Makery

Au Fabcafé Singapour, un petit fabcoin sous une grande fleur de lotus

Le foyer du Artscience Museum à Singapour, où s'est installé le Fabcafé Singapour. © Cherise Fong

Ouvert depuis six mois au sein de l’avant-gardiste Artscience Museum, dans le nouveau quartier commercial et touristique de Singapour, le Fabcafé est le dernier-né du réseau international créé à Tokyo en 2012.

Singapour, envoyée spéciale (texte et photos)

« What do you fab ? » Le fameux slogan du réseau international Fabcafé, né à Tokyo en 2012, se lit en grosses lettres rouges gravées sur le côté d’un modeste stand carré en bois, niché dans un coin du foyer du nouveau Artscience Museum de Singapour. De face, les lettres blanches sautent aux yeux sur fond de pancarte rouge, derrière laquelle on aperçoit des machines de fabrication numérique et des échantillons de toutes sortes, le tout avoisinant un long comptoir équipé de machines à expresso où sont proposés gâteaux et sandwichs aux visiteurs du musée.

Le coin maker du Fabcafé Singapour.

Si la franchise est facilement repérée, la situation n’a rien d’ordinaire. Le Fabcafé Singapour habite le foyer d’un musée art et sciences, hébergé dans un bâtiment en forme de fleur de lotus tout au bout du nouveau complexe commercial et touristique de Singapour. Lequel tourne autour d’une piscine observatoire perchée sur trois tours d’un hôtel de luxe attaché à un grand casino.

Chris Drury, l’un des quatre fondateurs du Fabcafé Singapour, reconnaît bien l’opportunité singulière de cette juxtaposition surréelle : « Nous sommes très conscients de cet espace haut-profil et nous voulons lui rendre justice », dit-il.

Les fondateurs ont mis presque deux ans pour ouvrir au public leur petit fabcoin en septembre 2016. Chris Drury, qui a fondé le café espace de coworking Impact Hub Singapore, y a rencontré le designer Brandon Edwards. Ils sont vite rejoints par Adeline Setiawan, éducatrice ultra-branchée au mouvement maker local, puis par Wouter van Hest, un ingénieur designer néerlando-taïwanais qui connaît bien les Tokyoïtes du Fabcafé original et cherche à prolonger l’expérience à Singapour. Le projet se concrétise avec l’invitation lancée par Honor Harger, directrice visionnaire du nouveau Artscience Museum, à investir le foyer sous-exploité du musée pour y installer leur café hi-tech. Après deux ans de bureaucratie, d’approbations gouvernementales et d’installation, le Fabcafé Singapour est lancé.

Le comptoir café du Fabcafé Singapour, et ses deux lampes-fusées créées en atelier.

Aujourd’hui, le café accueille jusqu’à mille visiteurs du musée chaque fin de semaine, des familles singapouriennes aux touristes du monde entier. Si la plupart des visiteurs ne sont pas forcément des makers, explique Adeline Setiawan, ils découvrent en curieux l’aspect fab et voient le fabcafé comme une extension du musée dédié à l’intersection entre art et science, technologie et design. Les enfants et parents commencent par manipuler avec enthousiasme les divers objets découpés et imprimés, puis Adeline Setiawan leur explique que dans le café tout est fabriqué par ces machines et conçu spécialement pour cet espace. Le menu au-dessus du comptoir a été découpé au laser, chaque tabouret a un siège de bois en mosaïque, les étagères sont fabriquées par un maker local, les plantes sont fournies par le groupe d’agriculture urbaine Edible Garden City… Bref, tout dans cet espace a été fabriqué par la communauté maker de Singapour.

Textiles à la Escher

Comme tous les fabcafés du réseau, le Fabcafé Singapour est d’abord un café, qui propose également les incontournables logiciels et outils de fabrication numérique (une découpe laser, une imprimante 3D classique et une à résine), ainsi que des ateliers et autres activités orientés makers ouverts au grand public. Grâce à leur collaboration avec la direction et les commissaires du Artscience Museum, l’équipe du fabcafé organise des workshops en liaison avec les expositions temporaires. Les enfants ont ainsi pu apprendre à fabriquer et programmer une lampe-fusée après leur visite de l’expo sur la Nasa, tandis que les participants d’un atelier plus avancé organisé avec la Singapore University of Technology and Design (SUTD) ont imprimé des textiles avec les motifs de mosaïque infinis des dessins de l’artiste M.C. Escher, qui fait l’objet d’une rétrospective au 3ème étage. Autre activité pérenne à succès, la gravure au laser de tampons personnalisés.

Textile imprimé en 3D: d’un côté, la texture du dessous d’un champignon, de l’autre, la texture du dessous d’une raie manta.
Impression en relief (2.5D) d’une reproduction de «Angels and Devils» de M.C. Escher.

«Raconter une fabhistoire»

« On essaie de proposer quelque chose que les gens peuvent rapporter chez eux, une fabhistoire à raconter à leurs amis », explique Adeline Setiawan. Mais elle ajoute que depuis l’ouverture du fabcafé, on y voit de plus en plus de geeks. Le lieu a déjà accueilli des événements pour le groupe Hackware, la conférence Devfest.Asia. Un radiologue est venu imprimer une aorte pour en faire la démo à ses collègues et une chercheuse en neurosciences voudrait y installer une œuvre artistique. Le Fabcafé Singapour est désormais très sollicité pour des collaborations, des conseils, l’organisation et l’accueil de projets divers.

L’équipe envisage de développer le café avec une vraie cuisine afin d’élargir le menu, d’activer davantage les machines au service du public (avec peut-être bientôt une imprimante 3D de chocolat…), et de proposer plus d’événements en soirée de type Pechakucha, ainsi que leurs propres événements sous le label Fabcafé Singapour.

Vase 3D pour cactus.

« Il y a beaucoup de machines à Singapour, poursuit Adeline Setiawan, mais peu de gens savent comment s’en servir. On a beau avoir les machines et la capacité de produire quelque chose, si on ne sait pas comment créer les fichiers pour fabriquer un objet, le mouvement ne va pas décoller. Très souvent des gens me demandent : “Qu’est-ce qu’on peut faire avec ces machines ?” Je leur montre les matériels, les échantillons. Mais quand je leur demande s’ils savent ce qu’ils veulent fabriquer, ils répondent : “Ah non, je vais rentrer y réfléchir.” C’est rare qu’ils reviennent. Parmi la population singapourienne, peu de personnes se considèrent comme des créatifs. Il n’y a rien de mal à cela, mais ils sont plus réticents à créer. Cependant la tendance récente est de fabriquer et vendre ses propres produits, comme un entrepreneur. L’appartenance à cette culture maker se développe progressivement à Singapour. »

Les visiteurs sont invités à créer leur propres dessins avec ces tampons-bouchons découpés au laser du fabcafé.

En se retournant vers le petit coin maker, Adeline Setiawan se dit particulièrement optimiste pour l’avenir du Fabcafé Singapour : « Ici, c’est un espace familial. L’extérieur peut être opprimant mais l’intérieur est chaleureux et sympathique. La pédagogie de cet espace ne se trouve pas que dans les ateliers. Toute expérience peut potentiellement éduquer et permettre de partager avec le public ce qui peut être réalisé grâce à la technologie, au-delà de l’artisanat traditionnel. Pour moi, la technologie est tout simplement une nouvelle façon de faire. Il n’y a rien de nouveau au monde, sinon une continuation de ce qui existe déjà. »

Adeline Setiawan derrière le comptoir du Fabcafé.

Le site du Fabcafé Singapour et celui du Artscience Museum