Makery

La leçon activiste des Yes Men à la Gaîté lyrique

Andy Bichlbaum (à g.) et Mike Bonanno (à dr.) dans un rôle de composition pour leur film «Les Yes Men se révoltent» (2014). © Human Race LLC

En workshop les 27 et 28 janvier à Paris, les Yes Men, spécialistes du hoax, ont partagé leurs bonnes recettes pour mener des actions de protestation pacifistes et hacker les médias avec fun. Ingrédients.

Activistes, oui ! Mais dans la bonne humeur. En 20 ans d’interventions subversives dans l’espace public et les médias, les Yes Men ont fait du canular politique un art. Multinationales, politiciens, banquiers… ce duo d’experts ès supercheries dégomme à tout va, torpille les institutions à grand renfort de fausses conférences, ridiculise les lobbyistes. Les 27 et 28 janvier, ils sont venus donner une (deux) leçon(s) d’activisme pacifiste et déjanté à la Gaîté lyrique. Makery a participé à la première leçon, un workshop (payant, mais qui a fait le plein) dans le cadre du festival Lanceurs d’alerte

«It’s time to open the black boxes», installation de Danae Stratou exposée à «Lanceurs d’alerte». © Makery

A contrepied des austères installations de l’exposition éponyme, Andy Bichlbaum et Mike Bonanno – les Yes Men – ont tenu pendant trois heures les rênes d’un Yes Lab farfelu, sorte de workshop décalé au cours duquel une trentaine de participants ont laissé libre court à leurs envies de révolte urbaine et de militantisme non-violent. Le but ? Elaborer des stratégies choc et pacifistes sur des sujets sensibles pour toucher l’opinion et faire passer le message dans les médias grâce à leurs bonnes recettes. Une nouveauté pour la dizaine d’étudiants de l’école de code Simplon, une routine ou presque pour quelques sympathisants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes inscrits à l’atelier. 

Maîtres du hoax

« Clairement, on ne fait rien d’unique ou de neuf », rappelle Mike, citant en vrac les actions des suffragettes, Rosa Parks, Act Up et le Canvas Core Curriculum, un guide de lutte non-violente utilisé par des collectifs serbes pacifistes pendant la révolution des bulldozers, le mouvement ayant précipité la chute de Slobodan Milošević. 

«Pour qu’une action marque les esprits, il faut créer quelque chose qui ait un impact visuel fort. Donc, il faut penser en amont la construction de l’image, imaginer les gros titres, l’article qui sera repris dans les médias et là, vous avez votre scénario.» 

Mike Bonanno

La solution des Yes Men pour protéger les PDG du réchauffement climatique. © Human Race LLC

Pas avares en autodérision, les deux compères ont largement commenté leurs hagiographies en images, de leur intervention en direct à la BBC, en passant par leur marche de soutien aux policiers pendant Occupy Wall Street, l’interview piège de Balkany ou encore l’édition spectaculaire de 1,2 millions de faux New York Times plus vrais que nature distribués partout aux Etats-Unis pour annoncer la fin (prématurée) de la guerre en Irak.

«Pas de pauvres en France», Patrick Balkany piégé par une fausse interview, 2005:

« Ces hoax sont des montages complexes, sauf pour Occupy Wall Street, explique Andy. La manifestation était sous haute surveillance. On a juste eu l’idée de brandir des boîtes à pizza sur lesquelles on avait écrit vite fait le slogan “Brokers and Police for the Occupation” (Les courtiers et la police sont pour l’occupation). Les policiers étaient déjà sur place en nombre, autant les utiliser ! » Résultat, la photo a fait le tour de la presse, reprise au premier degré par certains journaux qui ont cru (sans rire) que policiers et traders défilaient en protestation contre le système. 

