Makery

Anouk Wipprecht met le corps sur écoute

La Synapse Dress (2014) se synchronise avec l'activité électrique du cerveau. © Anouk Wipprecht

Rencontre avec la fashion-tech designer Anouk Wipprecht et son vestiaire fantastique, peuplé de robes interfaces dopées aux données. Une passion que la Néerlandaise a développée dans la communauté open source.

L’ingénieure et designer hollandaise Anouk Wipprecht explore une mode hi-tech qui remplirait les fonctions d’une interface. Sa capacité à matérialiser cette vision dans ses prototypes impressionne. C’est peut-être la Spider Dress qui résume le mieux son travail. Cette robe robotique conçue en 2015 avec Intel exploite toute la palette maker : microcontrôleurs, impression 3D, robotique, biocapteurs. En cas d’intrusion, la robe est à l’offensive, agitant ses bras arachnéens pour écarter la menace.

Anouk Wipprecht façonne l’idée d’un vêtement symbiotique depuis plus de dix ans. Ses vêtements sont sensibles aux données biométriques et aux facteurs environnementaux et mettent en scène les données : transferts de fluides dans sa série Pseudomorphs en 2010, corps caché/montré avec Intimacy, voire envapé de fumée pour escamoter le corps avec la Smoke Dress en 2013, en collaboration avec l’architecte Niccolo Casas. En 2014, la Synapse Dress puise directement ses données dans le cerveau. Rencontre avec une créatrice qui trouve le temps d’alimenter sa page Instructables.

Anouk Wipprecht était en février à Paris, pour le Digital Makers Meetup. © Nicolas Barrial

Vos créations combinent mode, design, ingénierie. D’où cette envie vous est-elle venue? 

Je suis moitié issue d’un cursus, moitié autodidacte. J’ai commencé par la couture et la confection quand j’avais 14 ans. Mais je me suis vite ennuyée car mes réalisations et les textiles étaient encore « analogues ». Quand j’ai eu 18 ans dans les années 2000, je me suis initiée à la robotique et aux microcontrôleurs, notamment à l’université de Malmö où David Cuartielles, un des co-fondateurs d’Arduino, enseignait. A partir de là, j’ai commencé à étudier le design d’interaction. L’ingénierie proprement dite, je l’ai apprise avec des amis en fréquentant des hackerspaces et sur Internet. De toute manière, quand j’ai commencé la fashion-tech, il n’y avait pas d’école pour ça, j’ai fait mon propre mélange.

Etude de conception 3D sur la Smoking Dress (2013). © Anouk Wipprecht

Vos vêtements sont-ils des interfaces?

J’utilise des capteurs pour détecter les niveaux de stress dans le corps et des senseurs de proximité pour l’environnement immédiat du corps, tout cela est renvoyé dans le système du vêtement. J’utilise le vêtement comme un dispositif interactif qui visualise ces données corporelles et environnementales, et ceci au travers des espaces que j’ai définis : intime, personnel, social et public, dans différentes configurations, seul avec soi-même, à deux, comme vis-à-vis d’un groupe.

En janvier, à Première Vision à Paris, Anouk Wipprecht présentait une interprétation très littérale de la robe cocktail. © Anouk Wipprecht

Quelles nouvelles fonctions remplissent vos créations?

J’aime créer des systèmes qui permettent une expression ou une communication non verbale. La technologie est venue dans nos vies pour nous aider mais, de nos jours, nous sommes tellement connectés que cela finit par être un ticket pour le stress. Une technologie à l’écoute du corps, mais aussi une interface qui peut s’exprimer ou communiquer à notre place, ouvrent des possibilités avec lesquelles on n’a pas beaucoup joué jusqu’à maintenant. Je m’intéresse à une mode qui devienne une interface et que cette interface devienne un outil de socialisation ou exprime vos émotions.

En 2015, Anouk Wipprecht et Autodesk travaillent sur les prothèses de l’artiste amputée Viktoria Modesta. © DR

Au Futurelab de l’Ars Electronica en Autriche, vous avez travaillé sur un casque EEG en forme de licorne. Un pan à part dans vos recherches?

L’Agent Licorn est un dispositif porté, assez proche de ma Synapse Dress de 2014 qui détectait les niveaux de stress chez le porteur et les traduisait en signal dans la robe. J’avais pour objectif de sortir les appareils d’électroencéphalographie du seul champ médical, de les rendre plus amusants. En particulier lorsqu’ils s’adressent aux enfants. Plutôt que d’administrer un remède à des enfants atteints du trouble du déficit de l’attention, je voulais qu’ils apprennent à propos de leur propre cerveau et notamment qu’ils perçoivent ce qui déclenchait des pics d’attention chez eux. La corne symbolise le lien entre les données du corps et les facteurs environnementaux. Elle embarque une caméra qui s’active lors d’un certain niveau d’excitation ou de stress. Mon objectif est de créer des systèmes d’apprentissage qui contribuent de manière plus importante à la conscience de soi.

Le casque EEG pour des enfants atteints du trouble de l’attention en forme de licorne. © DR 

Vous insistez sur le partage du savoir, pourquoi est-ce important pour vous?

Partager et se préoccuper des autres, l’esprit communautaire et l’open source sont très importants pour moi. J’ai grandi dans cette communauté maker des hackerspaces où l’on utilise, adapte, crée du code source ou des projets et où l’on fait en sorte que les autres aient les mêmes possibilités que celles qui nous ont été offertes.

Dans le monde de la mode et des marques, comment faire passer cette culture?

Je ne me sens pas ambassadrice de la culture open source, j’aime juste faire des trucs cool, que se soit pour un client, en faisant collaborer mes collègues artistes, designers ou ingénieurs ou en tant qu’enseignante. Construire des prototypes sert ma recherche et ma recherche répond à mes questions sur le futur de la technologie. Les marques sont toujours à la recherche de nouveautés et comme je travaille vite et bien, ça les intéresse. On me demande souvent de mélanger mon regard et mon identité de designer ou d’ingénieure avec l’ADN de la marque. Cette carte blanche me permet d’explorer, par l’innovation, un futur possible pour la fashion-tech.

La Spider Dress (2015) en mouvement:

Quand pensez-vous que la fashion-tech descendra dans la rue?

Il y a encore un certain nombre de problèmes à résoudre. En premier lieu, le nettoyage : comment laver son électronique ? L’alimentation : comment alimenter vos vêtements en toute discrétion ? La maintenance : que faire si ça tombe en panne, doit-on le renvoyer ou est-on assez malin pour le réparer soi-même ? Et enfin, la connexion : comment faire lorsque vous perdez l’accès au réseau alors que le système a besoin d’être connecté en permanence ? Cela fait 12 ans que j’étudie la fashion-tech. Depuis 5 ans environ, l’industrie commence à s’y intéresser et depuis 2 ou 3 ans, c’est au tour du milieu de la mode. C’est le moment de nous réunir et parler de ce dont nous avons besoin pour commercialiser certaines idées.

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez en ce moment?

Je suis pour quelques semaines en Autriche en résidence d’innovation au siège de Swarovski, à Wattens. Je cherche un moyen de rendre leur cristal « intelligent », en embarquant de l’énergie solaire, des LEDs et des capteurs dans leurs produits.

En savoir plus sur Anouk Wipprecht sur sa page Instructables et sur son site