique collective, chacun reste cependant indépendant. Lorsque l’un d’entre nous décide de s’engager dans une action au titre de Constructlab, il assume d’en porter la responsabilité.

La deuxième journée était consacrée aux évolutions possibles : comment structurer les responsabilités, qui a envie de les prendre… Nous voulons que le projet perdure et ne soit pas terni pas des frustrations, nous prenons le temps car c’est quelque chose que nous ne voulons vraiment pas rater. C’est pourquoi nous avons demandé son avis sur la possible structuration à un consultant extérieur. Nous allons sans doute continuer avec le groupement d’intérêt d’artistes, mais pensons à créer une association pour gérer les biens communs et créer un lieu à Berlin, un Constructlab. Pas un fablab, plutôt un lieu de convergence d’architectes, de designers, d’artisans et d’artistes. Nous souhaitons aussi l’ouvrir à la fabrication numérique, mais il faut que nous rencontrions des gens compétents avec qui collaborer.

Et vos projets pour 2017?

Nous avons deux projets en cours ici à Berlin. Pour le ZK/U, un centre d’art et d’urbanisme, nous concevons une extension du bâtiment de manière assez parasite, car ils n’ont pas vraiment le droit, la question étant de savoir comment travailler dans la zone grise légale. Le deuxième projet est à l’Université du Bauhaus, avec le designer Le Van Bo, pour concevoir une « tiny house », un tiny construct lab si l’on veut, une sorte de remorque qui va se déplacer pour des actions.

Visualisation pour le projet Mont Echo, Montréal 2017. © Constructlab

 

Notre plus gros projet cette année émane d’une invitation à Montréal sur la symbolique du Mont Royal qui se trouve au cœur de la ville. Comme le Mont Royal n’est pas si grand bien que tous les Montréalais nous en parlent, nous allons en créer l’écho. Une copie du Mont Royal sous forme d’une montagne artificielle en bois qui, nous l’espérons, va devenir pour deux à quatre années un lieu de rassemblement de la communauté locale. Ce projet intermédiaire est prévu sur le terrain du futur campus de l’université des sciences qui intègre déjà beaucoup d’initiatives de jardinage aux alentours. Un chantier international est prévu en juillet, avec une forme vivante, de la performance, des initiatives des gens du voisinage et des associations que nous avons rencontrées en repérage. Nous souhaitons également organiser des rencontres de science citoyenne pour trouver une passerelle entre l’éducation populaire et la future université.

Le nouveau site de Constructlab