«Plus l’action est simple et directe, mieux c’est. Le but, c’est déjà de faire quelque chose…» 

Andy Bichlbaum

Le canular des Yes Men à Occupy Wall Street repris tel quel par un tabloïd de Long Island en 2011. © DR

Fausse noyade de réfugiés et murs pro-Trump

Une fois passés les exemples, place au brainstorming. Côté participants, les causes à défendre fusent. Comment alerter l’opinion sur le sort des réfugiés ? Que faire pour coordonner une action nationale en cas d’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ? Quelles actions mener pour faire barrage au Front national ou simplement ridiculiser Trump ? Andy et Mike laissent faire, les participants se regroupant par affinités de justes causes avant de passer au grill du pitch. 

«Nos actions sont l’exact opposé des fake news: notre but est de rendre l’information la plus transparente possible. Il faut donc révéler la supercherie dès que l’action est terminée.» 

Andy Bichlbaum

La mobilisation autour d’une possible évacuation de la ZAD attire un groupe de sept personnes, trois femmes et quatre hommes. Préférant garder l’anonymat – « Appelez-nous les Camille » – ils passent une heure à imaginer des actions pour faire réagir l’opinion en cas de passage en force du projet contesté d’aéroport. Leur difficulté est de penser à une opération qui puisse se mettre en place rapidement sur tout le territoire dès le top départ de l’évacuation. « On pourrait appeler ça le Jour de l’illégitimité, puisque le gouvernement se permet bien d’être illégitime », dit l’un des Camille. Un temps évoquées, les pistes pour jeter des avions en papier dans les hémicycles et boucher les toilettes du Parlement avec des tritons en plastique sont abandonnées. Les Camille préfèrent organiser une flashmob où de faux stewards envahiraient les transports publics ou préparer l’invasion des réseaux sociaux par le fantôme de Léonard de Vinci et son hashtag « Not in my name », en clin d’œil à l’autre Vinci, le géant du BTP concessionnaire de l’aéroport. 

«Les Yes Men se révoltent» (2014), film projeté à la Gaîté lyrique pendant le festival. © Human Race LLC

Les Yes Men s’attardent sur la proposition d’un autre groupe, une pétition pour construire un mur de solidarité avec les Etats-Unis à la frontière du Luxembourg, avant de tilter sur l’organisation d’une fausse noyade de réfugiés dans la Seine. Du lourd. « Si ça dérange, c’est une bonne idée ! », s’exclament en chœur les deux agitateurs en chef. 

« La première question à vous poser, c’est quelle image vous voulez voir à la Une du Monde le lendemain. La deuxième chose, c’est de penser à quelque chose de simple que vous pourrez mettre en œuvre même en cas de pépin. » Côté simplicité, le Zodiac sur la Seine, c’est pas ça. Mais les Yes Men encouragent les bonnes volontés : « Pensez à avoir quelques faux touristes sous la main. Et n’oubliez pas de faire une liste presse et de prévoir le matériel pour faire des images. Avec des grosses actions, le risque, c’est que tout le monde veut être acteur, mais quelqu’un doit assumer la tâche ingrate de contacter les journalistes et de poster sur les réseaux sociaux. »

«Pour ceux qui risquent d’être arrêtés, n’oubliez pas de préparer votre vraie-fausse déclaration à la presse! Et n’oubliez pas d’apprendre par cœur un numéro de téléphone si on vous confisque votre mobile.»

Andy Bichlbaum

Si les Yes Men ont un secret, c’est bien celui du storytelling. Derrière l’attitude de trublion, le duo s’engage aussi sur des terrains plus théoriques et tactiques, quelque part entre performance artistique et militantisme loufoque. En observateurs affûtés de la vie politique américaine, ils pilotent des ateliers de réflexion sur les stratégies historiques et contemporaines des mouvements politiques au sein du Critical Tactics Lab de l’Hemispheric Institute. Mais la parodie médiatique reste leur jouet fétiche. « Si on vous arrête, dites que vous faites du théâtre de rue. » Parole de Yes Men. 

Voir le film Les Yes Men se révoltent (2014)

Le site des Yes Men